Ce n’est pas la première fois que la mode a fait l’objet d’étude du point de vue textuel et visuel. Barthes dans Système de la mode 221 traite du vêtement dans sa dimension écrite : la place du vêtement à l’intérieur du discours verbal et notamment du discours journalistique. Barthes exclut l’étude du vêtement porté (vêtement réel) et le vêtement mis en image par la photographie, et opte pour l’étude du vêtement écrit, le vêtement dans le texte (journaux de mode). Avec ce choix peu banal et souvent critiqué par les spécialistes (non sémiologues) de la mode, Barthes justifie dans sa sémiotique la suprématie du langage verbal sur les autres types de langage :
‘«La mode n’existe qu’à travers le discours que l’on tient sur la mode. (…) Les ensembles d’objets un peu complexes ne signifient pas hors du langage lui-même» 222 .’Ou encore :
‘«(…) le vêtement n’était véritablement signifiant que dans la mesure où il était pris en charge par le langage humain. (…) à tout instant, le langage articulé investit le vêtement, et cela va même beaucoup plus loin dans la mesure où il n’y a pas de pensée ni d’intériorité sans langage : penser le vêtement, c’est déjà mettre du langage dans le vêtement. C’est pourquoi il est impossible de penser un objet culturel en dehors du langage articulé, parlé et écrit, dans lequel il baigne » 223 .’Barthes établit un parallèle entre le système de la langue et le système de la mode, et traite de cette dernière comme d’ « une combinatoire qui a une réserve finie d’éléments et des règles de transformation formels » 224 . Autrement dit, d’après la grammaire de la mode, certaines associations vestimentaires sont possibles et d’autres interdites. Le mot système qui existe dans le titre de son ouvrage est validé par la régularité et l’ordre du rythme. Barthes cite comme exemple la largeur de la jupe et celle de la taille qui sont toujours dans un rapport inverse ; quand l’une est étroite, l’autre est large 225 .
A la suite de Greimas La mode en 1830 226 nous constatons le rapport entre langue et mode et à la suite de Floch les questions du plastique et du pathémique autour du thème de la présence. Nous allons étudier la question de l’énonciation et la perception en rapport avec le visuel et le discours, et plus précisément leur mise en articulation : l’un servant de forme pour l’autre.
Greimas le lexicologue dans La Mode en 1830 a apporté une typologie bien élaborée et précise du vêtement en genres, espèces. Il a aussi établi le rapport de la langue avec la Mode.
En ce qui concerne Floch, dans Identités Visuelles 227 , il examine le vêtement dans le cadre de la sémiotique visuelle en tant que configuration plastique. Les questions de la présence, de l’identité et du tempo sont traitées mais sous un angle qui n’est pas issu de la sémiotique des passions. L’affect et le thymique sont analysés chez Floch du point de vue de l’énonciation.
Le Greimas de De l’imperfection 228 s’éloigne du lexicologue et projette le vêtement dans la perspective d’une sémiotique esthétique. L’excès définit l’objet esthétique et dépasse en même temps la sphère de la sémiotique cognitive traditionnelle. L’objet vêtement est un objet esthétique ‘’limite’’. Ayant des caractéristiques communes avec les autres objets esthétiques, il s’en éloigne en même temps, à cause de sa fonction pragmatique qui le transcende.
Au sujet de la dimension visuelle, voire plastique, le Groupe μ 229 distingue trois types de relation qui concerne l’objet : a) la relation forme couleur, b) le percept-texture, c) la couleur en tant que variable libre. Nous utiliserons ces trois types de relations dans notre analyse, comme grille de lecture du vêtement en tant qu’objet plastique, en dehors du contexte. Au-delà de sa dimension plastique, le vêtement va être envisagé dans un système régi par les règles et bien sûr dans un contexte discursif, aussi bien visuel que verbal. Le vêtement de mode est un objet sensible mis en forme par le discours (énonciation), et en voie de construction par le sujet d’interprétation
La mode-vêtement et la mode comme enjeu et moyen de pouvoir symbolique (couleurs, tissus) 230 , la mode-image, la mode en scène, la mode et le corps, la mode-espace et la mode-temps sont autant d’aspects de cet objet d’étude multiforme qui s’intègre dans plusieurs disciplines : l’historien s’intéressera à l’aspect technologique et artistique/esthétique (tissu, couleurs, formes, matières), ainsi qu’aux questions relatives au costume et au style. Pour la psychanalyse, la sociologie et l’ethnologie, la mode constitue un excellent sujet d’observation et d’étude. Plus particulièrement, pour la sociologie, la mode insérée dans un cadre social, dynamique et autonome, rythme nos relations avec les autres (distinction, séduction, domination) et notre place dans le flux du changement, ce qu’elle signale comme peu d’autres phénomènes sociaux 231 .
L’art constitue un domaine de prédilection pour la mode. Les créateurs sont très souvent inspirés par de grands artistes, et donnent ainsi à leurs œuvres un prestige et une valeur artistique. Le lieu des présentations des collections (musées, galeries) témoigne la vive intention de la part de la mode de s’associer à l’univers artistique. Sur le lien entre l’art et la mode, Duggan présente l’idée du spectacle comme une pratique qui sert à unifier les deux domaines. Les défilés de mode (fashion shows) en se servant des références théâtrales occupent une place importante au sein de la mode, car ils servent à déguiser son caractère commercial :
‘« Art and fashion have shared a symbiotic relationship in which each discipline simultaneously encourages and completes with the other' at many points throughout history » 232 . ’Les questions de l’énonciation et de la perception, aussi bien que la valeur et la Gestalt seront traitées dans la perspective socio-esthétique. A l’instar de Floch et Landowski, nous reprenons la réflexion sur la mode, dans une perspective de présence et d’interprétation, ce qui met en lien un sujet et un objet. Une autre grande question qui concerne indirectement la mode est celle de l’identité des maisons de couture à intégrer dans le cadre d’une socio-sémiotique. Nous abordons ainsi le social d’un point de vue sensible, ce qui se rapproche d’une socio-esthétique. Les points convergents et divergents dus aux degrés de présence et les effets pathémiques présentent la manière dont le sensible est traité au sein de chaque marque. La sémiotique serait la voie unissant le visuel et le social d’un point de vue sensible, affectif et présent pour un sujet percevant.
BARTHES R., Système de la mode, Paris, Editions du Seuil, 1967.
BARTHES R., « Sur le Système de la Mode et l’analyse structurale des récits », in Le bleu est à la mode cette année, et autres articles, Paris, Editions de l’Institut Français de la Mode, 2001, p.137.
BARTHES R., op.cit., «Entretien autour d’un poème scientifique», p. 169.
BARTHES R., op.cit., «Sur le Système de la Mode », p.154.
BARTHES R., op.cit., « Le Système de la Mode », p.163.
GREIMAS A.-J., La mode en 1830, Paris, PUF, 2000.
FLOCH J.-M., Identités Visuelles, Paris, PUF, 1995.
GREIMAS A.-J., De l’imperfection, op.cit.
GROUPE µ, Traité du signe visuel. op.cit., p.429.
Le vêtement étudié dans un contexte historique, social et technologique fut l’objet d’étude de plusieurs ouvrages. Au titre indicatif, nous nous référons au travail de STEELE V., Se vêtir au XXe siècle, Paris, Société nouvelle Adam Biro, 1998, et MENDES V., et LA HAYE A., La mode au XXe siècle, Paris, Editions Thames & Hudson SARL, 2000. Les deux écrivains et historiennes de l’art traitent de l’impact des grands événements historiques sur le vêtement et inversement le rôle de la mode en tant que facteur de mobilisation de la société. La création des styles vestimentaires sera étudiée en parallèle avec les styles de vie, ou plutôt les formes de vie sociales, comme par exemple le conformisme, l’excès.
: DUGGAN, G.-G., «The Greatest Show on Earth : A look at contemporary Fashion Shows and their relationship to Performance Art», in Fashion Theory, Volume 5, Issue 3, pp.243-270.
Ibid., p. 243.