a) Dans les salles catholiques, le spectacle avant tout

On sait peu de choses en fait sur la composition des séances dans les cinémas catholiques, mais il semble avéré que les films à portée religieuse ne constituaient pas l’essentiel des programmes. Au cinéma de l’Etoile, un spectateur se souvient :

‘« C’était quelque chose de relativement commercial comme projections. On passait des films policiers, énormément, mais qui n’étaient pas très méchants sur le plan de la morale. Il y avait des films de Max Linder, bien entendu, Rintintin, et tous les films sur les machins de Gaston Leroux…Ce n’était pas du tout des films sur Lourdes, des choses comme ça, qui n’auraient pas eu totalement de succès, probablement […] » 1103

Les catholiques proposent donc un spectacle réellement équivalent à celui qui se donne dans les salles commerciales. La programmation du cinéma paroissial Saint-Denis de la Croix-Rousse, la seule que l’on soit en mesure d’identifier, confirme globalement cette assertion.

Seules quelques semaines de l’activité cinématographique du cinéma Saint-Denis entre décembre 1927 et décembre 1929 sont connues 1104 . Onze semaines au total, à peine un sixième de la programmation. Il serait aléatoire de généraliser, mais les quelques titres retrouvés induisent quelques remarques. La première est que les films en général ne sont pas très jeunes. Certains ont même plusieurs années d’existence comme Les Rantzau (G. Roudès, 1923), sorti à la Scala en 1924 et qui est au programme du Saint-Denis le 1er décembre 1929, ou Le Crime du bouif (H. Pouctal, 1921). Malgré tout, certains films sont obtenus aux mêmes conditions que les petites salles de quartier ; ainsi en est-il de Michel Strogoff, sorti en janvier 1927 à la Scala, que l’on retrouve au programme du cinéma Splendid en décembre de la même année et au Saint-Denis deux mois plus tard (et peut-être en même temps qu’une autre salle de quartier).

On retrouve dans la programmation du Saint-Denis un cas très particulier, et plutôt significatif. Le film La terre promise (H. Roussell, 1925), clairement estampillé catholique, est sorti au cinéma Royal le 26 novembre 1927 et est programmé trois semaines plus tard au Saint-Denis. La salle paroissiale a obtenu le film avant même le cinéma Lumina. L’hypothèse d’une circulation des films, catholiques en tout cas, propre aux salles paroissiales peut être établie.

Les films religieux sont assurément présents. Au Saint-Denis, le ton est donné dès l’ouverture de l’activité cinéma, le 1er janvier 1921, avec le film « biblique » Esther. Entre 1927 et 1929 sont programmés La Terre qui meurt (J. Choux, 1926) et L’Agonie de Jérusalem (J. Duvivier, 1926). Ce dernier, sorti sur l’écran du cinéma Aubert-palace le 26 février 1927 n’a connu aucune reprise dans les autres salles de l’agglomération.. Mais les films catholiques, effectivement, ne constituent pas la majorité des films passés au Saint-Denis, où l’on retrouve nombre de films commerciaux et plutôt attractifs. Les enfants sont privilégiés avec la programmation de deux films avec l’enfant-star Jackie Coogan, mais l’on retrouve également deux grands films français à succès : Michel Strogoff et Le Bossu. Une programmation essentiellement familiale, donc, mais également spectaculaire. Le Saint-Denis ne propose pas à ses paroissiens un cinéma si différent de celui qui est donné dans les salles du centre-ville.

Il faut bien sûr faire une place à l’éventuelle adaptation de la production cinématographique. Il est de fait fort possible que les curés ou les associations paroissiales présentent une version édulcorée, à coups de ciseaux, des films commerciaux. A moins qu’ils ne trouvent directement chez leurs distributeurs, la société Etoile en tête, des versions déjà expurgées :

‘« Dans ces listes, il faut noter que les films dont le titre est précédé du signe # sont édités par l’Etoile uniquement pour les salles d’œuvres et les patronages, et ceci dans une version spécialement mise au point qui peut être parfois très différente de la version originale. » 1105

On y retrouve par exemple Naissance d’une nation (Birth of a nation, D.W. Griffith, 1915), qui ne mesure que 2 000 mètres contre plus de 3 000 dans sa version normale. On peut légitimement se demander ce qui a été coupé : les scènes de bataille ? Ou les représentations du Ku-Klux-Klan ?

Quoiqu’il en soit, les salles de cinéma catholiques ne sont pas caractérisées par une programmation exclusivement religieuse. Les films à succès, parfois obtenus aux mêmes conditions que les salles de quartier, ont aussi leur place.

Notes
1103.

GUAITA Micheline, op. cit., page 196.

1104.

Archives du Diocèse de Lyon : Bulletin de la paroisse Saint-Denis de la Croix-Rousse, 1927-1929.

1105.

BNF-Arsenal : Fond Auguste Rondel : RK 978 (Société de production Etoile-Film) : Dossiers du cinéma, n° hors série, 1930 (texte reproduit tel quel).