III. La hiérarchisation du spectacle

Le spectacle cinématographique est, entre 1905 et 1914, en perpétuelle mutation. La tentation constante d’acquérir une certaine respectabilité, c’est à dire de se rapprocher progressivement de l’exploitation théâtrale, pousse les principales sociétés d’édition et d’exploitation d’une part à proposer un spectacle de plus en plus long qui puisse rivaliser avec les pièces jouées sur scène, et d’autre part à sacraliser les films avec la mise en place de la location et d’une circulation hiérarchisée. Cette hiérarchisation du spectacle est plus subie que choisie par les exploitants, en tout cas les plus modestes. Ouvrir une salle sans réel confort et cibler une clientèle plus populaire est une chose, proposer un spectacle de moindre envergure en est une autre. Limités par leur puissance financière et les règles de l’industrie qui se mettent progressivement en place, les petits exploitants ne peuvent que suivre le mouvement. Se dessine alors une hiérarchie des exploitations selon le métrage de films proposé chaque semaine aux spectateurs, selon la qualité des films eux-mêmes et enfin selon la fraîcheur des programmes. Hiérarchie directement liée aux ressources financières des exploitants. Lors de la saison 1913-1914, la recette annuelle de la Scala dépasse les 300 000 francs, celle du Royal avoisine les 200 000 francs. Elle est quatre fois moindre (45 000 francs) au cinéma Splendor situé aux abords de la place des Terreaux, et dix fois moins importante (16 000 francs) dans la salle d’Eugène Kalbfeis à Vaise 521 . Des palaces aux petites salles du centre ville, des salles du centre-ville aux salles de quartier se développe une hiérarchie des établissements cinématographiques qui pèse directement sur la qualité du spectacle proposé aux différents publics de la ville.

Notes
521.

D’après les rapports de l’inspection des contributions directes enquêtant sur les bénéfices de guerre. ADR : P 53 (Dossier de M . Froissart, cinéma de la Scala), P 158 (Dossier du Royal-cinéma), P 111 (Dossier de Joseph Micheletti, cinéma Splendor) et P 85 (Dossier d’Eugène Kalbfeis).