b) Au(x) centre(s)-ville, la naissance des salles spécialisées

Le nombre de salles de cinéma dans le centre, inchangé depuis 1920, augmente en effet de manière impressionnante : six nouvelles salles ouvrent leurs portes entre 1933 et 1939, quasiment une en moyenne chaque année. Le nombre d’établissements autour de la place Bellecour bondit entre ces deux dates de neuf à quinze, une augmentation deux fois plus forte que celle du nombre global de cinémas à Lyon (66 % contre 33 %). Quinze salles de cinéma coexistent donc à moins de cinq minutes à pied les unes des autres. L’extrémité de la rue de la République constitue une véritable avenue du 7ème Art dont le cinéma Bellecour, dans le renfoncement de la place Le Viste, constitue le point de départ. De part et d’autre du siège du Progrès, situé au n° 81, on retrouve en effet le Cinéjournal au n° 71, le Majestic au n° 77, le Pathé-Palace au n° 79 et le cinéma Idéal (puis Studio-83) au n° 83.

Mais si le centre-ville concentre à la veille de la seconde guerre mondiale 25 % des salles lyonnaises contre 20 % en 1924, la proportion en terme de capacité d’accueil est identique à celle de la décennie précédente : 25 % des places de cinéma de la ville se trouvent au centre, en 1924 comme en 1942. Les alentours de la place Bellecour étaient jusqu’au début des années 1930 caractérisés par la prédominance de la grande exploitation. On comptait en 1932 encore neuf salles de cinéma dont cinq de plus de 550 places. Parmi elles, deux (Tivoli et Scala) dépassaient les 1 000 places. Or, la tendance s’est inversée au cours des années 1930 avec l’ouverture de six nouvelles salles de cinéma. La première d’entre elles, le Pathé-Natan, est pourtant au diapason de l’offre de cinéma au centre de la ville. D’une contenance de 1560 places, c’est un véritable palace, à l’image du Rex parisien. Mais cela ne constitue pas réellement quelque chose de nouveau. Le cinéma a simplement un écrin un peu plus grand, un peu plus moderne, un peu plus luxueux qu’auparavant. La véritable nouveauté réside dans l’identité des cinq autres salles de cinéma qui ouvrent leurs portes entre 1935 et 1939. Aucune d’entre elles n’excède en effet les 400 places : le Cinébref, au 2 de la rue Stella (141 places), le Paris, à l’ombre de la Scala au n° 22 de la rue Thomassin (260 places), le Coucou au n° 9 de la rue des Archers (280 places), le Cinéjournal au n° 71 de la rue de la République (399 places) et le cinéma A.B.C. au n° 14 de la rue Confort (319 places) 1224 .

Carte 7. Les salles de cinéma de la presqu’île lyonnaise en 1942.
Carte 7. Les salles de cinéma de la presqu’île lyonnaise en 1942.

En 1942, sur les quinze exploitations cinématographiques regroupées autour de la place Bellecour, neuf soit près des deux tiers comptent moins de 450 places. A l’échelle de la ville, neuf des dix-sept salles de moins de 300 places que compte la capitale des Gaules, soit plus de la moitié, se situent entre la place des Terreaux et la place Bellecour. Sans compter que la plupart des salles de la presqu’île existant avant 1929 baissent leur capacité d’accueil de manière significative (entre 10 et 25 %) entre 1931 et 1942 : les cinémas Bellecour, Idéal, Modern, Royal et Scala aux alentours de la place Bellecour et les cinémas Terreaux, Odéon et Splendor autour de la place des Terreaux 1225 .

L’essor de la petite exploitation dans le centre de la ville correspond à une évolution fondamentale du cinéma dans les années 1930 : la spécialisation des établissements cinématographiques. Dans les années 1920, les salles de la presqu’île se partageaient entre celles qui assuraient la sortie des films en exclusivité et celles qui les reprenaient quelques semaines ou quelques mois après. Seul le cinéma Bellecour se distinguait réellement par sa programmation. Dix ans plus tard, les lignes de fracture se sont multiplié. Aux salles d’exclusivité généralistes (Scala, Royal, Tivoli, Majestic, Pathé-Palace) et à celles de reprise (Grolée, Palace, Modern) se sont ajoutées des salles spécialisées dans les films en version originale ou réservés à un public averti (cinéma Coucou, cinéma Idéal transformé en Studio 88), des salles en exploitation permanente (cinéma Paris, qui reprend des films longtemps après leur sortie) ou des salles avec des séances courtes d’actualités ou de dessins animés (Cinéjournal, Cinébref).

Dans une moindre mesure, cette évolution caractérise aussi sur la rive gauche du Rhône, le quartier qui s’étend du cours Lafayette au cours Gambetta qui a toujours eu vocation à devenir le deuxième centre-ville de Lyon. Comme sur la presqu’île lyonnaise, la rive gauche du Rhône est d’abord caractérisée par l’ouverture de grands établissements prestigieux (cinéma Eldorado et cinéma Cigale en 1929), puis par la spécialisation de la programmation de petites salles du quartier. Le cinéma Elysée (314 places), situé à cinq minutes à pied des cinémas Alhambra (800 places), Gloria (800 places) et Eldorado (1 400 places) est en fait la première salle de cinéma lyonnaise à adopter, au printemps 1934, une programmation spécialisée 1226 . Elle est bientôt rejointe, puis dépassée par le cinéma Lafayette (250 places), situé lui une rue derrière la salle de la Cigale (900 places) et qui devient, non sans ironie, le Studio-Fourmi.

Notes
1224.

AML : 1179 WP 001 à 008 : Dossiers des différents établissements.

1225.

Par comparaison entre les chiffres de l’enquête préfectorale de 1931 (ADR 4 M 485) et les plans des salles de cinéma dressés en 1942 que l’on retrouvent dans chaque dossier de salles aux Archives Municipales de Lyon (carton 1179 WP 001 à 008).

1226.

Le Cri de Lyon n° 728, 20 avril 1934.