Chez Ouellet, la métaphore demeure au centre de l’énonciation, soit rapportée à la langue, comme «réservoir» de nos habitudes discursives (langue), soit rapporté au discours, et à l’usage idiolectal et singulier.
Ouellet distingue deux types de métaphores : a) les doxiques (topiques) qui se rapportent au sens commun, ou plutôt à une façon de montrer le déjà connu. Appartiennent à cette catégorie les expressions figées et les stéréotypes. Et b) les poétiques et/ou perceptives qui sont les métaphores qui décalent et qui font avancer le sens.
D’après Ouellet, la structure de la métaphore est basée sur le mouvement, ce qui la rend plus dynamique et plus flexible, tournée vers la nouveauté du sens :
‘«De la même manière que la phora est un changement de lieux physique, qui définit le mode d’être de ce qui apparaît, soit la nature envisagée selon le principe du devenir et du mouvement, la métaphore consiste en un changement de lieux mental, conceptuel ou discursif, propre à la catégorisation ou à l’argumentation, qui définit le mode d’existence de la pensée et de son expression selon le principe de son déploiement topique ou poétique, constitutif de son devenir ou de son mouvement, à tout le moins de son procès» 175 . ’Grâce à sa structure, l’imaginaire est le lien de « rencontre » du passé avec l’avenir, de la mémoire avec le souvenir. D’après Ouellet, la métaphore est structurée sur la même base, ce qui facilite sa fonction qui consiste à transformer le sens commun, la présence du monde et la façon que nous avons de l’apercevoir (et même de le détourner complètement) :
‘« Cette notion, bien sûr, est elle-même une figure de style, de nature métaphorique — une métaphore perceptive, notamment —, et elle vaut ce qu’elle vaut, empreinte de sens commun, entre doxa et topos. Mais ne faut-il pas prendre au sérieux ce pseudo-concept dont le contenu sémantique repose encore sur un contenu intuitif extrêmement fort, la teneur de ses termes, « monde » et « vision », frappant de façon toujours aussi percutante, non seulement notre mémoire, friande de clichés et de stéréotypes, mais notre imagination elle-même, qui se nourrit d’archétypes et de prototypes dont elle change le sens régulièrement, comme on change d’esthésies, de demi-siècle en demi-siècle ou de décennie en décennie ? » 176 .’La métaphore acquiert ainsi une dimension tensive entre son rôle de signe-renvoi, en accord avec le sens commun, et l’autre propre à son activité poétique, en décalage avec la réalité. Dans la problématique de la métaphore sont ainsi impliqués le figuratif et le figural, et comme nous verrons plus tard, la Gestalt et la Gestalt expérientielle. La métaphore se saisit du sens commun (et son rôle de figer nos perceptions) afin de le détourner (ou le démonter) ensuite dans l’acte discursif. Grâce à sa capacité à figer nos perceptions pour ensuite innover, capacité stable et dynamique à la fois, la métaphore se relève de la langue (fonction de stock) et au discours (dimension créative). La métaphore poétique et la métaphore « ordinaire » sont toutes les deux structurées par le même schéma : soit par l’imagination créative qui tend vers le futur, soit par la mémoire, qui nous aide à retourner vers le passé. La tension perceptivo-énonciative créée par la métaphore, remplit les conditions adéquates pour que la présence se présente devant nous. La métaphore sort ainsi de son statut limité de figure de style et acquiert des qualités propres au discours. Elle se rapporte selon nous, à : a) la figurativité de Panier aussi bien qu’à celle de Didi-Huberman, et b) la conception de Geninasca sur le discours en tant qu’ensemble signifiant. En tension entre le figuratif et le figural, le sens émerge et se construit à mi-chemin entre la langue et le discours. La figurativité est ainsi retrouvée à la croisée de la métaphore cognitive au sens de Lakoff et Johnson, et de la métaphore poétique. Sous le nom de métaphore perceptive, Ouellet aborde la créativité, et la force poétique du discours. Le figuratif-métaphore topique est attaché à l’évidence et la reconnaissance facile et immédiate. Le figural-métaphore doxique est associé au mouvement, à l’effort, au décalage, à un voyage du discours, qui nécessite la collaboration du sujet lecteur.
Lorsque nous parlons de rhétorique, nous faisons plus particulièrement appel à la fonction du discours. La métaphore ou la rhétorique ne sont pas forcément uniquement liées aux éléments métaphoriques comme effets de styles, mais plutôt deviennent synonyme de la fonction discursive. La métaphore n’est pas considérée comme extérieure au discours, ou comme un élément décoratif (ce qui nous rappelle la fonction d’habillage attribuée à la figure depuis très longtemps), mais plutôt comme un processus discursif et interprétatif qui englobe le sujet (avec ces compétences mentales et interprétatives), l’objet (qui se trouve à l’intérieur du discours) et le discours (avec son propre dispositif et ses règles). A l’instar de la problématique sur le figuratif et le figural telle que traitée par Panier et Geninasca, le discours a une double fonction : a) celle de signe-renvoi (fonction du figuratif), il s’agit de la fonction qui réfère aux choses du monde, telles qu’elles sont enregistrées dans l’Encyclopédie personnelle 177 de chacun et b) celle de figural qui signale l’éloignement de cette référence réaliste ou (plutôt vraisemblable à la réalité), et annonce la création d’une autre à l’aide de l’imagerie mentale et du processus de l’interprétation et de la mise en lecture. La fonction de la métaphore (dans le sens restreint du terme) ou des tropes est étendue, d’après nous, dans le discours : dans l’acte de la lecture et la force créatrice qui se tisse entre le lecteur et le texte. Notre approche de la rhétorique est certes influencée par les travaux d’Ouellet sur la métaphore, mais nous tenons compte aussi de l’interprétation et de la lecture, ce qui implique le sujet dans la construction de l’objet, à l’instar des travaux de Panier et de Geninasca.
La perception (et par conséquent la présence) est associée à l’énonciation par le biais de l’imagerie mentale et du texte, en tant que produit du discours, sollicitant la lecture de l’esthésie par un sujet interprétant. Nous pourrions résumer la démarche ainsi : Le sujet est frappé par la présence d’une figure du monde. Les qualités sensibles de l’objet prégnant prennent forme à l’intérieur de l’acte énonciatif, à l’aide de l’imagerie mentale, et deviennent des contenus sémantiques propositionnels. Si la figurativité se situe entre perception et énonciation, et se définit comme la reconnaissance du monde extérieur et/ou du sens commun grâce aux structures communes de l’imagerie mentale du sujet, nous rapprochons la figurativité et la métaphore poétique 178 telle que la conçoit Pierre Ouellet, c’est-à-dire comme une mise en suspens du sens commun. D’après nous, la dimension créative de la figurativité dépasse le niveau de la métaphore (et/ou la rhétorique), et constitue le propre du discours. Celui-ci fait tourner, éloigner, et créer une tension entre ce qui est de l’ordre de l’usage doxique, empreint dans la mémoire et la langue. Il se place donc du côté de tout ce qui est de l’ordre de la révolution et du détournement du sens commun. La dimension figurale est déclenchée dans l’acte de la lecture qui fait partie de l’énonciation.
OUELLET P., op.cit, pp. 159-160.
Ibid., p.151.
Cf. Eco U., op. cit.
Et aussi le figural et la dimension de la Gestalt expérientielle comme forme déstabilisatrice.