4.2. Socio-sémiotique et corps : une approche phénoménologique du social

Au-delà de l’approche socio-sémiotique qui vise sur le texte (cf. Semprini et Floch), Berdlin adopte une autre perspective qui fait de la rencontre sociale le pont entre l’objet et le sujet. Le social fait désormais pair avec le sensible et la phorie, comme instances de « rencontre » :

‘«Toute forme de «rencontre» entre deux ou plusieurs êtres humains et (est) un processus s’inscrivant dans l’histoire de ces êtres, et dont découle ce que l’on appelle le «social». Ce processus peut être le résultat du hasard ou de l’intention de l’un ou de l’autre» 238 .’

Berdlin définit la notion de corps en tant qu’expérience. La fusion entre objet et sujet est effectuée par la construction des schémas-images anatomiques :

‘«Les hypothèses de George Lakoff et Mark Johnson dont les hypothèses rejoignent celles proposées par les travaux récents en neurophysiologie. Le rôle qu’ils attribuent aux «schèmes-images»-basés sur les caractéristiques anatomiques de l’être humain-dans la construction des concepts, ainsi qu’aux procédés comme la métaphore» 239 .’

La corrélation entre sujet et objet sera marquée en termes de proprioceptif. C’est ainsi que la phénoménologie s’intègre au social et ouvre le dialogue entre l’esthésie et la socio-sémiotique :

‘« Cela ouvre un axe de recherches concernant le rôle que jouent les objets dans la construction du sujet. Merleau Ponty (1945 et 1964) : [Pour un être humain, la conscience est simultanément et nécessairement conscience du sujet en tant que sujet et du monde extérieur; Et le monde extérieur n’existe à la conscience que sous la forme indissociable des autres et des objets, qui constituent, pour ainsi dire, la trame des relations aux autres.] Poursuivant cette métaphore, je dirai que c’est le langage qui en constitue le fil, de sorte que ensemble langage et objets constituent, au sens propre, le tissu des relations humaines » 240 . ’

Les «rencontres » définissant alors le social offriront une autre dynamique qui intègre l’expérience au sein de l’esthésique :

‘«Chaque relation à l’objet s’inscrit à la fois dans la mémoire du sujet et dans l’objet : au schème social d’utilisation correspond une trace dans l’objet sous forme d’ «affordances»; au souvenir de l’expérience vécue correspond une trace dans l’objet – la carrière de l’objet, c’est à dire d’un côté, la série des statuts pris par l’objet au cours de ces «rencontres», et de l’autre, les actes qui y ont été associés» 241 .’

Il va même plus loin en intégrant l’ensemble de signification comme :

‘«La signification ne serait rien d’autre que la reconnaissance d’un de ces modèles, ou d’une structure assemblant des modèles connus. Les modèles de base, «préconceptuels», sont ce que Jonhson appelle des «schèmes images» (images schemata). Ces structures élémentaires, issues de notre expérience corporelle, peuvent générer des structures plus complexes, grâce à quelques processus simples. Un exemple de ce type de structures élémentaires est celui correspondant «au fait de contenir quelque chose» (containement), qui s’appuie sur l’expérience que nous avons de notre corps comme structure tridimensionnelle possédant un intérieur et un extérieur, dans lesquels on met certaines choses (l’air, l’eau, la nourriture…), dont certaines choses peuvent sortir (l’air, les excréments, le sang…) et qui est aussi souvent lui-même contenu dans d’autres choses dans lesquelles il peut entrer et sortir (les lieux d’habitation, les vêtements, les véhicules…)» 242 . ’

Une telle structure correspond à notre expérience de l’espace, du dedans et du dehors. Elle structure certains gestes comme mettre un objet dans un récipient ou l’en sortir. Elle peut aussi être transposée sans difficulté de l’espace tridimensionnel à des espaces à deux dimensions (plan) ou à une dimension (ligne). Elle sert de base à des notions plus conceptuelles d’inclusion ou d’exclusion, etc. L’expérience «d’être contenu dans» induit des expériences associées, comme celle de «protection» contre les forces extérieures. Ces expériences associées peuvent ensuite faciliter les «applications» de la notion à d’autres domaines-conceptuels.

Berdlin fait appel à l’hypothèse centrale de Johnson sur les «schèmes images» qui ne structureraient pas seulement le domaine visuel, mais aussi les autres domaines cognitifs, notamment le registre kinesthésique ou le langage. C’est ce qui permettrait l’existence d’une signification sur le plan linguistique, quoique basée sur des schémas liés à l’expérience corporelle.

L’expérience du corps, dans la sémiotique et la socio-sémiotique est abordée en termes : 1) d’interaction du sujet et du monde et 2) d’image et de Gestalt vécue comme une expérience, qui unit l’objet-sujet (en termes de compatibilité et de familiarité) des deux corps.

Notes
238.

Cf. définition de Berdlin du social en termes de « rencontre » :BERDLIN B., La construction du social par les objets, Paris, PUF, 2002, p.259.Cf. définition de Berdlin du social en termes de « rencontre ».

239.

Ibid., p.258.

240.

Ibid., pp. 260-261.

241.

Ibid., p.180.

242.

Ibid., p.181.