2.3. Figure et métaphore

Avec la notion de figure, nous nous éloignons de la notion d’objet-référent et nous nous dirigeons vers une sémiotique du sujet et de l’expérience perçue et vécue. La théorie de Ouellet se situe dans la une perspective phéno-sémiotique : l’espace discursif, relevant à la fois de la perception et du langage, devient le point d’ancrage entre le sensible et la dimension sémiotique. Le discours s’avère être comme un centre d’accueil de la praxis énonciative, l’espace où le sujet et l’objet se rencontrent.

Ouellet traite la question de l’objet en termes de perception, d’énonciation et de figurativisation. Il articule la relation sujet-objet et dynamise la figurativité par l’intermédiaire de la métaphore. L’approche de Ouellet sur les objets relève de la perception discursive et d’une sémiotique (inter)subjective. Le sujet d’énonciation vise l’objet d’un certain point de vue et son expérience esthétique inscrite dans un cadre discursif conditionne l’apparaître et par conséquent la nature de l’objet :

‘« Cette expérience de nature proprement esthétique concerne moins les objets du monde perçu que les conditions plus ou moins subjectives de leur perception, soit la nature de notre intuition. Le texte de la Recherche dit et montre les conditions de notre expérience perceptive, qui font les formes spatiotemporelles de notre intuition, véritable matériau de l'œuvre d'art littéraire » 129 .’

Comme une forme de présence, la métaphore est basée sur notre façon de voir et de tourner les choses. Le centre de la pensée de Ouellet est porté sur l’énonciation (le dire et non pas le dit), l’expérience perceptive et les formes spatiotemporelles qui structurent notre intuition et notre imagerie mentale. Via les formes de l'intuition, le sujet et l’objet sont mis en rapport, conditionnés par les dimensions spatiotemporelles. Loin du parcours génératif, l’abstraction et le concret, Ouellet opte pour une approche spatiale de la signification. Le schématisme englobe aussi bien le sensible, le visuel, le cognitif et l’énonciation proprioceptive, surtout en termes d’imagerie mentale. Si pour Ouellet l’énonciation s’arrête à cette étape, pour nous elle continue son parcours avec le discours-texte et le sujet dans le rôle du sujet lecteur-sujet d’interprétation :

‘« Si la littérature arrache le percept aux circonstances de la perception sensorielle immédiate et cela suivant un processus d'abstraction des données sensibles dont les qualités font l'objet d'une "imagerie", elle a en même temps pour objet de mettre au jour et en jeu les conditions de possibilité de notre expérience perceptive, soit les formes a priori de l'intuition par lesquelles nous nous représentons l'existence d'un objet dans l'espace et notre existence dans le temps» 130 .’

S’écartant d’une vision où le sujet et l’objet s’opposeraient mutuellement, il propose la perspective phénoménologique selon laquelle l’objet perd son entité autonome et indépendante,

‘«devient corps avec le sujet dans une activité cognitive et énonciative qu’il appellera « historiale » afin de souligner la dimension socio-historique du temps, incarné dans le discours et son énonciation » 131 .’

La dimension socio-historique incarnée dans le discours et l’énonciation rappelle l’approche de François Rastier sur la signification en tant que pratique. Les deux voies mettent en avant un intérêt de la sémiotique pour l’expérience vécue et pratiquée par un sujet. On est donc dans le domaine du social, comme manifesté à l’intérieur du discours et de la langue.

Notes
129.

OUELLET P., Poétique du regard. Littérature, perception, identité. Les éditions du Septentrion en collaboration avec le CELAT et en coédition avec les Presses Universitaires de Limoges, 2000, p. 8.

130.

Idem.

131.

Ibid., p.23.