c) L’accueil du public

Les grands établissements cinématographiques adoptent rapidement une politique d’exploitation sur le modèle du théâtre, qui se traduit notamment dans les services proposés à la clientèle et qui visent en priorité un public plutôt bourgeois ou en tout cas susceptible d’être attiré par les pratiques bourgeoises. C’est, déjà, la vente d’un programme, qui remplace dans un certain sens le livret des théâtres. Ceux du Pathé-Grolée donnent le programme de la semaine, les tarifs mais aussi le résumé de certains films dès 1907 482 . Vendu 15 centimes, c’est une dépense supplémentaire pour le spectateur, non obligatoire certes, mais qui déjà introduit une certaine hiérarchie entre les publics. Cette pratique se généralise après 1910 en étant reprise par toutes les salles qui cherchent à offrir au public un visage prestigieux.

Illustration 4. Programme du cinéma de la Scala
Illustration 4. Programme du cinéma de la Scala

(Source : Institut Lumière, programme du 1er décembre 1913)

Illustration 5. Programme du cinéma Palace
Illustration 5. Programme du cinéma Palace

(Source : Institut Lumière, programme du 3 décembre 1913)

Illustration 6. Programme du cinéma Artistic
Illustration 6. Programme du cinéma Artistic

(Source : Institut Lumière, programme du 25 avril 1913)

D’autant plus que les programmes sont une source de revenus, modestes certes mais bien réel. On retrouve la vente de programmes au cinéma de la Scala, au cinéma Royal, au cinéma Bellecour après 1912 483 . Les prix sont à peu près uniformes, et vont de 10 à 25 centimes. Lors de la saison 1912-1913, le Royal vend 75 420 programmes à ses 175 000 spectateurs 484 . La clientèle qui se rend au cinéma de la place Bellecour est donc prête à débourser 10 centimes en sus du prix de la place.

Les programmes des salles de cinéma du centre-ville, qu’ils soient ou non vendus, sont significatifs du public que ces établissements cherchent à attirer. Les personnages qui y sont représentés, spectateurs symboliques, appartiennent sans conteste à la grande bourgeoisie (cf. illustrations 4 et 5) qui fréquente les salles théâtrales. D’ailleurs, peu d’éléments, sinon aucun, font explicitement référence au cinéma sur ces programmes. A ce titre, celui du cinéma Artistic (cf. illustration 6) est caractéristique. On y trouve une partition et des instruments de musique ainsi qu’un masque de comédie mais rien qui ne renvoie au spectacle cinématographique proprement dit. Les salles de cinéma de la presqu’île s’affichent donc avant tout comme des salles de concert ou de théâtre, une identité revendiquée dans leur appelation même (« Ciné-Théâtre », cf. illustrations 5 et 6).

Autre pratique héritée des grandes salles de spectacle, la possibilité de réserver ses places à l’avance. Lorsque le Pathé Grolée propose ce service en 1907, c’est en échange d’un supplément au tarif (25 centimes la place, ce qui équivaut presque à une entrée dans une salle plus modeste). Ce parti pris montre clairement quel public est visé. Le principe se généralise et devient gratuit mais il n’est concevable que dans les salles dont les séances sont régulières et non permanentes. Les établissements du centre, comme le cinéma Bellecour, restent ainsi ouverts en dehors des séances cinématographiques pour accueillir le public qui voudrait réserver ses places 485 .

A l’intérieur même des principaux établissements de la ville, un vestiaire est proposé à la clientèle. Celui-ci est très certainement payant, il l’est en tout cas au Royal où il rapporte pour la saison 1912-1913 la somme de 1 256 francs 486 . Il ne doit donc pas être très utilisé, mais il permet aux spectateurs les plus exigeants de bénéficier d’un confort certain. Au cinéma Royal, enfin, le tea-room, qui n’est pas toujours accessible à tous, offre à la clientèle un cadre feutré.

Enfin, l’accueil du public pose la question des ouvreuses, sur lesquelles je n’ai malheureusement aucune information avant 1914. Elles sont plusieurs à la Scala en 1917 487 , et trois au moins au cinéma des Terreaux durant la guerre 488 . Dans les petites salles de quartier, les spectateurs se placent très certainement eux-mêmes : il est certain qu’il n’existe aucune ouvreuse au cinéma du ménage Kalbfeis, à Vaise, et aucune non plus au cinéma de Jérôme Dulaar à la Croix-Rousse 489 .

Notes
482.

AML : 5 Fi 007 : Programme du cinéma Pathé-Grolée daté du 1er novembre 1907.

483.

AML : 5 Fi 001 à 059 et INSTITUT LUMIERE : programmes des cinémas.

484.

ADR : P 157 : Dossier du Royal-cinéma, bilan financier de la saison 1912-1913.

485.

Lyon-Républicain, 13 mars 1914.

486.

ADR : P 157 : Dossier du Royal-cinéma, bilan financier de la saison 1912-1913.

487.

AML : 1129 WP 016 : Lettre d’un particulier datée du 30 mai 1917.

488.

ADR : P 94 : Dossier de Claude Lextrat, requête datée d’octobre 1923.

489.

ADR : P 33 (cinéma Dulaar) et P 85 (cinéma Kalbfeis).