7.1.1. L’objet esthétique évalué

La perception visuelle de Renoue rejoint la sémiotique du sujet. L’objet perçu est un objet visuel et esthésique, ce qui est compatible avec la nature de notre objet d’étude, le vêtement.

La composante pathémique, exclue de la sémiotique dite standard, est réintroduite par le biais des questions du rythme (inspiré par Geninasca) et de la sémiotique tensive. Le choix méthodologique de Renoue rejoint notre propre point de vue. A part la sémiotique tensive et l’approche du rythme en tant que composante thymique, nous optons aussi pour la sémantique interprétative comme outil d’analyse. Revenons à l’approche de Renoue sur la question. L’évaluation de l’objet esthétique est d’une importance primordiale car elle met en relation le sujet et l’objet, la cognition (sujet) et la valeur (objet). Dans l’histoire sémiotique, l’objet de valeur, ou l’objet du désir, est incontestablement et inconditionnellement, accepté par le sujet cognitif. Le programme narratif est basé sur cette quête de l’objet par le sujet. D’après Renoue, cette acceptation de l’objet du désir par le sujet n’est pas gagnée d’avance. Le schéma cognitif du sujet est responsable de son acceptation ou deson rejet. L’apport de la spécialiste de la sémiotique visuelle concerne l’interdéfinition et la modalisation du sujet par l’objet et vice versa. La prédominance du sujet dans la sémiotique dite classique, est substituée par un esprit d’échange et d’équilibre. Tantôt la valeur esthétique de l’objet, en corrélation avec les qualités rythmiques, figurales et aspectuelles, « prennent le dessus » et modifient le système cognitif du sujet ; tantôt le sujet avec son encyclopédie personnelle détermine le passage du seuil de l’objet esthétique en objet de valeur. D’après cette approche, la valeur esthétique, c'est-à-dire les qualités sensibles de l’objet (plan de l’expression), se rapproche avec la valence ou ce que nous appellerons plus tard la présence sensible ou perceptive. Elle précède le système sémiotique et devient responsable de l’autorisation du passage ou pas de l’objet de valeur esthétique au système proprement sémiotique. L’intérêt de Renoue pour l’évaluation est justifiée ainsi : « L’évaluation que nous avons évoquée jusqu’à présent est un jugement normatif, d’ordre purement cognitif. Le sujet dispose d’un savoir lui permettant d’établir ce que doit être l’objet » 101 .

Ce rapport entre l’évaluation et la valeur esthétique, est particulièrement signifiante pour un système, tellement codé tel que notre objet d’étude, la mode. Notre problématique est aussi centrée sur l’évaluation par l’intermédiaire de la Gestalt, dans son rapport avec la valeur, la forme de l’expression et le discours (ensembles signifiants).

Le sujet, d’après Renoue, est alors doté du rôle de l’évaluateur de l’objet esthétique. La reconnaissance de la valeur esthétique est corrélée parallèlement à une évaluation de ses propres compétences cognitives : « Le doute introduit la faille nécessaire : l’objet peut être autre, ne doit pas obligatoirement être ainsi» 102 . Plus précisément Renoue distingue trois cas des figures au sujet de la phase d’acceptation de l’objet par le sujet :

i) Le sujet sanctionnera positivement l’objet et sera en adéquation avec l’objet

ii) Les valeurs esthétiques seront jugées négativement et l’objet sera rejeté. Dans ce cas, les compétences cognitives du sujet ne seront pas mises en question. Autrement dit, les valeurs esthétiques de l’objet ne correspondent pas au système du savoir et de l’information du sujet évaluateur, et ceci constitue une raison suffisante pour rejeter l’objet.

iii) Le sujet destinataire ne veut pas remettre en cause son encyclopédie personnelle au profit de l’embarquement par la valeur esthétique, mais cette dernière « agit sur lui ». Même si dans un premier temps, le sujet n’adhère pas immédiatement à l’objet, à cause du fait que l’objet n’ « entre » pas dans son système cognitif, il adhère à l’objet réel, grâce à sa valeur esthétique. Celle-ci arrive à se faire sanctionnée positivement, malgré l’insuffisance cognitive de l’évaluateur. Si dans la plupart des cas, c’est le cognitif qui autorise la valorisation où, l’évaluation positive, dans ce cas, il existe une inversion des rôles, et c’est la valeur qui définit et modalise même le sujet 103 . Il va ainsi remettre en question et enrichir les champs de ses connaissances 104  :

‘« Il s’agirait de traiter d’une adhésion subjective à l’objet, d’un jugement singulier porté sur l’instance perçue et capable de mettre à l’épreuve les facultés de connaissance -une sorte de jugement de goût kantien non conceptuel, sensible, contemplatif, mais que nous pourrions peut-être essayer de spécifier en décrivant le style de l’objet à l’aide de catégories figurales. La « nécessaire adéquation » (entre les vitraux et l’abbatiale, dont parle les visiteurs, …, mais ) ne consisterait plus alors dans la copie de l’ancien, (…), mais dans la réalisation d’objets présentant des qualités esthétiques, c'est-à-dire une ‘’qualité émotionnelle’’, des qualités rythmiques, figurables comparables à celles du lieu » 105 . ’

Notes
101.

RENOUE, op.cit., p.53.

102.

Idem.

103.

Pour nous le rôle de l’axiologisation de la valeur esthétique sera en suite (Cf. chapitre Analyse) corrélée avec la Gestalt, dans une perspective du discours et du sujet, en tant que sujet cognitif et sensible, et le sens pris dans sa dimension d’expérience qui rythme l’objet.

104.

Cf. schéma p.52 (RENOUE, op.cit.)

105.

RENOUE, op.cit., p.53.