c) Des périodes d’ouverture adaptées aux différents publics

Les établissements cinématographiques lyonnais ne fonctionnent pas tous à plein régime. Les temps d’ouverture sont adaptés à la clientèle que l’on cherche à attirer, ou que l’on attire naturellement. Les différences jouent en premier lieu sur la périodicité des séances. L’ensemble des salles de la presqu’île et les grands établissements de la rive gauche sont ouverts tous les jours. Au centre de la ville, les salles proposent en général deux ou trois séances quotidiennes selon la richesse du programme. Elles peuvent en effet compter sur un public de passage ou sur les catégories oisives venues en ville pour faire les magasins. Sur la rive gauche, les séances organisées la journée ne sont pas quotidiennes : le cinéma Lumina-Gaumont, par exemple, n’ouvre la journée que les jeudis, samedis et dimanches en 1926 923 , soit les jours traditionnellement chômés par une partie de la population, les enfants en premier lieu.

Dans les petites salles de cinéma de quartier, les horaires d’ouverture sont entièrement adaptés aux temps de travail de la population laborieuse. Ces établissements ne fonctionnent en général que le week-end et restent fermés tout au long de la semaine, ne pouvant raisonnablement attirer le public du quartier. C’est le cas du cinéma Paul-Bert qui, en 1920, ne propose au public du quartier que trois séances hebdomadaires : le samedi soir, le dimanche après-midi et le dimanche soir 924 . Ces trois séances semblent être la norme dans les salles de cinéma les plus modestes. Elles correspondent aux temps de loisir des ouvriers comme des employés. La séance du dimanche soir – le saint lundi n’est déjà plus qu’un mythe – est certainement réservée aux petits commerçants du quartier. Ceux-ci sont généralement nombreux et particulièrement sensibles à la sociabilité de voisinage. Certaines salles de quartier fonctionnent tout de même un soir de la semaine, le jeudi soir la plupart du temps. C’est le cas des deux établissements cinématographiques qui bordent la place de la Croix-Rousse en 1921 925 . Leurs directeurs ne choisissent donc pas d’alterner les jours d’ouverture dans le quartier, et les Croix-roussiens doivent se passer de cinéma durant quatre jours.

C’est un point important : les lundis, mardis, mercredis et vendredis, il faut aller dans les salles du centre de la ville ou dans les grands établissements de la rive gauche pour assister au cinéma. Chose plus étonnante, les cinémas de quartier ne fonctionnent pas du tout les jeudis après-midi, ce qui explique que les séances du cinéma éducateur puissent y être organisées. Les enfants du quartier ne suffisent donc pas à organiser une séance commerciale. Ces conclusions valent pour les salles de cinéma situées dans les communes de la banlieue lyonnaise. A Villeurbanne, même les principales salles de cinéma ne fonctionnent que trois jours par semaine.

La situation n’évolue guère tout au long des années 1920, comme le montre l’enquête préfectorale réalisée en 1931 926 . Sur les soixante-quinze salles de l’agglomération lyonnaise qui ont été contrôlées, le tiers (vingt-cinq) ne fonctionnent encore que les samedis et dimanches, et près des deux tiers (quarante-sept) ne font pas plus de quatre séances hebdomadaires. Vingt-six des vingt-sept salles de la banlieue lyonnaise fonctionnent de deux à quatre fois par semaine, pas plus. A Lyon, seules les salles du centre-ville, les grands établissements de la rive gauche et les rares salles de quartier à s’être déjà équipées en parlant font plus de quatre séances hebdomadaires. Les petits cinémas de proximité restent, jusqu’à l’avènement du parlant, totalement dépendants des temps de travail de la population du quartier.

Les différences entre les salles de cinéma s’expriment également dans la durée de la période de fermeture estivale. La plupart des salles de cinéma, grandes et petites, ferment pendant l’été. Les mois courant de mai à septembre sont en effet les plus mauvais de la saison pour les spectacles, concurrencés en premier lieu par le soleil. Le climat lyonnais, dont les températures pendant les mois de juin à août peuvent grimper jusqu’à 40°, n’incite pas à aller s’enfermer dans une salle close et non climatisée. L’étude de la fréquentation mensuelle des salles de cinéma en 1922 montre, pour les dix-huit salles contrôlées, que les mois de mai à septembre sont deux fois moins rentables que les mois d’octobre à février 927 . Au petit cinéma d’Eugène Kalbfeis, au début des années 1920, les représentations « pendant les 6 mois de la belle saison, se déroulent devant une salle presque vide » 928

Néanmoins, on constate une différence importante dans la durée de la fermeture : les salles du centre-ville et les grandes exploitations de la rive gauche sont fermées en général quatre semaines, quand elles ne restent pas ouvertes toute l’année, alors que les salles de quartier le sont plusieurs mois. C’est le cas par exemple du cinéma Diderot, situé sur les pentes de la Croix-Rousse, fermé durant quatre mois et demie en 1922 comme en 1924 929 , ou du cinéma Splendid, qui reste trois mois portes closes en 1928 930 . Les salles de cinéma de quartier sont en effet directement touchées par la concurrence des bals et fêtes foraines qui se multiplient durant la période estivale, mais également par celle du beau temps :

‘« Oh ! Puis les distractions…les distractions d’été, c’était les promenades, c’était le plus simple et le moins coûteux. Les Croix-roussiens allaient à Montessuy, il y avait un grand terrain, là, vers le fort. […] On partait à pieds et on revenait à pieds ! On emportait le goûter ou un pic-nic, et on rentrait en chantant, on pouvait marcher au milieu de la rue ! » 931

Les promenades au grand air éloignent, les dimanches notamment, une partie des lyonnais du chemin des salles de cinéma. Cette pratique informelle concerne peut-être principalement les spectateurs des petites salles de proximité, pour qui le cinéma peut ne constituer qu’un loisir comme un autre.

Notes
923.

Le Progrès, 10 octobre 1926.

924.

AML : 1271 WP 021 : Fiche du cinéma Paul-Bert.

925.

ADR : 4 M 485 : Enquête préfectorale sur les salles de cinéma, novembre 1921.

926.

ADR : 4 M 485 : Enquête préfectorale sur les salles de cinéma, mai 1931.

927.

AML : 0008 WP 031 : Recettes des salles de spectacles, 1922.

928.

ADR : P85 : Dossier d’Eugène Kalbfeis : Rapport des contributions directes du 14 mai 1922.

929.

AML : 1121 WP 002 : Dossier du cinéma Diderot.

930.

AML : 0008 WP 031 : Recettes des salles de cinéma, 1928.

931.

Guaita Micheline, op. cit., page 143.