Troisième partie. La segmentation des publics (1929-1945)

L’avènement du parlant met en évidence la place prépondérante du cinéma dans la ville, symbolisée par l’ouverture du cinéma Pathé-palace, dont l’enseigne surmontée d’un coq domine désormais la rue de la République 1118 . Spectacle renouvelé, le cinéma est toujours plus attractif d’autant plus que le parlant, qui introduit « les orchestres symphoniques dans les hameaux 1119  », contribue à uniformiser et rationaliser le spectacle proposé aux spectateurs.

Toutefois, l’uniformisation du spectacle n’a pas entraîné une uniformisation des salles de cinéma. Si l’installation du parlant et la crise économique ont mis sur la paille les exploitants les plus faibles, si de plus en plus d’établissements sont exploités en circuit, la hiérarchie des salles de cinéma est toujours fermement ancrée dans la société urbaine. De fait, l’exploitation cinématographique ne connaît pas de bouleversement similaire à celui que connaissent producteurs et artistes. Les petites salles de quartier survivent à la crise et continuent d’attirer un public sans doute plus populaire que celui des grands établissements. A cette hiérarchie des salles de cinéma répond celle de la circulation des films dans l’agglomération lyonnaise. Les publics des faubourgs patientent toujours de longs mois avant de voir sur l’écran les grandes productions sorties au centre de la ville.

Sur cette réalité, qui est celle du spectacle cinématographique depuis les origines, se superpose un phénomène nouveau : la naissance des salles spécialisées. Cette évolution, qui est avant tout la conséquence de la maturité du cinéma et de ses spectateurs, est également liée à l’avènement du parlant. C’est indiscutable pour les établissements qui se spécialisent dans la projection des films étrangers en version originale, mais ça l’est aussi dans une certaine mesure pour les ciné-clubs dont le développement procède en partie de la disparition de l’art muet 1120 . Par ailleurs, le cinéma parlant rapproche le 7ème Art de la réalité et les films peuvent désormais être des discours, (im)moraux ou politiques. C’est aussi cette transformation de l’influence du cinéma qui pousse l’Eglise catholique à soutenir activement les salles de cinéma paroissiales, qui deviennent au milieu des années 1930 de véritables concurrentes aux salles de cinéma commerciales. Le cinéma laïc, représenté par l’ORCEL, ne pourra sur ce terrain pas suivre le mouvement, faute de moyens et de volonté.

Finalement, à la distinction des spectateurs selon le lieu où ils habitent et leurs moyens financiers viennent se greffer des clivages culturels qui ne sont toutefois pas encore dominants. Communistes, catholiques, intellectuels, bourgeois et ouvriers peuvent aller voir le même film, même si ce n’est pas nécessairement dans les mêmes salles. Mais la segmentation de l’offre de cinéma conditionne également celle des publics, enclins à se rendre dans la salle la plus proche de leur identité, réelle ou revendiquée.

Notes
1118.

AML : Bulletin Municipal Officiel : Séance du Conseil municipal du 8 août 1932, dérogation au droit de voirie pour l’enseigne du cinéma Pathé-palace.

1119.

Coursodon Jean-Pierre, La Warner Bros., Paris, Editions du centre Georges Pompidou, 1991, page 82.

1120.

Mannoni Laurent, Histoire de la Cinémathèque française, Paris, Gallimard, 2006, page 20.