Chapitre III. Face à l’écran : inégalités et séparation des publics

Le système hiérarchisé de location des films qui se met progressivement en place entre 1907 et 1914 fonctionne à plein régime au début des années 1920. La qualité du programme des différents établissements cinématographiques lyonnais est plus que jamais au diapason des possibilités financières de leurs propriétaires, que l’on sait fort inégales. Cela se traduit, pour les salles de quartier, tout autant par une longue attente des films à succès que par une relative spécialisation de leur programmation. Même si, parfois, des œuvres transcendent les barrières et fédèrent la population urbaine.

L’analyse de la programmation des salles de cinéma dans les années 1920 se heurte à plusieurs problèmes. Il n’existe en premier lieu quasiment aucune information sur les conditions de circulation des films à l’échelle nationale. On ignore ainsi combien de copies d’un même film coexistent en France et l’on ne sait rien ou presque des modalités et des tarifs de location. Les sources locales m’ont permis d’y voir un peu plus clair et l’exemple lyonnais pourra peut-être servir de point de départ, mais il ne peut être érigé en modèle.

Deuxième problème, celui de l’identification des films. Si l’on a la chance de bénéficier d’un catalogue exhaustif de la production française des années 1920 975 , il n’en va pas de même pour les films étrangers, du moins dans leur traduction française. Or, le titre seul ne suffit pas à identifier un film, tant les traducteurs français font preuve d’imagination. Le film américain The Cat and the canary (P. Leni, 1927) sort par exemple sous le titre La volonté du mort.

Au problème d’identification des films vient se greffer celui de l’identification de leur contenu. Il n’existe en effet aucune histoire générale de la production cinématographique des années 1920, et pour cause : plus de 70 % des films a disparu 976 . Parmi eux, l’essentiel de la production courante, celle sans réelle ambition artistique mais qui attire les foules. Les titres et résumés n’étant la plupart du temps pas suffisants pour déterminer le caractère élitiste ou populaire d’un film, il n’a pas été possible d’étudier avec finesse la programmation des salles. Une exception toutefois, celle des westerns, qui constituent incontestablement dans les années 1920 une production sans grande envergure que l’on produit en masse pour le public populaire.

L’analyse de la circulation des films dans l’agglomération lyonnaise est basée sur les programmes des salles de cinéma insérés dans la presse généraliste ou corporative 977 . Seules les années 1926-1928 ont pu être sérieusement étudiées car c’est à partir de cette période que certaines salles de quartier font paraître leurs programmes dans Le Progrès de Lyon. En tout et pour tout, je n’ai pu retrouver la programmation que d’une vingtaine d’établissements de l’agglomération lyonnaise, soit moins de la moitié des salles existantes. Les limites de cette analyse sont bien réelles. Mais le fait de disposer de l’ensemble des programmes des salles du centre-ville et des grands établissements de la rive gauche, ainsi que de quelques programmes de salles de quartier permet déjà d’appréhender les règles qui régissent le circuit des films dans l’agglomération lyonnaise.

Notes
975.

CHIRAT Raymond, Catalogue des films français de long métrage, Films de fiction 1919-1929, Toulouse, Cinémathèque de Toulouse, 1984, non paginé.

976.

BORDE Raymond, Les cinémathèques, Paris, L’âge d’homme, 1983, pages 22-23.

977.

Dans Le Progrès de Lyon, les programmes des salles Scala, Tivoli, Aubert-Palace, Grolée, Lumina, Modern, Gloria, Comœdia, Lafayette, Moncey, Alhambra, Splendid, Regina, Paris (ex-Variétés), Lacroix, Elysée, Majestic, Palace de Saint-Fons, Athénée, Terreaux, Gaieté-Gambetta, Femina, Venise, Family, Casino de Villeurbanne, Artistic et Grand Trou entre le 1er janvier 1926 et le 10 mars 1928. Toutes les salles citées ne font pas paraître régulièrement leur programme, mais j’ai pu combler quelques manques avec deux autres sources : dans Le spectacle de Lyon et du Sud-Est, les programmes des cinémas Odéon, Idéal et Bellecour en 1927 et dans l’hebdomadaire Le Cri de Lyon, les programmes des cinémas Gloria, Majestic et Athénée en 1926.