c) Le spectacle se fixe

Les étapes qui conduisent à l’uniformité des séances de cinéma, bien réelle au milieu des années 1920, sont difficile à identifier. Avant les années 1926-1927, peu de salles en effet donnent leurs programmes dans la presse, ce qui empêche toute analyse d’ensemble de l’exploitation cinématographique, y compris sur la durée des séances. Bien sûr, le long-métrage s’impose pendant et après la guerre, c’est un fait avéré pour l’ensemble de la production cinématographique mondiale. Le public s’habitue désormais à un programme composé d’une première partie (actualités, petits films comiques et documentaires) et d’un grand film, dont le modèle s’était déjà imposé dans les salles les plus prestigieuses. Mais toute la question est de savoir à partir de quand ce programme devient unique.

On se souvient qu’en 1914, la durée des séances et leur nature différaient beaucoup selon les exploitations. Des programmes de deux ou trois heures proposés par les principales salles – avec en général le clou du spectacle que constituaient les premiers longs métrages – au spectacle permanent d’une petite heure proposé par les petites exploitations du centre et de la rive gauche, que de différences. Ces différences, la guerre n’y met pas fin, loin de là : dans une lettre de janvier 1918, le président du Syndicat patronal de la cinématographie lyonnaise, C.V. Louis, demande la prolongation de la durée des matinées pour les petites salles du centre-ville car :

‘« Ces établissements situés dans le centre sont uniquement fréquentés par des personnes ayant une heure à dépenser l’après-midi et toujours entre 4 heures et demie et 6 heures. Comme cette clientèle ne va pas le soir au cinéma ces exploitants ne peuvent espérer aucune compensation » 650

Preuve que le programme composé est encore d’actualité à l’époque, et que le long-métrage ne s’est pas encore imposé. D’ailleurs, les restrictions d’horaires entre 1916 et 1918, et notamment l’obligation de fermer les établissements à 21H30 ou 22H ne privilégient pas les grandes soirées de plusieurs heures, loin s’en faut. Mais qu’en est-il après la guerre ? Nul doute que l’entente des maisons de distribution en 1919 sur les modalités de location des films n’ait fortement contribué à l’uniformisation des programmes, mais aucun élément ne permet de mesurer cette influence. La même année, une enquête des sapeurs-pompiers dans l’ensemble des salles de la ville relève que près de la moitié d’entre elles (seize sur les trente-deux dont on connaît le détail) ne sont pas équipées d’un double projecteur 651 . En outre, le cinéma Gerland qui ouvre ses portes en 1920, n’est semble-t-il équipé que d’un poste simple, tout comme le cinéma Fantasio ouvert en 1922 dans le quartier de Montchat 652 . Rappelons que le double projecteur permet de projeter un film de plus de 20 minutes sans interruptions, et que sans cet appareil, la projection d’un film d’un peu plus d’une heure nécessite quatre longues interruptions. Il semble donc qu’au début des années 1920 encore, le long-métrage soit loin de caractériser la majorité des séances.

Pour autant, en 1925, le pli est pris et l’ensemble des salles de cinéma, grandes et petites, dont le programme est inséré dans Le Progrès de Lyon organise des séances avec première partie et grand film. Le spectacle permanent a disparu de l’agglomération et ne réapparaîtra pas avant le milieu des années 1930. Aller au cinéma, c’est désormais aller voir au moins un grand film. Actualités et documentaires sont concentrés au début de la séance tandis que les séances de cinéma parlant disparaissent. Seules quelques projections de cinéma en relief 653 perpétuent l’aspect technologique du spectacle cinématographique. Mais dans l’ensemble, celui-ci est désormais indissociable du long-métrage.

Notes
650.

ADR : 5 M 6 : Lettre de C.V. Louis au secrétaire général pour la police datée du 22 janvier 1918.

651.

AML : 1271 WP 021 : Fiches des salles de cinéma de Lyon.

652.

Idem : Fiches des cinémas Gerland et Fantasio.

653.

Ainsi au cinéma Gloria, Le Cri de Lyon n° 79, 20 octobre 1921.