1) Les objectifs

a) Occuper, éduquer : les enfants d’abord

Les enfants constituent l’enjeu premier et principal du développement du cinéma par les catholiques et la municipalité lyonnaise. Cette mobilisation intervient suite à la prise de conscience de l’influence du cinéma , réelle ou supposée, et face à la situation de l’enfance alors que les pères de famille sont à la guerre. La première salle de cinéma catholique, l’Etoile, ouverte pendant la guerre, est clairement destinée aux enfants, et c’est pour eux bien sûr que la ville adopte en 1918 le principe du cinéma scolaire.

Pour les élus lyonnais, il s’agit au départ d’éduquer les enfants par l’image, et d’utiliser de ce fait le cinématographe pour l’enseignement en classe. Les projections sont destinées à appuyer les propos des professeurs :

‘« Il y a quinze à vingt ans, dans l’enseignement primaire, , on a vulgarisé les leçons de choses. Il n’y a pas de leçons de choses qui soit plus instructive que le cinématographe. Pour enseigner la géographie, par exemple, est-ce que vous croyez qu’au lieu de faire une leçon sur l’Algérie, il ne vaudrait pas mieux faire défiler sous les yeux des enfants des documents précis ? Pour les sciences, pour la mécanique, pour la biologie, pour la métallurgie, il en est de même. Je vous citais tout à l’heure l'exemple des hauts fourneaux. L’enfant ne saura jamais ce que c’est si on ne lui montre pas sur l’écran. Donc, le cinématographe peut être l’occasion de la création de toute une pédagogie nouvelle et je veux réserver le bénéfice de cette initiative à nos petits concitoyens, qui ont bien besoin qu’on s’occupe d’eux en ce moment-ci 684  »’

Mais très vite, il s’agit aussi d’utiliser le cinéma pour les loisirs et le temps extra-scolaire. Le souci premier des éducateurs est de soustraire l’enfant à l’oisiveté et à la rue lorsqu’il n’a pas classe, de l’occuper en dehors des temps scolaires. C’est en tout cas celui de la municipalité lyonnaise, qui remet sur pieds à partir de 1921 les garderies municipales, disparues pendant la guerre. Mais que vient faire le cinéma ici ? Le spectacle cinématographique apparaît en fait comme le meilleur moyen pour attirer la jeunesse dans les locaux peri-scolaires et la sortir de la rue. Le cinéma est devenu en effet un outil indispensable à la bonne tenue des garderies : à l’Ecole de la Guillotière, on constate une désaffection notable – un peu plus de 20 % – du nombre d’élèves fréquentant la garderie du jeudi depuis que les séances cinématographiques ne peuvent plus être organisées 685 . Durant la rentrée 1926, l’instituteur chargé de la garderie à l’école de la route de Vienne annonce 90 inscrits et précise « ce nombre s’accroîtra d’ailleurs lorsque la rentrée sera complète et surtout lorsque les enfants auront été prévenus qu’ils seront conduits au cinéma 686  ». Ce souci d’occuper efficacement les enfants va entraîner un glissement des séances éducatives vers les séances récréatives. La municipalité lyonnaise va de fait rapidement promouvoir un véritable spectacle cinématographique capable de concurrencer le cinéma commercial.

Il n’est pas certain que cet aspect du cinématographe constitue la raison principale de l’adoption du cinéma par les catholiques. Plus sensibles certainement que les autorités municipales sur les questions de morale, les catholiques cherchent avant tout à donner une éducation qui leur est propre et à détourner les enfants du cinéma commercial.

Notes
684.

AML : Bulletin Municipal Officiel : Séance du Conseil municipal du 13 mai 1918, Intervention d’Edouard Herriot.

685.

AML : 0110 WP 011 : Lettre d’un instituteur datée du 17 mars 1926

686.

Idem : Lettre d’un instituteur datée du 16 octobre 1926