4.5.1. La valeur comme stratégie de construction de l’identité de la marque

Nous envisageons la valeur, en tant que catégories sémantiques servant à évaluer le vêtement (objet). Le lien entre la reconnaissance et le vêtement est présenté analytiquement dans le Greimas De l’imperfection où l’affect et le sensible se rejoignent.

Soucieux du vêtement en tant qu’objet esthétique, Greimas lui ajoute 259 la dimension passionnelle (« le désir de plaire »), mais qu’il aborde comme un processus plus cognitif que pathémique. La séduction engendre une série des stratégies de manipulation, comme c’est le cas pour l’acte de reconnaissance : la reconnaissance d’une petite robe noire ou d’un tailleur simple ou chic est le produit d’un processus cognitif. Les éléments d’ordre figuratif (ligne, courbes, gestes, attitude) demandent à être évalués et dotés de signifiés d’ordre conceptuel (simplicité, élégance, recherche). Ces signifiés consistent en des connotations axiologiques de la dimension plastique du vêtement (forme de l’expression de l’objet vêtement). L’interprétation revient à sanctionner, reconnaître et attribuer à cette forme ou à cette ligne tel ou tel signifié. Ce mécanisme est pour nous l’équivalent de la valeur de l’objet.

La partie de la thèse qui suit va être analysée dans cette logique : Nous allons étudier l’axiologique ou le sémantique (les valeurs) d’une part (premier chapitre de la partie analyse), et le figuratif d’autre part (les figures de l’expression plastique du vêtement, deuxième, troisième et quatrième chapitres de la partie analyse).

La valeur offre à la fois une axiologisation au plan du contenu et une reconnaissance au niveau de la forme de l’expression. Même si pour Greimas, l’objet esthétique vêtement échappe au surplus du sens, à cet excès passionnel qui caractérise tout objet esthétique, nous pensons pour notre part que le bouleversement du système axiologique est très étroitement lié au « surplus » qui caractérise les valeurs de la mode (esthétiques et/ou éthiques) 260 .

Vêtement, mode ou haute couture font partie des thèmes de prédilection des sémioticiens tels que Greimas, Barthes et Floch qui se sont préoccupés du sujet et l’ont abordé sous des angles et dans des problématiques différentes, mais en apportant, chacun, des réponses particulièrement intéressantes sur lesquelles nous nous appuyons.

Les points de convergence entre notre problématique et celle de Greimas, Barthes ou Floch ne sont pas les plus voyants. Pour Barthes 261 la valeur est une forme de vie relative à la féminité, au corps, à l’espace, au temps, etc. Pour Floch 262 les formes de vie ne sont qu’une sorte d’éthique et constituent des valeurs. Pour Greimas 263 enfin, la valeur se manifeste sous forme d’élégance et de tendances. Un autre terme qui revient souvent est celui de Gestalt. La Gestalt est assimilée pour nous à la notion de seuils et de règles ; à la fois liée à l’hyperbole et à la régulation de ces tensions à l’intérieur du discours, comme une sorte d’auto-régulation.

Nous pourrions résumer les diverses fonctions de la valeur ainsi : 1) La valeurfonctionne comme signifié (par exemple : l’élégance et la recherche). 2) La valeur est relative à un jugement des valeurs ; il s’agit d’une axiologie (quasi-morale) : ceci vaut pour quelqu’un. La valeur apporte ainsi au domaine de la mode d’un point de vue qualitatif. Au cas où le vêtement de haute couture n’est pas conforme aux règles de la haute couture, il sera jugé inadéquat (il n’est pas assez bien) pour faire partie du domaine. Nous ajoutons une troisième fonction de la valeur : 3) la fonction socio-sémiotique. Ici, les effets pathémiques (excès) et esthétiques sont traités et catégorisés en tant que valeurs axiologiques. Dans l’idéologie de la haute couture, le jugement trouve sa réponse dans l’articulation de l’esthétique et du social. Dans cette troisième approche, la valeur se trouve au croisement de la rhétorique (la mise en discours de la mode) et du jugement. Dans l’univers de la haute couture, l’objet socio-sémiotique porte sur les valeurs sociales (jugement d’acceptation) et est à la base de la construction de l’univers des valeurs, ce qui permet d’établir un paradigme.

Notes
259.

GREIMAS A.-J., De l’imperfection, op.cit. pp.79-88.

260.

Ibid., p.86.

261.

Pour Barthes, nous la retrouvons relativement à la loi et aux excès de la mode (‘’justesse’’).

262.

Pour Floch, elle pourrait être assimilée au Juste Milieu (Identités Visuelles).

263.

Pour Greimas (La mode en 1830), la Gestalt accompagne l’hyperbole (cf. ‘’bon goût’’).