Chapitre II. Les cinémas dans la ville : la distinction des publics

En 1914, le spectacle cinématographique s’est véritablement imposé comme un spectacle de masse. L’ampleur de sa diffusion dans l’agglomération lyonnaise semble aller dans le sens d’une unification culturelle de la société urbaine sinon d’une réelle démocratisation du spectacle. Mais, pour Marcel Roncayolo,

‘« Les cas de « démocratisation » [de la culture urbaine] ne manquent pas. Mais ne sont-ils pas en partie illusoires ? Chaque démocratisation d’une institution culturelle, d’un comportement ou d’une consommation, ne s’accompagne-t-elle pas de la création d’une nouvelle barrière ou d’un nouveau signe distinctif, réservé aux privilégiés et d’abord à la catégorie la plus exigeante, celle qui créée les modes culturelles […] ?  301  »’

L’évolution du spectacle cinématographique dans l’agglomération lyonnaise correspond en grande partie à ce postulat. Entre 1905 et 1909, le cinéma en salles, concentré dans le centre et les beaux quartiers, s’oppose directement au cinéma forain des foires de quartier. La diffusion des salles de cinéma sur l’ensemble du territoire urbain à partir de 1910 ne change pas réellement la donne. L’éclosion des petites salles de quartier est en effet coïncide avec l’ouverture de grands établissements sur la presqu’île et la rive gauche du Rhône. Si aller au cinéma devient une pratique de masse qui transcende les distinctions sociales, géographiques ou culturelles, la diversité des exploitations cinématographiques les perpétuent.

La hiérarchisation de l’exploitation cinématographique est aussi celle du spectacle lui-même. La qualité, la richesse et la fraîcheur des programmes sont en effet conditionnés par les moyens financiers, fort inégaux, des exploitants. Les principaux établissements cinématographiques proposent alors, à des tarifs élevés, des représentations qui se rapprochent de l’exploitation théâtrale tandis que les petites salles, meilleur marché, offre nécessairement un spectacle de moindre envergure. Ce déséquilibre découle avant tout de la profonde diversité des exploitants, fondateurs ou repreneurs, de lieux de projections cinématographiques.

Notes
301.

Roncayolo Marcel, La ville et ses territoires, Paris, Gallimard, collection Folio/Essais, 1987, page 79.