A. Sermones de tempore et sermones de sanctis

Les sermons sont répartis en deux séries distinctes dans le manuscrit parisien : une première partie à partir du f. 5ra qui porte un titre générique directement accolé à l’annonce du sermon 1 (incipiunt sermones fratris Guillelmi de Saccouilla). Elle compte 34 sermons. A défaut de titre explicitement donné dans le manuscrit, nous les intitulons sermones de tempore. La deuxième partie commence au f. 95ra et s’intitule de manière plus précise : incipiunt sermones fratris Guillelmi de Saccouilla de sanctis. Celle-ci est plus importante en longueur et en nombre puisqu’elle rassemble 72 sermons de sanctis. La collection est globalement bâtie selon l’ordre chronologique de l’année liturgique. Les indications régulièrement données par le copiste en marge inférieure permettent de reconstituer le calendrier suivi et de déterminer pour quel dimanche ou fête de saint chaque sermon a été rédigé. Ces mentions marginales montrent que la succession des sermones de tempore respecte la chronologie d’une année liturgique : on commence par sept sermons consacrés aux quatre dimanches de l’Avent, le temps de Noël est ensuite laissé de côté, puis on passe à l’Epiphanie, au Carême (quatre dimanches) et à la Semaine Sainte, enfin une série de dimanches après l’octave de Pâques puis la Pentecôte. Trois sermons indépendants du calendrier liturgique viennent clore la série : un dimanche sans date et deux sermons pour un synode. Les dates manquent pour quelques sermons, soit que le parchemin ait été gratté, comme au f. 28ra pour le sermon 11 Melior horum est caritas, soit que le scribe ait uniquement noté dominica, comme pour le sermon 14 Jhesu fili David (f. 36va), le sermon 17 Testimonium Christi (f. 44va), le sermon 32 Anima plus est quam esca (f. 94va). Quant aux deux derniers sermons de la série, les sermons 33 et 34 Videte quomodo caute ambuletis, la mention marginale a été ajoutée par une autre main que celle du scribe 43 , alors que le verset qui leur sert de thème principal (Eph. 5, 15) est traditionnellement utilisé chez les Dominicains 44 pour le 20e dimanche après la Trinité, ce qui est concordant avec la chronologie. On remarque que le temps de Noël, fondamental dans le temps liturgique chrétien, ne donne lieu à aucun sermon de tempore. Inversement, un même dimanche peut être illustré par deux voire trois sermons, comme le 2e dimanche de l’Avent.

L’ordre de l’année liturgique est moins bien respecté en ce qui concerne les sermons des saints. La série commence avec deux sermons pour saint André (fête le 30 novembre) et se poursuit jusqu’à la fête de sainte Catherine (25 novembre), soit 57 sermons qui suivent l’ordre des fêtes des saints, à de rares exceptions près : le sermon 61 (fête de saint Augustin, 28 août) est placé au milieu des cinq sermons consacrés à l’Assomption (15 août) ; le sermon 86 (fête de saint François, 4 octobre) se trouve placé entre le sermon 85 pour les défunts et le sermon 87 pour la saint Martin (11 novembre). La fin de la série, du sermon 92 (fête de saint Dominique, 5 août) au sermon 106, est plus mélangée : ce sont essentiellement des sermons de casibus, pour un synode (sermon 106), un confesseur, pour le temps qu’il fait (pro serenitate temporis, sermons 103 à 105), pour un mariage (sermon 102), mais aussi pour des saints (Dominique et Lucie, sermon 97).

Guillaume propose des sermons en suivant de manière très classique l’année liturgique, ce que l’on remarque particulièrement dans la partie de sanctis, où ne figurent que les saints les plus couramment connus. Tous les grands noms du calendrier chrétien s’y trouvent et on ne rencontre aucun saint local. Hormis la Nativité, les événements de la vie de Jésus font l’objet d’un ou plusieurs sermons. La Passion et la Résurrection sont intégrées dans le cycle de Pâques et figurent parmi les sermons de tempore (sermons 19 et 21) ; la vie du Christ est ensuite illustrée dans les sermons de sanctis par un sermon sur la Circoncision (43), deux sermons sur l’Epiphanie (43bis et 44), un sermon sur la Cène (55), l’Ascension (57) et la couronne du Christ (98). C’est surtout la Vierge qui fait l’objet d’une prédilection affirmée de la part de Guillaume de Sauqueville. Il lui consacre quinze sermons qui figurent dans la partie de sanctis : deux sermons pour la Conception de la Vierge (8 décembre, sermons 38 et 39), cinq sermons pour l’Annonciation (25 mars, sermons 50 à 54), cinq encore pour l’Assomption (15 août, sermons 64, 65, 66 à 69) et trois pour sa Nativité (8 septembre, sermons 71 à 73). La prédilection des Dominicains pour la Vierge Marie est une de leurs caractéristiques les plus connues. Guillaume y fait lui-même allusion dans le sermon 72 (f. 162ra-rb) :

‘Inter alios religiosos predicatores quadam singulari prerogatiua gloriantur se esse filios beate Virginis et merito, quia ipsa fuit mater Christi dando sibi habitum nostre humanitatis. Ita est mater ordinis dans nobis habitum nostre religionis et itaque fratres non sumus ancille filii set libere (Gal. 4, 31). ’

La dévotion mariale a eu dès l’origine de l’ordre dominicain une place très importante, notamment dans la liturgie. La journée était rythmée de plusieurs louanges et chants en l’honneur de Marie, depuis les Matines jusqu’au Salve Regina du soir 45 . L’Ave Maria est ainsi particulièrement prisé des Prêcheurs. Lors de la profession, chaque Dominicain fait promesse d’obéissance à la Vierge et à Dieu 46 . Cet attachement est peu à peu entré dans la légende de l’ordre : on peut admirer encore aujourd’hui au musée de Cortone une peinture sur bois de Fra Angelico intitulée Saint Dominique reçoit l’habit de l’ordre dominicain des mains de la Vierge Marie, et datée de l’année 1436. Guillaume confirme cet attachement à la Vierge de manière très nette. Le dominicain inclut dans les sermons de sanctis des sermons sur les deux principaux fondateurs des ordres mendiants ; on trouve donc cinq sermons sur saint François (sermons 76 à 79 et 86) et deux sermons sur saint Dominique (sermons 63 et 92). Ces sermons sont très riches en anecdotes sur la vie de chacun des deux personnages et s’inspirent directement des vies de saints 47 .

La collection de sermons de Guillaume de Sauqueville couvre toute l’année universitaire et va même au-delà de ce calendrier : on constate que des sermons sont prévus pour des dates auxquelles l’université suspend traditionnellement ses cours. L’année universitaire 48 commence en effet à la mi-septembre et se termine le 29 juin, elle est interrompue pendant les vacances de Noël, du 17 décembre au 8 janvier, et quelques jours à Pâques. Si la période de Noël est effectivement laissée de côté par Guillaume, on trouve tout de même dans la collection des sermons dont les dates correspondent aux vacances universitaires, à des moments où les maîtres n’assurent plus de cours : plusieurs sermons se situent pendant les vacances d’été, comme les sermons 61 et 62 pour la fête de Marie Madeleine (22 juillet). Il ne peut donc s’agir de textes prévus dans le cadre strict des activités et enseignements de l’université, ni reflétant une activité de prédicateur en lien avec l’université. Par ailleurs, seuls les maîtres en exercice prêchaient tout au long de l’année. Avant la maîtrise, l’étudiant a bien l’occasion de prêcher lui aussi, mais cela reste très ponctuel. Il s’agit plutôt d’un recueil offrant un choix de sermons destinés à couvrir l’année liturgique complète, tout du moins dans ses principaux moments, et se réserve même une partie consacrée à des circonstances particulières, comme le mariage.

L’œuvre de Guillaume de Sauqueville n’a jamais été éditée dans son ensemble. Comme cela a été dit plus haut, c’est Noël Valois qui a commencé à s’intéresser au texte, dans la notice biographique qu’il publie en 1914, accompagnée de nombreux extraits des sermons. Puis H. Cöster donne pour la première fois deux sermons complets, dans sa thèse, achevée en Allemagne en 1935 49  : elle transcrit deux sermons : Osanna filio David (sermon 37) et Rex sapiens populi stabilimentum est (sermon 70), et donne des extraits de Et erunt signa in sole et luna (sermon 38). La même année, Helmut Kämpf 50 donne lui aussi une transcription du sermon Osanna filio David. Enfin en 1995, Vincent Serverat 51 renouvelle l’intérêt porté à Guillaume de Sauqueville en éditant le sermon 11 et en l’étudiant dans une perspective d’histoire intellectuelle en lien avec le lullisme.

Notes
43.

Cette mention indique (f. 94ra) : in synodo.

44.

Maura O’Carroll, « The lectionnary of the Proper of the year in the Dominican and Franciscan rites of the thirteenth century », dans Archivum fratrum Predicatorum, 49, 1979, p. 79-103.

45.

Humbert de Romans, Expositio super constitutiones fratrum Predicatorum, dans Opera de vita regulari, ed. J. J. Berthier, Rome, 1889, II, p. 70-71.

46.

André Duval, « La dévotion mariale dans l’ordre des frères Prêcheurs », dans Maria. Etudes sur la Sainte Vierge, Paris : Beauchesne, 1952, t. 2, p. 739-782. Michel Tarayre, La Vierge et le miracle. Le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, Paris : H. Champion, 1999, p. 12-13. Pour un bilan récent et précis sur la question de la piété mariale des Dominicains, voir : Laura Gaffuri, « La predicazione domenicana su Maria (il secolo XIII) », dans Gli studi di mariologia medievale. Bilancio storiographico. Atti del I Convegno mariologico della Fondazione Ezio Franceschini (Parma, 7-8 nov. 1997), Firenze : SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2001, p. 193-215.

47.

Voir chapitre 2 p. 71 sqq.

48.

P. Glorieux, Répertoire des maîtres en théologie de Paris au XIIIè siècle, Paris : Vrin, 1933, p. 21 et du même auteur, « L’enseignement au Moyen Âge : techniques et méthodes en usage à la faculté de Théologie de Paris au XIIIe siècle », dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 35, 1968, p. 65-186. J.-M. Goglin, L’enseignement de la théologie dans les ordres mendiants à Paris au XIIIè siècle, Paris : Editions franciscaines, 2002.

49.

Son travail est resté à l’état de dactylographie est n’a jamais été publié.

50.

H. Kämpf, Pierre Dubois und die geistigen Grundlagen des französischen Nationalbewußtseins um 1300, Leipzig-Berlin, 1935, p. 112-114.

51.

Vincent Serverat, « "Trouver chaussure à son pied". Un passage anti-lullien dans un sermon de Guillaume de Sequavilla », dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 62, 1995, p. 443-469.