c) La promotion du spectacle

Les séances récréatives du jeudi

Les séances de cinéma organisées les jeudis après-midi pour les enfants des garderies municipales constituent l’activité privilégiée du cinéma éducateur. Celui-ci a d’ailleurs été institué au moment même où les garderies lyonnaises, fermées pendants la guerre, commençaient à rouvrir leurs portes 780 . Les séances récréatives du jeudi, entre 1921 et 1929, se multiplient au gré de la reconstitution des garderies, mais cette multiplication correspond également aux vœux du Conseil municipal qui veut faire profiter tous les enfants des écoles publiques du cinéma. En 1925, des séances cinématographiques sont organisées dans chaque arrondissement de Lyon et près de 2 000 élèves assistent chaque semaine aux projections dans dix établissements différents 781 . Quatre ans plus tard, le nombre de séances hebdomadaires a doublé : en 1929, ce sont désormais vingt lieux de projection qui fonctionnent simultanément les jeudis dans la ville de Lyon 782 . A Villeurbanne, plus de 1 000 enfants assistent chaque semaine aux séances du cinéma éducateur en 1926 783 .

Les enfants sont pour beaucoup conduits dans une salle de cinéma commerciale du quartier, dont la plupart ne fonctionnent pas habituellement les jeudis après-midi. Les élèves du quartier de Vaise vont ainsi au cinéma Darnas et ceux de la Croix-Rousse au cinéma Lacroix en 1923 784 . Les enfants ont donc réellement l’impression d’aller au cinéma puisqu’ils se rendent là où peut-être vont leurs parents le samedi soir. Mais cette sortie n’est pas sans problème ; le cinéma n’est pas toujours à proximité de l’école :

‘« J’ai consulté le personnel de la Cité filles et garçons au sujet du cinéma de la route de Crémieux. Tout le monde trouve que c’est trop loin. Avec les jeunes enfants des 5e classes qui sont les plus nombreux et qui ne marchent pas vite il nous faut presque ¾ d’heures pour aller et autant pour revenir 785  » ’

Les responsables des patronages laïcs font donc pression sur les autorités municipales pour obtenir une installation cinématographique au sein des groupes scolaires. Plusieurs l’obtiennent, mais en 1929, la moitié des séances du jeudi sont encore organisées dans des salles commerciales 786 . Certains personnels de garderie n’hésitent pas à pratiquer un cinéma éducateur « sauvage », en dehors de l’organisation de l’ORCEL. C’est ainsi que les enfants de deux écoles du quartier Monplaisir se retrouvent face à l’écran – et aux films – du Cristal-Palace 787 . Les élèves du quartier Berthelot vont eux les jeudis après-midi au cinéma Comœdia, où ils assistent aux programmes choisis par le propriétaire de l’établissement, programmes que l’inspecteur des écoles primaires de Lyon juge « assez discutables, trop souvent 788  ». L’enjeu est de taille. Gustave Cauvin, reprenant très certainement l’exemple du cinéma Comœdia, juge que les enfants sont confrontés à des films assez litigieux du point de vue de la morale (Carmen, Fleur de Lotus) mais aussi à « des films merveilleusement montés en vue d’une active propagande religieuse comme La rose effeuillée 789  » Ce qui, pour ce républicain engagé, est la négation même de ses efforts.

Les enfants, conduits dans des salles de cinéma commerciales, ont d’autant plus l’impression de se rendre à une séance normale qu’ils payent un droit d’entrée. L’ORCEL, lorsqu’il fournit les programmes et loue lui-même les salles, demande une participation de 20 centimes par élève. Au cinéma Comœdia, les enfants payent 60 centimes, tarif fixé par l’exploitant 790 . Bien sûr, ce n’est pas cher mais les séances de cinéma éducateur n’en sont pas moins, finalement, assimilées aux séances commerciales.

Notes
780.

AML : 0110 WP 011 : Lettre de l’Inspecteur d’académie du Rhône, datée du 28 juin 1921.

781.

AML : 0206 WP 002 : Lettre de l’ORCEL datée du 1er juillet 1925 et 0110 WP 011 : lettre du groupement départemental de l’enseignement laïc du Rhône, daté du 27 mars 1925.

782.

CAUVIN Gustave, Perséverer, brochure éditée par l’ORCEL, Lyon, 1929.

783.

AMV : Carton Cinéma n° 1 : Cinéma éducateur, rapports de fréquentation établis par les instituteurs.

784.

AML : 0110 WP 011 : Lettre du groupement départemental de l’enseignement laïc du Rhône, datée du 24 novembre 1923.

785.

AMV : Carton Cinéma n° 1 : Cinéma éducateur, lettre du 31 décembre 1925.

786.

AML : 0151 WP 004 : Rapport de l’Inspecteur primaire de Lyon 3, daté du 8 novembre 1929.

787.

AML : 0110 WP 011 : Note de la mairie, datée du 7 avril 1927.

788.

AML : 0151 WP 004 : Rapport de l’Inspecteur primaire de Lyon 3, daté du 8 novembre 1929.

789.

CAUVIN Gustave, Perséverer, brochure éditée par l’ORCEL, Lyon, 1929.

790.

AML : 0151 WP 004 : Rapport de l’Inspecteur primaire de Lyon 3, daté du 8 novembre 1929.