C’est à la suite des discussions sur la moralité des films au Conseil municipal qu’émerge l’idée de constituer des séances de cinéma scolaire dans les écoles lyonnaises. Sur une initiative d’Edouard Herriot, les conseillers municipaux votent lors de la séance du 13 mai 1918 746 l’institution d’un cinéma scolaire, pour l’heure réservé aux élèves des écoles de la ville. Aussitôt, les propositions affluent : Pathé offre ses services et certains exploitants proposent leur établissement pour organiser les projections du cinéma éducateur 747 . Réticents à l’idée de composer avec les professionnels de l’industrie cinématographique, les élus décident finalement d’installer les appareils cinématographiques dans les écoles. En novembre 1918, le Conseil municipal décide d’installer un cinématographe dans le groupe scolaire de la place Jean Macé 748 . Il est bien entendu que cette installation constitue la première tranche d’un ensemble plus vaste, en même temps qu’expérimental (il n’existe de fait aucun exemple sur lequel s’appuyer en France). Si l’expérience est concluante, deux autres appareils seront installés dans les groupes scolaires de la place Morel et de la rue Tissot. Si l’on écarte du projet les professionnels de l’exploitation cinématographique, les élus lyonnais sont en revanche bien obligés de transiger avec l’industrie cinématographique pour obtenir des films. C’est la maison Pathé qui fournit à la ville ses premiers programmes en février 1919 749 .
Le cinéma scolaire fonctionne à partir de cette date mais il est interrompu dès l’année suivante. D’après les dires d’Edouard Herriot, le système fonctionnait « assez péniblement », sans qu’il ne précise quelles difficultés ont été rencontrées, à l’exception de la qualité des films Pathé qui « n’ont pas été très bons 750 » Pour autant, le principe n’est pas abandonné. Entre 1920 et 1921, huit groupes scolaires se dotent d’un appareil cinématographique ; mais contrairement à l’installation de la place Jean Macé, la plupart des ces appareils sont portatifs 751 . Le budget alloué au cinéma scolaire est, il est vrai, assez limité : un peu plus de 5 000 francs pour l’année 1920 752 . Ces deux premières années d’expérimentation sont donc assez difficiles, mais elles vont profiter à la municipalité et influer sur ses choix lorsqu’en mai 1921 se forme une commission du cinéma scolaire chargée d’installer définitivement le cinéma éducateur.
Depuis le début de l’année, en effet, la Ville de Lyon a réinvesti le projet du cinéma scolaire. Edouard Herriot réaffirme en mars sa volonté d’organiser des projections dans chaque quartier de la ville 753 , peu de temps avant que s’achève l’installation d’un poste cinématographique complet dans la salle des fêtes du groupe scolaire Saint-Just 754 . C’est que l’on compte désormais, en sus des projections d’enseignement (pour lesquelles les appareils portatifs suffisent), organiser des séances récréatives pour les enfants les jeudis après-midi. C’est sur ce point que se concentre l’attention de la commission municipale du cinéma scolaire, qui se réunit à trois reprises entre mai et juin 1921. Les professionnels de l’industrie cinématographique, exploitants comme maisons de locations, y sont invités. De fait, les élus lyonnais ne repoussent plus l’idée d’organiser les séances de cinéma pour les enfants des écoles dans les salles commerciales. La volonté d’organiser les jeudis des séances devant plusieurs dizaines voire plusieurs centaines d’enfants nécessite une installation cinématographique performante. Face au fait que la plupart des appareils installés dans les écoles sont inadaptés à ce genre de projection, les membres de la commission concluent rapidement qu’« il serait bon de chercher une entente avec les tenanciers de salle 755 ». En juin 1921, ceux-ci donnent leur accord de principe avec l’assurance que les parents ne seraient pas admis aux séances 756 . Les exploitants ne se soucient pas, semble-t-il, de perdre les jeunes spectateurs mais sont intransigeants sur le public adulte. Quant aux représentants des maisons de distribution, pour qui le cinéma scolaire constitue après tout un nouveau client, ils soutiennent activement la municipalité et lui proposent sur leurs programmes des tarifs de location modérés 757 .
Les travaux de la commission débouchent sur l’institution d’une véritable structure avec la désignation, en juillet 1921, de Gustave Cauvin comme « agent technique du service du cinéma scolaire 758 ». Ce dernier n’est pas un néophyte en la matière. Depuis 1910, il organise des conférences sociales et didactiques dans lesquelles les films tiennent la première place 759 . Fermement persuadé du rôle éducatif du cinéma, il va consacrer tous ses efforts à l’organisation de séances de qualité, alliant films de divertissement et films d’enseignement.
Au mois de septembre 1921, la machine est en route. Gustave Cauvin et Edouard Herriot écrivent aux principaux industriels de la ville pour recueillir des subventions, et obtiennent plus de 8 000 francs en moins de deux mois (dont 5 000 francs des seuls Lumière & Gillet) 760 . La municipalité peut alors facilement voter un crédit prévisionnel de 10 000 francs pour le fonctionnement du cinéma scolaire 761 , dont les services s’installent provisoirement au groupe scolaire situé 126 grande rue de la Guillotière. Renseignements et films sont disponibles les jeudis matin 762 .
Les premières séances récréatives régulières du cinéma scolaire débutent le jeudi 27 octobre 1921. Trois projections de deux heures sont organisées simultanément dans trois salles municipales 763 . Au mois de décembre, des projections sont assurées dans le groupe scolaire Saint-Just et au cinéma Diderot (loué à cet effet), portant à cinq le nombre de séances hebdomadaires 764 . Dès lors, le cinéma scolaire de la ville de Lyon se développe de façon exponentielle. La municipalité lui consacre une somme de 25 000 francs en 1922 765 et reçoit en 1923 le soutien financier du ministère de l’Instruction publique 766 . L’activité du cinéma scolaire est au diapason des efforts qu’on lui consacre : de la saison 1921-1922, à celle de 1923-1924, le nombre de séances organisées quintuple, passant de 326 à 1 650.
AML : Bulletin Municipal Officiel : Séance du conseil municipal du 13 mai 1918.
AML : 0111 WP 018 : Lettres de Sibuet, directeur du cinéma Fantasio, datée du 15 mai 1918, et de Charles Poinçon, datée du 24 octobre 1918.
AML : Bulletin Municipal Officiel : Séance du conseil municipal du 4 novembre 1918.
AML : 0111 WP 018 : Contrat de location passé avec la maison Pathé, 1er février 1919.
AML : Bulletin Municipal Officiel : Séance du 12 janvier 1920.
AML : 0110 WP 012 : Commission du cinéma scolaire, séances des 11 et 18 mai 1921.
Idem : Note non datée.
Idem : Article du Journal, 12 mars 1921.
AML : 0923 WP 185 : Œuvres post-scolaires, rapport sur l’installation du cinéma dans le groupe scolaire Saint-Just, 12 avril 1921.
AML : 0110 WP 012 : Commission du cinéma scolaire, séance du 11 mai 1921.
Idem, séance du 8 juin 1921.
AML : 0110 WP 012 : Commission du cinéma scolaire, séance du 8 juin 1921.
AML : 0923 WP 185 : Œuvres post-scolaires, arrêté du 21 juillet 1921.
BORDE Raymond et PERRIN Charles, op. cit., pages 11-12.
AML : 0110 WP 012 : Financement du cinéma scolaire, projets de lettres envoyées aux industriels en septembre 1921 et inventaire des sommes reçues entre le 8 octobre et le 21 novembre 1921.
AML : 0110 WP 012 : Séance extraordinaire du Conseil municipal du 17 octobre 1921.
Idem : Lettre du service du cinéma scolaire datée du 26 octobre 1921.
Idem : Descriptif des programmes, 28 octobre 1921.
Idem : Rapport des services du cinéma scolaire, décembre 1921.
Idem : Financement du cinéma scolaire : état des dépenses du cinéma scolaire, 31 août 1922.
Idem : Depêche du ministère de l’Instruction Publique, 5 décembre 1923.