d) Le maintien de la petite exploitation de proximité

Le renouvellement de l’exploitation lyonnaise durant les années 1930 ne fait pas du passé table rase, loin de là. En effet, malgré les immenses difficultés techniques, économiques, financières, en dépit des faillites à répétition, des fermetures sur plusieurs années parfois, les salles de cinéma de quartier ne disparaissent pas du paysage urbain. Sur les quarante-sept établissements cinématographiques que compte Lyon en 1928, seuls trois ont disparu en 1944. Plus de 90 % des salles de cinéma ont donc traversé les années 1930. La première salle à fermer ses portes a été à la fin de l’année 1929 le cinéma Fantasio à Montchat. Plus que l’avènement du parlant, c’est l’identité de la salle, de type forain, qui a certainement conditionné sa fermeture. En revanche, les deux autres établissements à disparaître au cours des années 1930 ont directement subi la nouvelle donne de l’exploitation. A la Croix-Rousse, le propriétaire du cinéma Lacroix parvient à vendre sa salle juste au moment où s’installe l’imposant Chanteclair. Le nouveau propriétaire, qui pense à juste titre « qu’on l’a pris pour une poire 1238  », ne pourra faire autrement, face à une telle concurrence, que de fermer définitivement la salle. Dans le quartier de Monplaisir, les difficultés des propriétaires successifs face à l’avènement du parlant, la crise économique et la concurrence du tout proche Cristal-palace aboutissent à la fermeture du petit cinéma Bijou. Celui-ci est finalement racheté par l’exploitant du Cristal-palace en 1934 et toujours considéré comme un fonds de commerce en 1943 1239 . Mais la salle n’est à cette date fermée au public depuis de nombreuses années.

A l’exception de ces trois établissements on ne constate aucune disparition parmi les petites salles de quartier. Certaines, pourtant, ferment leurs portes au plus fort de la crise économique : le cinéma Family, dans le bas des pentes de la Croix-Rousse, ne fonctionne pas du tout entre 1931 à 1935 1240 et le cinéma Gerland reste portes closes pendant près d’une année 1241 . Mais ces deux salles finissent par être rachetées et rouvertes au public lorsque le secteur cinématographique se porte mieux.

Dans les quartiers transformés par l’ouverture d’une grande salle de cinéma, on constate le maintien d’une petite salle pour le public plus populaire du quartier. A Vaise, après l’ouverture du cinéma Vox et la réfection du Régina, le cinéma Darnas subsiste comme un lieu plus informel, plus convivial :

‘« Avec le Régina, la clientèle aisée, tout comme au Vox, trouve une salle où l’on exige de la tenue et où l’on interdit absolument de fumer. Et de cette façon les clientèles vont vite se départager. Au Darnas, une certaine liberté et un laisser aller très Front populaire continueront à connaître les faveurs d’un public qui aime à tomber la veste et se sentir là comme chez soi, et même un peu mieux que chez soi. Et comme cela, tout le monde est content. 1242  »’

La pérennité du cinéma Darnas est à Vaise le meilleur exemple de la coexistence dans le quartier de populations socialement et culturellement distinctes. Même si les cinémas Régina et Vox peuvent espérer attirer également les habitants des communes voisines, Tassin, Dardilly ou Ecully, en tout cas ceux qui disposent déjà d’une automobile. Sur le plateau de la Croix-Rousse, l’ouverture du Chanteclair a bien entraîné la fermeture du cinéma Lacroix, mais le cinéma de Jérôme Dulaar continue à proposer aux Croix-Roussiens un cadre plus convivial.

Illustration 21. Façade du cinéma Cigale, ouvert en 1929 entre les quartiers Part-Dieu et Brotteaux
Illustration 21. Façade du cinéma Cigale, ouvert en 1929 entre les quartiers Part-Dieu et Brotteaux

(Source : AML, carton 1121 WP 002)

Illustration 22. Façade du cinéma Cinébref, dans le centre de la ville
Illustration 22. Façade du cinéma Cinébref, dans le centre de la ville

(Source : AML, carton 1179 WP 001 : Plan et façade de la salle, 1942)

Illustration 23. Façade du cinéma Splendid, implanté entre les quartiers
Illustration 23. Façade du cinéma Splendid, implanté entre les quartiers Gerland et Etats-Unis

(Source : AML, carton 1273 WP 022 : Plan et façade de la salle, 1942)

Illustration 24 : Façade du cinéma Caméo (ex-Venise), situé dans le quartier de la Villette
Illustration 24 : Façade du cinéma Caméo (ex-Venise), situé dans le quartier de la Villette

(Source : AML, carton 1273 WP 022 : Plan et façade de la salle, 1942)

Illustration 25. Façade actuelle du cinéma Caméo
Illustration 25. Façade actuelle du cinéma Caméo

(Collection personnelle)

La problématique est différente sur la rive gauche du Rhône où certaines des petites salles qui jouxtent les grands établissements se transforment en établissements spécialisés. Mais, entre Part-Dieu et Guillotière, on trouve toujours de petites salles de cinéma – le Familia, le Paul-Bert – caractérisées on le verra par une programmation plutôt populaire, où les films de série B se taillent la part du lion.

Si le modèle de la salle de cinéma de quartier se maintient, il s’étend également. Certains quartiers lyonnais sont ainsi marqués à la fin des années 1930 par l’ouverture d’une deuxième exploitation cinématographique: à Gerland, le cinéma Oasis en 1937 (326 places) ; à Montchat, le cinéma Novelty en 1938 (299 places) et dans les pentes de la Croix-Rousse, le cinéma Marly en 1939 (318 places). Ces établissements de modeste envergure partagent la clientèle du quartier où ils sont implantés.

A Villeurbanne, le cinéma conquiert un nouveau territoire. En effet, deux salles de cinéma s’implantent à l’extrême est de la commune, dans le quartier de la Soie : les cinémas Printania (ouvert en 1930) et Régence (ouvert en 1931). A Lyon même, le quartier des Etats-Unis est le seul qui, entre 1926 et 1936, gagne de manière significative des habitants. Or, l’offre de cinéma dans le sud-est de la ville s’est, elle aussi, multipliée : deux salles de cinéma, le Bocage et le Moulin rouge, ouvrent leurs portes au cours des années 1930 et le cinéma Victoria (ex-cinéma de la Plaine), qui existe depuis les années 1920, triple sa capacité d’accueil 1243 . L’exploitation cinématographique de proximité demeure une réalité.

Notes
1238.

Le Cri de Lyon n° 656, 19 novembre 1932.

1239.

ADR : 4007 W 39 : Formation de la société Cristal-palace (17 février 1943).

1240.

AML : 1179 WP 007 : Dossier du cinéma Rialto (ex-Family).

1241.

AML : 1179 WP 006 : Dossier du cinéma Olympic (ex-Gerland).

1242.

Le Cri de Lyon n° 894, 8 octobre 1937.

1243.

AML : 1121 WP 005 : Dossier du cinéma de la Plaine et 1273 WP 002 : Plan du cinéma Victoria, 1942.