4.1.1 Impression référentielle et texte

La question du référent et du monde naturel est également posée par Rastier en termes d’impression référentielle :

‘« Dans le cadre d’une sémantique intensionnelle, le problème du ‘’correspondant’’ d’un contenu dans le ‘’monde naturel’’ est malaisé voire impossible à poser, puisqu’il se ramène en somme à celui de la dénotation ou, si l’on préfère, de la référence. On montrera que l’impression référentielle produite par un énoncé ou un prédicat est fonction des relations entre les contenus de cet énoncé (ou de ce prédicat) et de domaines sémantiques socialement normés » 58 .’

Rastier va plus loin en rapprochant la sémantique interprétative de l’impression référentielle, par le biais des isotopies. Il crée ainsi un lien entre l’interprétation, le domaine de la lecture et le domaine du référent. Il distingue alors à partir du critère d’isotopie deux types d’impressions référentielles:

‘« On remarquera en effet que : (a) un énoncé dont plusieurs sémèmes relèvent d’un et un seul domaine sémantique présente de ce fait un certain type d’isotopie (isotopie générique) ; il produit alors une impression référentielle univoque ; logiquement, il est décidable ou indécidable (selon qu’il est synthétique ou analytique) ; (b) un énoncé auquel on ne peut faire correspondre aucun domaine sémantique ne produit pas d’impression référentielle ; il est logiquement absurde ; (c) un énoncé auquel on peut faire correspondre plusieurs domaines est muni de plusieurs isotopies génériques et produit une impression référentielle plurivoque » 59  .’

Notre positionnement par rapport à une sémiotique de l’objet, ne peut pas négliger le rôle du discours dans lequel l’objet se trouve inséré. D’après nous, le discours et par conséquent l’acte d’interprétation, issu de l’acte de la lecture, sont des conditions nécessaires afin d’attribuer le statut d’objet aux choses. La signification est pour nous étroitement liée à l’acte énonciatif et à la sémantique interprétative, telle que pratiquée par Rastier, et qui est d’ailleurs l’outil préalable pour l’analyse de l’objet.

Rastier introduit la notion de pratique afin d’aborder la question du référent. La sémiotique proposée par Rastier envisage la sémiotique dans un cadre de corpus, dans un contexte où l’on pourrait appliquer la sémiotique. La notion de pratique rend en quelque sorte la sémantique interprétative proche à une socio-sémiotique, car elle prend en considération le contexte auquel elle appartient :

‘« Le problème de la référence extralinguistique est alors replacé comme il convient aux frontières de la discipline, et se formule ainsi : quel est le rapport entre les domaines sémantiques socialement normés et les pratiques sociales du groupe ? » 60 . ’

La référence ne concerne pas le rapport de la représentation à des choses ou à des états des choses, mais un rapport entre le texte et la part non linguistique (/sémiotique/) sur les strates non sémiotiques de la pratique.

Le rapport que l’ordre référentiel engage entre les signes, les concepts, les choses d’une part, et d’autre part le texte et la pratique, s’établit par la médiation d’impression référentielle, sortes d’images mentales 61 définies comme des « simulacres multimodaux ».

A propos du référent, ou de l’impression référentielle, Rastier insère au-delà de la notion de pratique, sa préoccupation principale : le global définit le local. Par exemple, à propos du lien de l’impression référentielle et des isotopies génériques, Rastier dit :

‘« Que l’on adopte une perspective générative ou interprétative, l’impression référentielle ainsi décrite apparaît comme un phénomène relevant du niveau sémantique de surface. Les isotopies génériques qui la produisent sont denses, mais locales ; leur capacité interprétative est relativement faible ; leur construction se situe au début du parcours interprétatif » 62

Le postulat que le local est régi par le global 63 se trouve aussi dans le rapport entre le figuratif et l’interprétation, et plus précisément dans le rapport des figures du monde naturel avec les valeurs qui les définissent :

‘« Or, le figuratif est défini comme un prétexte à l’interprétation (au moyen de contenus thématiques » 64 .’

Le thématique relève d’un niveau plus abstrait, c'est-à-dire avec une ressemblance iconique faible et le figuratif ayant une densité sémique grande :

‘« Le figuratif est aussi défini relativement au thématique : a) il relève du niveau discursif, et le thématique du niveau narratif, un thème étant ‘’l’investissement minimal de la structure narrative’’ ; b) la sémantique discursive inclut une composante figurative et une composante thématique (ou abstraite) ; on distingue des discours figuratifs et des discours non-figuratifs (ou abstraits) ; c) on peut distinguer un niveau abstrait et un niveau figuratif du discours » 65 .’

Sur le rapport entre figuratif et thématique, Rastier continue à préciser :

‘« Elle (la description) reconnaît ainsi dans tout discours- dans la mesure où il est figuratif- un fonctionnement anagogique conduisant d’un sens littéral (figuratif) à un sens profond (thématique) ; d’où sa capacité à décrire notamment les textes religieux de type parabolique » 66 .’

Le figuratif est alors proche de la réalité, superficiel, par opposition au thématique qui est profond, abstrait et avec une densité sémique faible. Si l’on pouvait schématiser les deux termes, on mettrait le « figuratif» du côté du monde naturel, et le « thématique » loin de ce monde naturel. Le thématique est ainsi présenté comme l’abstraction du figuratif, ce qui présente des affinités avec le figural 67 .

Notes
58.

RASTIER F., « Le problème du figuratif et l’impression référentielle », in Actes Sémiotiques Bulletin du G.R.L.S, La figurativité II, VI, n °27, pp.54.

59.

Idem .

60.

RASTIER F., op.cit, p.13.

61.

Voir à ce sujet Ouellet.

62.

RASTIER. F., « Le problème du figuratif et l’impression référentielle », op.cit. p.14.

63.

Voir à ce sujet, le chapitre suivant de la thèse.

64.

COURTES., J., Courtés, « Contre-note », in Actes Sémiotiques Documents, III, 29, pp.37-47,

1981, p.38.

65.

RASTIER., F., op.cit., p.13.

66.

RASTIER F., op.cit., p.14.

67.

Tel qu’il est défini par ZILBERBERG C., « Modalités et pensée modale », Nouveaux Actes Sémiotiques 3, 1989.