1) L’implantation des salles 

a) Le spectacle cinématographique se décentralise

De 1918 à 1929, le nombre de salles de cinéma en France augmente considérablement, passant de 1 444 salles à plus de 4 000, soit une croissance de plus de 250 % 793 . Mais cette hausse conséquente est inégale dans le territoire ; elle est, semble-t-il, avant tout propre aux petites villes et aux communes semi-rurales. Dans le Rhône, on assiste en effet à une multiplication des établissements cinématographiques dans les petites communes du département, multiplication bien plus importante que celle que connaît la ville de Lyon. Jusqu’en 1914, la géographie des salles de cinéma est particulièrement concentrée, limitée à l’agglomération lyonnaise (essentiellement Lyon et Villeurbanne), Villefranche sur Saône – qui compte avant guerre deux cinémas – Belleville sur Saône et Amplepuis 794 . A la veille de la guerre, la ville de Lyon concentre 85 % des exploitations cinématographiques du département, et l’agglomération lyonnaise plus de 90 %. Les quinze années qui suivent voient cette proportion se réduire de façon conséquente. Des établissements cinématographiques ouvrent dans les villes de Tarare, Givors, Brignais, Grigny et Thizy 795 . On compte aussi en 1920 des projections cinématographiques à Saint-Symphorien sur Coise ou Saint-Georges de Reinens 796 . Il est difficile en fait de comptabiliser avec précision les établissements cinématographiques existant dans le département, et la chronologie exacte de leur implantation car aucun dénombrement n’existe réellement. Les indicateurs commerciaux, s’ils permettent de valider l’existence d’une salle de cinéma sont trop imprécis quant aux dates de créations. On ne peut qu’estimer l’évolution du nombre de salles en dehors de l’agglomération lyonnaise qui, de quatre à treize salles, fait plus que tripler.

Ces chiffres, déjà bien imprécis, ne prennent pas en compte les exploitations paroissiales, communales ou associatives ; or, si ces exploitations constituent à Lyon une faible part de l’ensemble des établissements cinématographiques, il n’en va certainement pas de même pour les communes plus modestes du département. En 1920, la cinématographie française estime à une centaine le nombre des exploitations associatives dans le Rhône 797 . Le chiffre est peut-être exagéré (il ne repose d’ailleurs a priori sur aucune base solide), mais est un signe patent de l’originalité des voies de diffusion du cinéma dans les communes semi-rurales. Je ne possède aucun chiffre pour les années 1920, mais en 1931, 128 salles associatives existent dans le Rhône (hors Lyon et Villeurbanne), vingt-sept exploitations dans des cafés ou des établissements publics contre seulement trente-sept authentiques salles de cinéma commerciales 798 . Quoiqu’il en soit, le spectacle cinématographique se propage en dehors de la grande ville entre 1914 et 1929, même s’il est vrai que l’agglomération lyonnaise concentre encore en 1929 près de 85 % des salles de cinéma commerciales du département. La véritable évolution de la période est la position de la ville de Lyon qui ne regroupe plus, à la veille de l’avènement du parlant, que 57 % des établissements cinématographiques du Rhône.

C’est que, dans l’agglomération lyonnaise elle-même, la diffusion des exploitations cinématographiques dans les années 1920 s’éloigne progressivement du centre-ville :

Tableau 13. Evolution du nombre de salles de cinéma dans l'agglomération lyonnaise (1918-1929)
  Lyon Villeurbanne Autres communes Total
1918 38 4 2 44
1919 38 5 5 48
1920 39 5 6 50
1921 41 7 7 55
1922 42 8 8 58
1923 45 9 10 64
1924 44 9 10 63
1925 43 9 10 62
1926 44 9 10 63
1927 46 10 11 67
1928 48 10 11 69
1929 47 10 11 68

L’essentiel de la croissance des années 1918-1923 se produit dans la banlieue lyonnaise qui concentre les deux tiers (treize sur vingt) des nouvelles salles de cinéma. La décentralisation du spectacle cinématographique dans les années 1920 est indéniable (cf. carte 3).

Carte 3. Les salles de cinéma dans l’agglomération lyonnaise en 1928
Carte 3. Les salles de cinéma dans l’agglomération lyonnaise en 1928

Le nombre d’exploitations cinématographiques augmente également à Lyon, mais cette hausse est limitée : on ne compte en 1923 qu’un peu plus de 20 % d’écrans de plus qu’en 1918. A Villeurbanne, qui comptait déjà en 1914 quatre exploitations cinématographiques, le nombre de salles de cinéma double durant les années 1920. Dans les autres communes de l’agglomération, la diffusion du spectacle cinématographique est carrément spectaculaire. En l’espace de cinq ans, de 1918 à 1923, le nombre de salles de banlieue quintuple. Alors que seules les commune d’Oullins et de Saint-Fons avaient une salle à la fin de la guerre, les villes de Venissieux, Tassin, Pierre-Bénite, Caluire et Sainte Foy les Lyon entrent dans le cercle des communes qui comptent un établissement cinématographique entre 1919 et 1923. Au final, le nombre de salles de cinéma dans l’agglomération lyonnaise, y compris Villeurbanne, fait plus que tripler (de six à vingt et une). Lyon concentrait avant guerre 86 % des exploitations cinématographiques de l’agglomération, elle n’en compte plus que les deux tiers en 1929.

Le spectacle cinématographique s’est donc particulièrement décentralisé au cours des années 1920. L’évolution de l’exploitation cinématographique à Caluire par exemple est assez caractéristique. Une première salle de cinéma ouvre dans la Grande rue Saint-Clair en 1919, à la limite du quartier Croix-Rousse 799  : la diffusion est alors encore liée à la grande ville. Mais en 1923, une nouvelle salle de cinéma ouvre à Caluire, cette fois en plein cœur de la commune 800 .

La géographie des établissements cinématographiques est directement liée à la redistribution de la population urbaine au sein de l’agglomération lyonnaise. Celle-ci est essentiellement caractérisée par une croissance importante de la population des banlieues et une stagnation de la ville de Lyon. Que la population de Villeurbanne double (de 40 000 à 80 000 habitants entre 1921 et 1931 801 ) tandis que double le nombre des cinémas dans la commune n’est certes pas une coïncidence. Les mêmes conclusions s’imposent pour Venissieux dont le nombre d’habitants double durant les années 1920 802 , années durant lesquelles s’implantent deux salles de cinéma.

En revanche, il est malaisé de distinguer entre banlieue résidentielle et banlieue ouvrière. Si les premières salles de banlieue apparaissent d’abord dans les communes fortement ouvrières (Villeurbanne, Saint-Fons, Oullins), c’est peut-être avant tout parce que ces dernières sont les plus peuplées.

Notes
793.

FOREST Claude, Les dernières séances, op. cit., page 43.

794.

Indicateur commercial Henri, année 1915.

795.

Idem, années 1914-1929.

796.

La Cinématographie Française n°65, 31 janvier 1920.

797.

La Cinématographie Française n°65, 31 janvier 1920.

798.

ADR : 4 M 485 : Equête préfectorale sur les établissements cinématographiques, mai 1931.

799.

Indicateur commercial Henri, année 1920.

800.

AM Caluire : 1 I 18/1 : Lettre du fondateur, 10 décembre 1923.

801.

BAYARD Françoise et CAYEZ Pierre, Histoire de Lyon..., op . cit., page 337.

802.

Ibidem