1) Une majorité d’inexpérimentés

a) Origines professionnelles

« On ouvre un cinéma plus aisément qu’une épicerie. » Tel était le constat désabusé de Charles Le Fraper en 1912 827 , observant l’inexpérience du monde du spectacle de la majorité des exploitants qui, à Lyon comme à Paris, provenaient pour beaucoup du petit commerce et de l’artisanat. Quinze ans plus tard, le discours n’a pas changé d’un iota :

‘« L’exploitant type est un ancien bistrot, un crémier qui a un placement à faire. Il achète pour 200 000 ou 300 000 francs une salle de 2ème catégorie, tout comme il prendrait une mercerie bien achalandée ou un café-comptoir. Il ne connaît bien entendu rien au cinéma – ce qui n’est pas un vice rédhibitoire, après tout – mais il a des idées, ce qui est infiniment plus grave. De ces idées, qui remontent aux Mystères de New York, rien au monde ne le fera démordre. » 828

Ce portrait peu flatteur est récurrent dans la presse corporative pour qui taper sur les exploitants est un moyen détourné de critiquer la qualité de la production cinématographique. En faisant abstraction des « idées » que prête ici le chroniqueur aux directeurs de cinémas, on peut s’interroger sur la validité des propos quant à leur inexpérience à une époque où le spectacle cinématographique ne constitue plus une nouveauté.

Or, l’identité des exploitants de l’agglomération lyonnaise entre 1914 et 1929 confirme bien plus qu’elle n’infirme le portrait brossé dans l’Ecran Lyonnais. Bien sûr, certains exploitants sortent du lot. Les directeurs des grands établissements cinématographiques de la ville, par exemple, sont pour beaucoup des professionnels avérés de l’exploitation. M. Botex, nommé à la tête de l’Aubert-palace en 1920, a déjà dirigé plusieurs salles de cinéma à Paris et en province 829 . Lyon, du reste, ne constitue pas l’étape finale de sa carrière puisqu’il part en 1925 diriger l’Aubert-palace de Marseille 830 . Le Lumina-Gaumont est quant à lui dirigé, dès son ouverture, par Antoine Grange, représentant de la maison Gaumont à Lyon depuis 1913 831 . Lorsque ce dernier est nommé à un poste plus important en 1926, la direction du palace des Brotteaux est confiée à Jeanin, l’ancien directeur du Tivoli 832 .

Mais ces professionnels de l’exploitation constituent une minorité. Dans leur grande majorité, les directeurs de cinéma parviennent à la tête de leur salle sans expérience aucune ni du cinéma, ni du spectacle en général. Cette situation s’explique en partie par la structure très éclatée de l’exploitation cinématographique qui, en France, compte 80 % d’indépendants 833 . Sur ce point, l’agglomération lyonnaise ne constitue pas une exception.

A la veille de la guerre, plus du tiers des salles de cinéma lyonnaises était exploité en réseau. Une minorité, certes, mais qui paraît conséquente au regard de l’évolution dans les années qui suivent. Car en 1921, on ne compte plus à Lyon que onze salles sur quarante et une exploitées soit par des sociétés d’exploitation (Cinéma-monopole, Aubert, Gaumont et Tivoli) soit par des individus possédant plusieurs salles de la ville (Boulin, Pinard). Durant les années 1920, le mouvement ne fait que s’accentuer : Cinéma-monopole cède une de ses salles à un particulier en 1922 834 , et la veuve de Mel-Kior Pinard se retire des affaires en vendant ses deux exploitations à deux personnes différentes à la fin de l’année 1924 835 . En 1925, les seuls circuits lyonnais qui subsistent sont ceux de la société Cinéma-monopole (deux salles) et de Jean Boulin (trois salles).

En revanche, certains exploitants dirigent en parallèle une salle lyonnaise et une salle de banlieue. H. Agostini, hôtelier avenue Jean-Jaurès, reprend l’exploitation du cinéma Lafayette en 1919 puis celle du cinéma Saint-Clair à Caluire en 1921 836 . Il dirige conjointement, mais seulement pendant quelques mois, les deux établissements. Un de ses successeurs à la tête du cinéma Lafayette, André Bodin, reprend lui l’exploitation du Fantasio de Villeurbanne en 1926. Jusqu’en 1929, les deux salles sont exploitées de concert 837 . Enfin, Auguste Brossy, propriétaire de l’Odéon depuis 1919, rachète le principal cinéma d’Oullins entre 1922 et 1923 et reste à la tête des deux salles jusqu’à l’avènement du parlant 838 . On trouve également le cas d’un exploitant de la banlieue reprenant une salle lyonnaise : c’est le cas de Joseph Feuillet, propriétaire du palace de Saint-Fons qui reprend en 1926 l’une des salles de la route de Vienne et l’exploite jusqu’en 1928 839 .

Mais la double exploitation reste finalement un phénomène limité dans son ampleur et dans le temps : à la veille de l’avènement du parlant, plus des 3/4 des établissements cinématographiques lyonnais (trente-six sur quarante-sept, soit 77 %) sont dirigés par des particuliers ne possédant qu’une seule salle de cinéma. Le caractère atomisé de l’exploitation cinématographique permet de fait à tout un chacun de faire son chemin dans les salles obscures.

L’inexpérience caractérise en premier lieu les fondateurs des nouvelles salles de cinéma. En effet, sur la trentaine d’exploitations ouvertes à Lyon entre 1915 et 1928, quatre seulement l’ont été par des sociétés ou des individus directement issus de l’industrie cinématographique. C’est le cas du Lumina-Gaumont et du Tivoli, tous deux fondés par des sociétés nationales, mais deux autres salles l’ont été par des exploitants locaux : le cinéma Athénée, par l’ancien exploitant du cinéma Elysée, et le Cristal-Palace, ouvert par le propriétaire du cinéma Venise.

Certains exploitants, quelles que soient les raisons qui les ont poussé à se défausser de leur établissement, se lance une seconde fois dans l’exploitation cinématographique en créant un nouvel établissement. Il s’agit peut-être d’une volonté de ne pas s’avouer vaincu. C’est l’histoire malheureuse d’Edmond Mercier, contraint en 1919 de céder le cinéma Elysée – qu’il avait lui-même fondé avant-guerre – qui ne met que quelques mois à rouvrir une salle de cinéma aux Brotteaux, en empruntant de l’argent à ses amis. Très rapidement confronté de nouveau à des difficultés économiques, il est déclaré en faillite moins de deux ans après l’ouverture de son nouvel établissement, et ses bien sont saisis 840 . Autre exemple, Théodore Sprecher, éphémère exploitant du cinéma Moncey qu’il a racheté à Cinéma-monopole en 1923, ouvre en décembre de la même année un petit cinéma d’allure modeste à Caluire et Cuire 841 . Il ne le dirigera que trois années.

En dehors de ces exemples, les carrières des fondateurs d’exploitations cinématographiques sont atypiques. Guillermin, qui tient une droguerie à la Croix-Rousse, fait ainsi construire un « bâtiment à usage de cinéma », le futur cinéma Family, dans un terrain qui lui appartient 842 . A. Bideau, ingénieur plus passionné, selon son petit-fils, par le défi technique que représente la création d’un cinéma que par le spectacle en lui-même 843 , fonde le cinéma Régina à Vaise en 1920.

Il est vrai que le cinéma demeure un commerce relativement accessible. Le capital nécessaire à l’installation d’une petite exploitation de quartier n’est pas nécessairement plus élevé que pour un autre commerce. Il n’y a pas même besoin de constituer un stock pour commencer puisque les films s’acquièrent désormais à la location. En 1918, un ouvrier employé aux usines Berliet, qui gagne 10 francs par jour, demande ainsi l’autorisation à la mairie de créer un cinéma dans un petit local de l’avenue de Saxe 844 . La demande n’aboutira pas (sans que l’on ne sache si la mairie a refusé ou si l’individu a abandonné son projet), mais cet exemple prouve que la création d’une salle de cinéma est à la portée de bien des bourses.

Tout comme avant guerre, on retrouve parmi les nouveaux promoteurs du cinéma des cafetiers. Ceux-ci illustrent à merveille le caractère pragmatique que peut revêtir l’installation d’un cinéma : leur clientèle est déjà constituée et le local tout trouvé. Auguste Lacroix organise ainsi à partir de 1915 des projections cinématographiques dans une salle annexe de son café qu’il a fait construire en 1911 845 . Jusqu’en 1932, il arborera conjointement les casquettes de cafetier et de directeur de cinéma. Il est possible que le simple fait d’avoir une salle à sa disposition ait poussé Auguste Lacroix à organiser des projections. Le cinéma était peut-être le meilleur moyen de rentabiliser l’espace... Même itinéraire pour Léon Peuch, installé comme cafetier au n° 75 de la route de Vienne, qui fait construire en 1921 une salle de réunion en face de son café, au 78 de la même rue 846 . Dans un premier temps, cette salle ne lui sert qu’à organiser des bals et des cours de danse, mais un an plus tard Léon Peuch demande l’autorisation de donner des séances cinématographiques et transforme finalement son établissement en véritable salle de cinéma 847 .

C’est que l’exploitation cinématographique constitue peut-être pour le commerçant bien avisé et disposant de quelques liquidités une bonne affaire. Umberto Mariani s’est enrichi pendant la guerre auprès des magasins généraux de l’Etat qu’il fournissait en vêtements militaires. En 1918 et 1919, il réalise un chiffre d’affaires qui dépasse les 350 000 francs et ses bénéfices s’élèvent à plus de 50 000 francs 848 . Il fonde en 1920 une manufacture de vêtements « pour hommes et jeunes gens » dans le quartier de Montchat, à laquelle il adjoint quelque mois plus tard une salle de cinéma, le Montchat-palace 849 . Amour du 7ème Art ? Ou simple volonté de diversifier ses activités pour s’enrichir ?

La création d’un cinéma peut quelquefois passer totalement inaperçue dans les multiples activités d’un entrepreneur. A ce titre, la carrière de Paul Noailly entre 1914 et 1920 est exemplaire :

‘« M. Noailly, représentant à la commission, a cessé sa représentation le 1er août 1914 pour la reprendre le 1er décembre de la même année […] En 1918, nouvelle cessation de la représentation qui fut reprise au 1er janvier 1919. M. Noailly adjoignit à sa représentation :
1) Au 1er janvier 1915 : un commerce de tissus de soie, commerce qui fut déficitaire du commencement à la fin. […]
2) En janvier 1917 : des ateliers de constructions mécaniques à Chavanoz […] Affaire liquidée au 1er janvier 1920.
3) En février 1917 : une entreprise de tissage à façon, terminée fin avril 1918.
4) Le 14 novembre 1919 : un cinématographe à la Croix-Rousse, capital initial de 50.000 francs, affaire déficitaire terminée à fin 1920.
5) Fin avril 1920 : une entreprise de matériaux de construction, affaire mort-née, remplacée par une entreprise de camionnage 850  »’

De l’industrie textile au monde du spectacle, Paul Noailly est un touche-à-tout qui n’a guère connu de succès. Son itinéraire n’en est pas moins représentatif des carrières indépendantes où la nature du commerce, finalement, importe peu. Ne généralisons pas : certains fondateurs d’exploitations cinématographiques ont certainement plus agi par passion que par désir de gagner de l’argent. Mais il est difficile de faire la part des choses entre passionnés (s’ils existent) et opportunistes.

L’inexpérience des exploitants est encore plus visible chez les individus qui reprennent une exploitation cinématographique. Il est vrai qu’il ne s’agit alors que de débourser une somme d’argent, guère plus importante que celle que nécessiterait l’achat d’une boulangerie. C’est du moins le cas des petites exploitations de quartier, car les établissements plus importants sont inabordables. En 1919, le cinéma des Variétés à Villeurbanne est vendu 7 500 francs, et celui du cours Tolstoï 11 000 francs 851 , alors que l’établissement d’Alexandre Rota, à proximité de la place Bellecour, est vendu pour la somme de 100 000 francs 852 , pour un nombre de places sensiblement équivalent à celui des deux salles villeurbannaises. Dans les années 1920, les petites exploitations conservent leur caractère relativement accessible : le prix de vente en 1924 du cinéma Family situé dans les contreforts du quartier Croix-Rousse est de 36 000 francs 853 . En 1926, Michel Démo ne débourse que 26 000 francs pour reprendre l’exploitation du Cristal-palace dans le quartier de Monplaisir 854 (mais le fondateur de la salle, Bouvard, reste propriétaire des murs). On retrouve le même ordre de grandeur dans les annonces parues dans L’Ecran Lyonnais : des établissements de la ville ou de la banlieue lyonnaise sont proposés pour des sommes comprises entre 35 000 et 50 000 francs 855 .

Cela explique que des personnes a priori sans grands moyens financiers puissent reprendre un établissement cinématographique. En 1928, le petit cinéma Cité, situé sur le cours Lafayette au delà des voies ferrées, est repris par Joseph Trincat. Ce dernier, qui n’a que 26 ans, est célibataire et vit chez sa mère et son beau-père. Il travaillait précédemment comme manœuvre puis comme porteur à la gare de Perrache 856 , profession sans doute assez peu lucrative. Il est vrai que Joseph Trincat ne se rend pas seul acquéreur du cinéma puisqu’il est associé avec son petit frère (22 ans), lui-même garçon de magasin dans une teinturerie 857 . Le cas est courant : acheter un commerce à deux facilite l’accession de petits indépendants.

Entre 1915 et 1928, une centaine d’individus reprend un temps une exploitation cinématographique. J’ai pu identifier l’origine professionnelle de quarante d’entre eux 858 , principalement ceux qui commencent leur carrière au début des années 1920 : faute de recensements, les exploitants qui se sont succédés entre 1918 et 1920 n’ont, pour la plupart, pas pu être identifiés.

Graphique 1. Origine professionnelle des individus ayant repris un commerce de cinéma entre 1915 et 1928
Graphique 1. Origine professionnelle des individus ayant repris un commerce de cinéma entre 1915 et 1928

Les données ci-dessus sont parcellaires puisqu’elles ne prennent en compte qu’un tiers de l’ensemble des individus ayant repris une salle de cinéma. Toutefois, deux tendances se dessinent : la place importante des exploitants issus de professions indépendantes (commerce, artisanat, industrie ou professions libérales) et l’absence quasi-complète des professionnels de l’industrie cinématographique. Sur ce dernier point, il ne peut y avoir d’ambiguïté : les individus issus du monde du cinéma, qu’ils viennent de l’exploitation ou de la distribution, sont les plus faciles à identifier. On peut même avancer l’hypothèse qu’ils sont ici sur-représentés, alors même qu’ils ne constituent – avec les professionnels du spectacle – que 10 % de l’ensemble des repreneurs d’exploitations cinématographiques. Parmi les individus issus du monde du spectacle, deux hommes viennent d’établissements prestigieux : Charles Courtioux, compositeur et chef d’orchestre du Casino-Kursaal, qui dirige pendant trois ans le petit cinéma Palace 859 et Gaston Beyle, le directeur du Grand-Théâtre, que l’on retrouve en 1921 directeur du cinéma Gloria 860 . La transformation provisoire des deux grandes salles de spectacle en cinéma pendant la guerre a-t-elle suscitée des vocations ?

On trouve tout de même parmi les repreneurs deux individus issus de la distribution cinématographique qui s’imposent comme des professionnels de l’exploitation. Joseph Caffarel, directeur de la maison Select distribution au début des années 1920 861 , entame en 1923 une véritable carrière dans l’exploitation cinématographique en obtenant du syndic de faillite l’exploitation du cinéma des Capucines 862 . Il est possible que Caffarel soit le principal fournisseur de films de la salle des Brotteaux et, qu’à titre de principal créancier, il obtenu l’adjudication du fonds de commerce. Il ne l’exploite qu’une petite année et ne peut empêcher sa fermeture. On le retrouve ensuite en 1925 à la tête du cinéma Artistic, rue de la République, qu’il dirige pendant un an, puis à celle du cinéma de Perrache, 44 cours Suchet, où il parvient à transférer l’enseigne lumineuse du cinéma des Capucines 863 . Jean-Marie Jacquemond est quant à lui représentant de la maison de distribution Harry depuis 1919 864 . En 1923, il s’installe également dans le quartier des Brotteaux où il prend la tête du cinéma Athénée jusqu’au 12 novembre 1925 865 . Le même jour, il reprend l’exploitation de la Gaieté Gambetta, devenue le Grand Palais, qu’il dirige jusqu’en 1926 866 , tout en conservant ses activités de distributeur. En 1928, il apparaît comme le directeur à Lyon de la société Franco-film 867 , puis de la Gaumont-Franco-Film-Aubert (GFFA), soit l’un des principaux acteurs de l’industrie cinématographique de la région. Mais cette carrière, tout comme celle de Joseph Caffarel, constitue une exception.

Plus de la moitié (60 %) des exploitants vient du commerce, de l’artisanat ou de l’industrie. J’ai volontairement mis ensemble artisans et industriels, ne pouvant pour certains distinguer s’ils appartenaient à l’une ou l’autre catégorie. On peut en effet très bien être dénommé « mécanicien » et être à la tête d’une entreprise de plusieurs dizaines d’employés. Le manque de précision des sources nominatives sur l’identité professionnelle des individus est notoire. Un seul exemple : Dominique Jourdan apparaît tantôt comme « mécanicien-patron », tantôt comme « industriel métallurgiste » 868 , avant de devenir l’exploitant du cinéma Moncey entre 1924 et 1925.

Comme avant guerre, les professions dont sont issus les repreneurs de commerces cinématographiques recouvrent tous les secteurs d’activité, et aucune n’est récurrente. André Mayol, qui reprend en 1918 le cinéma Lafayette, est marchand d’oranges en gros 869 . L. Noir, éphémère exploitant du cinéma Paul-Bert, est implanté à la Croix-Rousse où il est marchand de couronnes mortuaires 870 . Des larmes aux rires... Au cinéma du Grand Trou, 106 route de Vienne, se succèdent entre 1918 et 1925 un marchand d’instruments de musique, l’exploitant des grands bains de la gare de Perrache, un commissionnaire en fruits et un électricien 871 .

Certains itinéraires constituent de véritables ascensions sociales. Emile Peyre, né en 1876 dans une famille d’agriculteurs, aide ses parents jusqu’à ses 17 ans, avant de partir à Lyon pour devenir apprenti puis 1er commis dans une maison d’alimentation 872 . En 1903, à 27 ans, il s’installe à son compte en ouvrant un commerce de fromages au 7 du cours Lafayette, où il demeure. Il faut croire que ses fromages se sont bien vendus car, 20 ans plus tard, il reprend le commerce de cinéma de la veuve de Mel-Kior Pinard, 13 avenue Berthelot. Non content de le racheter, il l’agrandit considérablement. Le cinéma Comœdia devient l’une des salles les plus importantes de la ville.

Parmi les employés, rares sont ceux dont j’ai pu identifier l’employeur, et donc l’activité commerciale. Une seule exception, mais qui entraîne plus de questions qu’elle n’apporte de réponses : Jules Naef, né en 1866, habite au n° 8 de la rue Tronchet et est employé comme ajusteur à la société Pradel en 1921, comme son frère du reste. Cinq ans plus tard, il n’a pas déménagé mais apparaît cette fois comme directeur du cinéma Moncey 873 . Comment en est-il arrivé là ?

Un individu choisit peut-être de reprendre l’exploitation d’un cinéma tout simplement parce qu’il habite à proximité et qu’il le sait en vente. A Villeurbanne, Alphonse Gruffat reprend en 1925 le cinéma Eden, situé au n° 20 de la route de Crémieux, alors qu’il était jusque là ajusteur (à son compte, très vraisemblablement) juste en face, au n° 19 bis 874 . Trois des quatre personnes qui se succèdent à la tête du petit cinéma Diderot entre 1921 et 1927, situé au cœur des pentes de la Croix-Rousse, habitent à moins de cinq minutes de l’établissement 875 . Le cinéma 207 rue Paul-Bert, ouvert par Paul Charbin dans son café en 1914 est racheté en 1919 par Isaac Barranikov, sujet Russe, qui habite alors à quelques centaines de mètres du cinéma, de l’autre côté de la rue Garibaldi, où il exerce la profession d’ébéniste 876 . Six mois plus tard, c’est un tout proche voisin de l’établissement qui s’en porte acquéreur, Joandelle-Desorme, qui habite au 205 de la rue Paul-Bert 877 .

Issus de tous les métiers et venus pour beaucoup au 7ème Art par opportunisme, les exploitants des salles de cinéma de quartier forment un groupe hétérogène et inexpérimenté. D’autant plus que pour certains d’entre eux, l’exploitation d’un établissement cinématographique ne constitue qu’une activité secondaire.

Notes
827.

Cité par MEUSY Jean-Jacques, « Palaces et boui-bouis : état de l’exploitation parisienne à la veille de la première guerre mondiale », L’année 1913 en France, 1895 n° hors série, octobre 1993, page 87.

828.

L’Ecran Lyonnais n° 25, 4 novembre 1927.

829.

La Cinématographie française n° 76, 17 avril 1920.

830.

Le Cri de Lyon n° 264, 4 décembre 1925.

831.

Indicateur commercial Henri, année 1913.

832.

Le Cri de Lyon n° 258 et 298 des 23 octobre 1925 et 4 septembre 1926.

833.

ABEL Richard, « Les années folles. Reinventar un cine frances », in PALACIO Manuel et PEREZ Julio PERUCHA [dir.], Historia general del cine, Vol. 5 : Europa y Asia 1918-1930, Madrid, Catedra, 1997, page 80.

834.

AML : 1121 WP 004 : Dossier du cinéma Moncey, lettre de Théodore Sprecher, datée du 1er avril 1922.

835.

AML : 1121 WP 002 : Dossier du cinéma Comœdia, lettre de Claude Peyre datée du 5 novembre 1924 ; Dossier du théâtre de la Cigale, lettre d’Eugène Goiffon, datée du 22 juillet 1925.

836.

Indicateur commercial Henri, années 1919-1922.

837.

Indicateur commercial Henri, année 1928.

838.

Idem, années 1920-1928.

839.

Ibidem.

840.

ADR : P 108 : Dossier d’Edmond Mercier, rapport des contributions directes, 14 décembre 1922.

841.

AML : 1121 WP 005 : Dossier du cinéma Moncey, lettre de Théodore Sprecher, datée du 1er avril 1922 & AM Caluire : 1 I 18/1 : Lettre de Théodore Sprecher, datée du 10 décembre 1923.

842.

AML : 1121 WP 003 : Dossier du cinéma Family, lettre de Guillermin datée du 1er février 1922 & Indicateur commercial Henri, année 1922.

843.

Entretien avec Paul Bideau, réalisé le 21 mai 2004.

844.

AML : 1121 WP 005 : Dossier du cinéma Madeleine, lettre de Carra datée de juin 1918.

845.

AML : 0344 WP 048, PCA n° 19110300 : Lettre d’Antoine Lacroix datée du 18 janvier 1911.

846.

AML : 0344 WP 091, PCA n° 19210006 : Lettre de Léon Peuch datée du 7 janvier 1921.

847.

AML : 1121 WP 006 : Dossier du cinéma Splendid, lettre de Léon Peuch datée du 26 décembre 1922.

848.

ADR : P 101 : Dossier individuel d’Umberto Mariani, rapport des contributions directes, 10 juin 1921.

849.

AML : 1121 WP 005 : Dossier du cinéma Montchat-palace, lettre d’Umberto Mariani, 28 avril 1921.

850.

ADR : P 124 : Dossier individuel de Paul Noailly, rapport des contributions directes daté du 10 août 1922.

851.

ADR : P 23 : Dossier de Delluchi et Deloche, rapport des contributions directes daté du 27 décembre 1922 et P 177 : Dossier d’André Ullrich, rapport des contributions directes daté du 10 décembre 1921.

852.

ADR : P 156 : Dossier d’Alexandre Rota, rapport des contributions directes daté du 17 décembre 1921.

853.

ADR : 8 U 194 : Etude de Me Sylvain, acte de vente du 11 août 1924.

854.

ADR : 8 U 190 : Etude de Me Juveneton, acte de vente du 3 août 1926.

855.

Voir par exemple les n° 93 et 299 des 26 janvier 1922 et 11 septembre 1926.

856.

AML: 1121 WP 002: Dossier du cinéma Cité, rapport du commissaire du quartier daté du 21 janvier 1928.

857.

ADR : Recensement de l’année 1926, 23 rue Bellecombe.

858.

L’identification de l’origine professionnelle des exploitants s’est faite à partir de trois sources. D’une part, les autorisations d’exploiter accordées par la municipalité (AML : 1121 WP 001 à 007) qui, de temps à autre, précise la profession des recquérants. D’autre part, les indicateurs commerciaux qui permettent de retrouver, à partir de leur adresse, les individus avant qu’ils ne se lancent dans le cinéma. Enfin, les recensements nominatifs, utilisés la plupart du temps pour contrôler les informations glanées dans les indicateurs et quelquefois, lorsque les individus n’ont pas déménagé, pour retrouver les individus avant qu’ils ne deviennent exploitants.

859.

ADR : P 16 : Dossier de Charles Courtioux, papier en-tête d’une lettre de Charles Courtioux datée du 29 décembre 1919.

860.

AML : 1121 WP 004 : Dossier du cinéma Gloria, lettre de Gaston Beyle, datée du 30 mars 1921 & Indicateur commercial Henri, années 1920-1922.

861.

Idem, années 1922-1923

862.

AML : 1121 WP 002 : Dossier du cinéma des Capucines, lettre de J. Caffarel, datée du 12 novembre 1923.

863.

AML : 0337 WP 021 : Enseignes lumineuses, lettres de J. Caffarel, datées des 5 mars 1925 et 6 avril 1926.

864.

Indicateur commercial Henri, années 1919-1929.

865.

AML : 1121 WP 001 : Dossier du cinéma Athénée, lettre de Jean-Marie Jacquemond, datée du 26 janvier 1923 et lettre de Gérenton, datée du 12 novembre 1925.

866.

AML : 1121 WP 009 : Dossier du Grand Palais, lettres de Jean-Marie Jacquemond datées du 12 novembre 1925 et du 11 août 1926.

867.

L’Ecran lyonnais n° 38, 11 février 1928.

868.

AML : 1121 WP 005 : Dossier du cinéma Moncey, rapport du commissaire du quartier de la Préfecture, 13 juin 1923 ; ADR : Recensement de l’année 1926, 137 cours Henri.

869.

ADR : P 107 : Dossier d’André Mayol, rapport des contributions directes daté du 12 mai 1922.

870.

AML : 1121 WP 005 : Dossier du cinéma Paul-Bert et Indicateur commercial Henri, année 1922.

871.

AML : 1121 WP 004 : Dossier du cinéma du Grand Trou, lettres des exploitants successifs, datées des 23 février 1918, 10 janvier 1924, 16 février 1925 et 13 août 1925.

872.

AN : AJ38 3337 : Dossier du cinéma la Perle, informations sur les acquéreurs éventuels, 1942.

873.

ADR : Recensement de la ville de Lyon : 8 rue Tronchet, années 1921 et 1926.

874.

AMV : Liste électorale de l’année 1925.

875.

AML : 1121 WP 003 : Dossier du cinéma Diderot, lettres des exploitants successifs datées des 20 septembre 1921, 10 août 1926 et 4 septembre 1927.

876.

AML : 1121 WP 005 : Dossier du cinéma Paul-Bert, rapport du commissaire daté du 13 juillet 1918.

877.

Idem, lettre de Joandelle-Desorme datée du 31 mars 1919.