b) L’attrait technique

Les spectateurs se rendent également aux projections cinématographiques pour assister à des performances technologiques. L’époque, il est vrai, est friande d’inventions : le succès des expositions universelles est là pour le prouver. Or, jusqu’en 1914, le spectacle cinématographique conserve en partie le caractère d’attraction, d’invention scientifique, du cinématographe. Jusqu’aux années 1907-1908, les encarts publicitaires insérés par les exploitants mettent tout autant l’accent sur le contenu des films que sur la qualité de la projection. En avril 1907, la salle du Pathé-Grolée proclame ainsi que « son colossal succès provient de l’installation absolument scientifique, en même temps que luxueuse et confortable, de ce cinématographe, le seul qui ne tremble plus 225  » Au cinéma Bellecour, on assure que les projections ont obtenu « deux grands prix, 5 médailles d’or et de nombreuses autres récompenses dans les dernières expositions » D’ailleurs, les toutes premières salles de cinéma sédentaires présentent au public des films, certes, mais aussi une nouvelle application du cinématographe : cinématographe géant au cinéma Idéal en 1905, « théâtrophone et luxorama » au cinéma Modern en 1906 226 .

Cet intérêt pour les possibilités techniques du cinéma s’exprime aussi dans les films d’animation ou à effets spéciaux. En 1908, près de 10 % de la production Pathé est encore composée de « scènes à trucs et transformations 227  », scènes que l’on retrouve périodiquement au programme des salles lyonnaises. En 1909, le Royal Vio projette par exemple Le cerceau merveilleux et Les allumettes magiques, films d’animation réalisés par Emile Cohl, qui « ont bluffé les spectateurs par leurs trucs 228  »

Avec la place prépondérante occupée progressivement par les films de fiction dans les programmes, le caractère technique du cinéma est de moins en moins mis en avant dans les encarts publicitaires. Mais il perdure sous deux formes : le cinéma en couleur et le cinéma parlant. Le cinéma en couleur est presque aussi vieux que le cinématographe. A l’origine, les vues sont coloriées à la main et dénommées « projections polychromes 229  ». A partir des années 1907-1908, les programmes des cinémas comportent une ou plusieurs vues en couleur, particulièrement dans les salles associées à la société Pathé frères 230 . En 1909, un procédé – véritable, semble-t-il – de cinéma en couleurs, le Kinemacolor, est présenté à la Scala sans que des titres de films ne soient annoncés dans la Presse 231  : le public, a priori, est invité à venir voir en priorité le procédé lui-même. Dans les programmes de salles de cinéma, la couleur est un véritable argument de vente et les exploitants surenchérissent : au Royal Vio, en 1913, on annonce « 3 500 mètres de programme dont 2 200 en couleurs 232  ». Les spectateurs viennent tout autant, pour partie d’entre eux, voir la réalité en couleur que voir les films en eux-mêmes.

Le cinéma parlant constitue sans doute le meilleur exemple de l’aspect technique des projections cinématographiques. Martin Barnier en a fait l’histoire 233 . On retrouve notamment à Lyon le Ciné-phono Pathé au cinéma Grolée en 1908 234 , puis les filmparlants et phonoscènes Gaumont à la Scala à partir d’août 1912 235 , à la Gaieté Gambetta en janvier 1914 236 . Avec ces procédés, les grands noms du café-concert parisien, tels Charlus, s’invitent à Lyon. Voir et entendre une vedette de la scène chanter ou danser sans qu’elle ne soit physiquement là constitue assurément pour le public de l’époque un véritable exploit technique.

Le cinéma ne se départira jamais des prouesses technologiques. Avec le développement du long-métrage, ce sont les prouesses de réalisation qui sont mises en avant : nombre de figurants, importance du métrage – donc de la durée – du film, richesse des décors, etc. Un exemple : en 1911, est programmé au cinéma Grolée Le siège de Calais, « page d’histoire, scène la plus grandiose présentée à ce jour : 2000 personnes et 300 chevaux en scène, jouée dans des sites merveilleux avec leurs couleurs naturelles grâce au Pathécolor, dernier progrès de la science moderne ». Difficile alors de savoir si le public se déplace pour l’histoire, l’ampleur de la réalisation, la beauté des décors ou la couleur. La technologie constitue toujours un des attraits du 7ème Art : du cinémascope aux images numériques, les nouveaux procédés techniques encadrent l’histoire du cinéma, et sont parfois, pour les spectateurs, aussi attractifs que les stars.

Notes
225.

Lyon-Républicain, 2 avril 1907.

226.

Lyon-Républicain, 13 octobre 1906.

227.

LE FORESTIER Laurent, L’industrialisation…, op. cit., page 413.

228.

Lyon-Républicain, 14 mars 1909.

229.

Publicité de l’Ultra-cinéma-phono (Le Progrès, 6 février 1906).

230.

Lyon-Républicain, 13 novembre 1908 et 10 octobre 1909.

231.

Idem, 7 octobre 1909.

232.

Idem, 21 mars 1913.

233.

BARNIER Martin, « Technologie de sonorisation à Lyon en 1905-1906 », in GAUDREAULT André, RUSSELL Catherine et VERONNEAU Pierre [dir.], Le cinématographe, nouvelle technologie du XX e siècle, Lausanne, Editions Payot, 2004, pages 361-372. BARNIER Martin, « Une histoire technologique : l’exemple du son avant le parlant », op. cit.

234.

Lyon-Républicain, 5 mars 1911.

235.

Idem, 26 août 1912.

236.

Idem, 14 janvier 1914.