En discours, chaque collection crée son propre réseau de valeurs. Celles-ci y effectuent un certain parcours et sont ainsi confrontées à la dynamique de la marque. Les valeurs seront d’ailleurs l’axe principal de la constitution de l’identité des marques. Cette dernière sera dépendante de la façon dont chaque maison crée son propre système de valeurs.
Les maisons que nous retenons font partie de la haute couture française. Le choix des maisons de couture est assez représentatif des problèmes d’identité 311 . Rester le même tout en changeant et en s’adaptant à l’air du temps. Valentino est le membre invité (-honoré) chaque année, avec qui les collections débutent. L’élément ou le principe à respecter est la fidélité à la clientèle. De profil conservateur, les défis à éviter sont la répétition et l’ennui.
Gaultier, envisagé comme le successeur de Yves Saint Laurent a intégré la haute couture ces dernières années 312 . Il travaille à marier des éléments en apparence peu compatibles, ou paradoxaux, comme l’humour et la rigueur de la couture : Il juxtapose avec subtilité la sensualité et la sexualité, l’ironique et la précision du vêtement.
Dior est une maison avec une longue tradition, qui se montre capable à s’adapter aux besoins du présent sans pour autant nier son histoire. Il est caractérisé par un esprit de détournement et de surprise.
Chez Givenchy se posent les difficultés d’adaptation du style personnel d’un créateur qui vient de collaborer avec la maison de couture ayant une longue tradition.
Le sexy est l’élément phare pour Versace. Cette maison est sur un fil constamment tendu : comment ne pas basculer de l’ultra sexy au vulgaire.
Pour Ungaro, le passé est revisité dans le ton de la nostalgie. Le défi dans ce cas précis consiste à adapter la modernité avec le passé.
Lacroix est présent aux défilés ces dernières années avec sa propre maison. Le défi de la maison consiste à marier l’originalité assez spécifique (baroque), avec l’air du temps.
Le dépassement du cadre des catégories sémantiques acceptées par la haute couture pourrait mettre en « péril » l’équilibre de chaque maison de couture. Ainsi, par exemple le danger pour Versace est de tomber dans la /vulgarité/ ; pour Gaultier dans le /sarcastique/ ou le /ridicule/ ; Pour Givenchy d’être en décalage avec l’air du temps et les autres maisons de couture 313 . Ungaro pourrait être plongé dans le passé et la nostalgie, sans plus de contact avec le présent ; La /douceur/ de Lacroix pourrait éventuellement devenir /mollesse/ ; Valentino pourrait se montrer snob (sa fidélité à sa clientèle pourrait exclure un grand nombre des femmes-non acheteuses) et prévisible à cause de la répétition ; enfin Dior qui est tellement tourné vers l’art et a de la mode une conception quasi-philosophique en vient à créer des vêtements qui ne sont pas pratiquement portables.
A partir de l’étude des maisons de couture, nous allons nous poser une série des questions :
1) Comment évoluent les valeurs au sein des maisons de couture d’une vieille tradition ? Comment s’adaptent-elles aux nouveaux besoins ? Quelle est leur façon de se renouveler ? Est-ce que la valeur /élégance/ par exemple est la même chez Givenchy pour chaque saison ou par rapport à une autre maison de couture ? Comment les jeunes créateurs s’adaptent-ils dans un univers où les valeurs de la marque sont déjà imposées?
2) Y–a-t-il des valeurs spécifiques au domaine de la mode et/ou la haute couture ? Existe-t-il des valeurs fortes et faibles, des valeurs dominantes et récurrentes qui caractérisent chaque marque ? Les maisons s’en tiennent-elles à ces valeurs ou les dépassent-elles ? Les débordent-elles ? En quoi s’en différentient-elles ?
3) Comment une maison saurait-elle gérer la tension entre les valeurs de la mode en contradiction avec ses valeurs spécifiques ? Comment par exemple la maison Versace — avec des sèmes spécifiques, provocation et sexualité — est-elle acceptée au sein de la haute couture qui, elle pour sa part, est déterminée par les sèmes /classe/ et /non-vulgarité/ ?
Nous nous focaliserons aussi bien sur le rapport de la valeur avec la langue que sur le rapport de la valeur avec le discours. La valeur est considérée sur l’axe paradigmatique, en comparaison avec les autres valeurs et poussée à ses extrémités sur l’axe syntagmatique. Les questions de l’association (syntaxe) des valeurs entre elles et de leur évolution au sein de chaque marque ainsi que l’interaction avec les autres marques seront examinées au sein du discours, défini comme un ensemble signifiant.
Pour de raisons purement pratiques, nous avons négligé les maisons telles que YSL, ou Channel, aussi bien que les nouveaux créateurs.
Cf. les commentaires ci-dessous : off track (Givenchy), déception (Valentino).