Nous avons constaté jusqu’à maintenant le passage de l’objet à la notion de figure. Le lecteur de la thèse peut se demander en quoi consiste le rapport de l’objet avec la figure. Nous pourrions expliquer rapidement l’articulation de deux notions ainsi : dans la sémiotique standard, l’objet et le sujet sont des actants interdéfinis, la figure (parcours figuratif, rôle thématique) est la manifestation de ces actants dans le discours. Dans la perspective phénoménologique, le rapport Sujet-Objet est celui de l’être-au-monde d’un corps sensible. Si l’on parle de figure (dans la sémiotique de Geninasca en particulier) c’est forcément à partir du discours : la figure est la version discursive de l’objet, à condition que l’on tienne compte du dispositif de l’énonciation, et que l’on analyse le langage et la représentation.
L’objet n’est alors que le terme neutre et abstrait. La figure définit mieux l’objet, le précise et l’encadre dans une perspective plus complète et complexe. L’objet de perception et l’objet du discours, l’objet visuel et l’objet de l’imagerie mentale, seront étudiés au long de notre travail sous le nom de figure 106 .
Pour résumer les étapes de notre présentation du parcours de l’objet jusqu'à ce point, nous nous arrêterons sur a) les rapports de l’objet en relation avec le sujet et la valeur, b) l’objet dans le monde naturel et dans les langues naturelles (énonciation), et c) l'objet perçu dans son parcours figuratif.
Pour l’instant, sans quitter la perspective de la perception, nous mettrons de côté le cadre de l’énonciation, pour croiser à nouveau les termes de la figure, de la forme, d’un point de vue visuel. L’objet visuel analysé et sémiotisé par le Groupe μ nous fournira des éléments nouveaux sur le rapport entre figurativité et objet.
L’origine de notre problématique relève d’une part du rapport entre l’objet visuel et les notions de figure, de forme, d’objet et de signe au niveau visuel, et d’autre part et son rapport avec l’objet (niveau sémio-narratif), la figure (niveau discursif) et la forme hjelmslevienne au niveau discursif. Y a-t-il équivalence dénominative purement aléatoire ou bien existe-t-il des liens directs ou indirects entre ces termes ?
Le Groupe μ influencé par les travaux des psychologues de la forme définit ainsi la forme, la figure, l’objet et le signe, en rapprochant ainsi la perception et le sémiotique : La forme ou Gestalt est définie comme un groupe d’éléments perçus en une appréhension globale et simultanée comme n’étant pas le produit d’un ensemble au hasard, mais d’un certain nombre de règles intentionnelles. Le lien entre la forme et la figure s’explique par le fait que toute forme est figure mais pas l’inverse. La figure est un processus relativement primitif, tandis que la forme contient un mécanisme de mémoire. Après la comparaison de plusieurs figures-occurrences avec la réactivation de la mémoire, ces figures sont stabilisées sous une forme. La perception devient donc un événement mémoriel. La prégnance d’une forme est en d’autres mots la force qu’elle exerce sur l’esprit du récepteur. La figure se différencie d’ailleurs par rapport au fond, car elle est plus loin du sujet, tandis que le fond est en dessous de la figure. La perception active la mémoire et l’on passe de l’occurrence au type, de l’événement à la série. Le passage d’une figure à une forme est accompli par le mécanisme de la mémoire et le passage de la forme à l’objet avec la permanence (définition de l’objet = somme des permanences- propriétés de permanences-existence cesse d’être soumise à la présence d’une stimulation physique). La conversion de l’objet en signe s’achève (et avec lui l’acte perceptif en tant que sémiotique) par l’existence d’un système. Le processus sémiotique de la perception commence donc par des modalités simples pour en arriver à des formes complexes.
Pour résumer le parcours de l’objet plus précisément nous pourrons dire que d’après le Groupe μ, l’objet dans un premier stade acquiert le statut du signe renvoi :
‘« De ce que les objets sont une somme de propriétés, douées de permanence et guidant l’action, on peut avancer que cette notion rejoint celle du signe. Le signe est en effet, par définition, une configuration stable dont le rôle pragmatique est de permettre des anticipations, des rappels ou des substitutions à partir de situations. Par ailleurs le signe a, comme on l’a rappelé, une fonction de renvoi qui n’est possible que moyennant l’élaboration d’un système » 107 .’La deuxième étape concerne la perception, qui tient compte du signe, de la structure cognitive, de la perception (apprentissage) et du social :
‘« La fonction perceptive rejoint donc ici la fonction sémiotique. Dans son fondement, la notion d’objet n’est pas foncièrement séparable de celle du signe. Dans l’un et l’autre cas, c’est un être percevant et agissant qui impose son ordre à la matière inorganisée, la transformant ainsi, par l’imposition d’une forme-le mot est pris cette fois au sens hjelmslevien- à une substance. Cette forme, de ce qu’elle est acquise, élaborée et transmise par apprentissage, est éminemment sociale et donc culturelle. C’est un savoir-une structure cognitive et non plus seulement perceptive-qui nous garantit l’unité de la feuille pliée en deux, comme elle nous garantit la différence de la vitrine et du spectacle qui y transparaît » 108 . ’Cf. le chapitre suivant de notre thèse.
GROUPE μ, Traité du signe visuel, Seuil, Paris, 1992, p.81.
Idem.