Dès les débuts du spectacle cinématographique, les établissements se différencient les uns des autres par la qualité de l’accompagnement sonore des films. Plus le matériel est abondant, meilleure est l’interprétation. Sur ce point, le Pathé-Grolée est passé maître puisque l’on y retrouve :
‘« une grosse caisse, tambour, cloche, tambourin, tôle, caisse coup de feu, divers petits accessoires de bruit, une paire de cymbales, une chaîne, une planche papier verré, une grelotière, une corne automobile, un claquoir, un triangle, une corbeille.[…] un tambour de basque, une paire de castagnettes, une roue à vent, un fouet, 2 cordes contrebasse, un revolver 5m/m, un sifflet, une corne d’appel, une sirène. 916 »’L’établissement, qui a certainement son bruiteur attitré, peut donc proposer au public un large choix de sons. L’accompagnement musical n’est pas en reste. Entre sept et dix musiciens, un véritable petit orchestre, joue pendant les séances 917 . Progressivement, l’accompagnement musical se substitue entièrement à l’accompagnement sonore, et les salles à la fin des années 1910 se distinguent surtout par le nombre de musiciens qu’elles emploient.
Cela a son importance sur la perception du spectacle, les spectateurs étant très attentifs, semble-t-il, à la qualité de l’interprétation, comme en témoigne le différend survenu entre l’exploitant Jean Boulin et une de ses violonistes 918 . Embauchée à l’essai le 18 octobre 1912, la musicienne s’attire dès le premier jour les récriminations du public ; récriminations qui ne font que s’accentuer les jours suivants, entraînant son renvoi. L’accompagnement musical constitue donc un enjeu véritable.
En 1918, une enquête du Syndicat des musiciens professionnels dénombre le nombre de musiciens dans les salles de cinéma 919 . Le cinéma de la Scala, avec pas moins de dix-sept musiciens, surclasse tous ses concurrents. Les autres salles de la presqu’île comptent de sept (le Royal) à un seul (Idéal, Bellecour) musiciens. Sur la rive gauche, on compte de un à cinq musiciens selon les établissements. Dans les petites salles de quartier enfin, on ne trouve jamais plus d’un seul musicien et, bien souvent, le Syndicat est incapable de donner un seul nom, signe que certains établissements emploient des musiciens amateurs.
De fait, certains exploitants de salles de quartier font des économies en faisant appel à un membre de la famille ou à quelqu’un du voisinage. Au cinéma exploité par les époux Kalbfeis, à Vaise, c’est madame Kalbfeis elle-même qui tient le piano 920 . Au cinéma Fantasio de Montchat, le propriétaire emploie quelque temps une jeune pianiste amateur du quartier, qui va sur ses quatorze ans. L’opérateur, qui est un peu violoniste, l’accompagne parfois 921 .
L’accompagnement musical des films constitue donc un marqueur incontournable de la différenciation des publics. Certains vont voir un film accompagné par un véritable orchestre de quinze ou vingt musiciens dans les palaces du centre-ville ou au Lumina-Gaumont 922 . D’autres se contentent de quatuor ou de quintet professionnels, que l’on retrouve dans les autres salles du centre-ville et dans les principaux établissements de la rive gauche. Tous les autres, enfin, assistent à un spectacle plus sobre, moins formel, où un simple pianiste – professionnel ou amateur – les fait vibrer.
ADR : 6 up 1/206 : Fondation de la société Cinéma-Monopole, inventaire du matériel de la salle du Pathé-Grolée (29 août 1907).
Ibidem
ADR : 2039 W 060 : affaire Boulin/Faure, jugement du 25 novembre 1912.
AML : 0088 WP 030 : Enquête du syndicat des musiciens professionnels, 1918.
ADR : P 85 : Dossier d’Eugène Kalbfeis, rapport de l’inspection des contributions directes, 24 mai 1922.
GUAITA Micheline, op. cit., pages 163-164.
Idem, page 222.