b. Bruges, Bibliothèque municipale, ms. 263

Le catalogue des manuscrits de la bibliothèque municipale de Bruges nous apprend que le manuscrit Bruges 263 provient de l’abbaye des Dunes 99 , et qu’il daterait du XVe siècle. Cette abbaye a été fondée au XIIe siècle par un moine français venu vivre en ermite près des dunes de la mer du Nord. Il fut rejoint ensuite par d’autres frères et en 1238 la communauté s’affilia à l’ordre cistercien. Le monastère des Dunes fut l’un des plus importants de l’ordre de Cîteaux, il fut également un grand centre intellectuel. L’origine cistercienne de ce manuscrit est donc assurée. L’abbaye des Dunes avait une abbaye-fille, Ter Doest (dite aussi de Thosan), près de Lisseweghe, aux environs de Bruges. Ter Doest et sa bibliothèque furent rattachées à l’abbaye-mère en 1624, sur décision de l’évêque de Bruges et de l’abbé des Dunes. L’ensemble du fonds fut recatalogué par Charles de Visch 100 , futur prieur des Dunes, en 1628, et c’est grâce à ce catalogue que l’on connaît aujourd’hui l’ancien fonds des Dunes. C’est la bibliothèque de la ville de Bruges qui accueille à présent la majorité du fonds de ces deux abbayes. On peut raisonnablement penser que le manuscrit Bruges 263 provient de l’abbaye des Dunes elle-même, avant le rattachement de Ter Doest. En effet les manuscrits de l’abbaye de Ter Doest étaient la plupart du temps marqués de la main même du scribe par une attestation explicite du type : liber sanctae Mariae de Thosan. Il n’y en a aucune dans le manuscrit des sermons de Guillaume de Sauqueville. En revanche, on distingue facilement l’estampillage en forme de croix de Bourgogne sur le premier et le dernier feuillet. Cette marque est caractéristique des manuscrits de l’abbaye des Dunes qui, dépourvus de marque à l’origine, ont été signalés de cette façon à la suite du déménagement de 1627 et de la fusion des deux fonds. Dans le catalogue de Charles de Visch, on retrouve le manuscrit dans la sixième rubrique consacrée aux concionatores : Guillaume de Sauqueville est la dernière référence 101 . Le manuscrit de la bibliothèque de Bruges est le seul, avec le manuscrit parisien, à contenir uniquement les sermons de Guillaume de Sauqueville, ce n’est pas un manuscrit composite 102 . C’est un document de petit format qui rassemble 61 sermons figurant aussi dans le manuscrit BnF lat. 16495 et donc répertoriés par J.-B. Schneyer. Les sermons ont été choisis indifféremment dans les deux parties, de tempore et de sanctis, sans qu’aucune logique n’apparaisse clairement dans ce choix. L’ordre de l’année liturgique n’est plus du tout respecté. Le scribe a aussi maintenu le système de renvoi entre sermons, mais en l’adaptant à sa propre rédaction. Par exemple, l’incipit du sermon 12 se présente ainsi dans le manuscrit BnF lat. 16495 :

‘Miserere mei, Domine fili Dauid, Mt. 15 (22). Facias de persuasione subsequentis sermonis Osanna filio Dauid.’

Le scribe du manuscrit belge a remplacé subsequentis par precedentis : le sermon 12 est en fait chez lui le sermon 9, et le sermon Osanna filio David n’est pas le sermon 37 mais le 8. En plus des 61 sermons communs avec le manuscrit parisien, le manuscrit Bruges 263 compte aussi trois embryons de sermons inconnus, qui ne figurent ni dans le répertoire de J.-B. Schneyer ni dans les autres témoins manuscrits. Il s’agit de plans de sermons extrêmement courts :

f. 14va : in regione umbre mortis lux orta est eis, Mt. IIII (16). Facias introitum sicut alibi. Ecce duo mirabilia, claritas in nocte et nativitas in morte. Tanguntur quatuor quorum duo ex opposito correspondent duobus. Maria enim mutat nomen Eve, primo quia Eva noctem culpe attulerat. Eramus in regione umbre set Maria diem gratie attulerat quia lux est in regione umbre. Iterum secundo Eva inceperat mortis excidium set Maria recuperat vite exordium quia orta est in umbra mortis. Quere concordantias.

f. 57vb : surgens venit ad Patrem in Luca (15, 20). De ascensione virtualiter est erectus, surgens. Ille qui ab aliquo elevatur non surgit set qui virtute propria, surgens Christus de synagoga introivit in domum Symonis socci autem (Luc. 15, 38) etc. Actualiter est profectus, venit. Singulariter est directus ad patrem.

f. 57vb : scio quid faciam in Luca (16, 4). Devotio mentis lucide scio. De sapientia dicitur (Sap. 9, 10) : mitte illam a sede magnitudinis tue ut mecum sit et mecum laboret ut sciam quid acceptum sit etc. Ratio rei solide, quid mitte et ac Symonem qui cognominatur Petrus hic dicet tibi quid te oporteat facere. Actio manus valide, faciam quid faciemus ut vitam eternam habeamus. Operamini non cibum qui perit set qui permanet in vitam eternam (Jo. 6, 27).

On trouve dans le manuscrit parisien de simples plans de sermons, mais ils ne sont jamais aussi courts. L’origine de ces trois textes est inconnue 103 . Nous n’avons aucun renseignement sur le scribe qui a copié ce manuscrit, le texte ne comporte ni explicit ni colophon. Au folio 1 on peut lire : sermones Guillelmi de Saccovilla en tête des sermons, et, d’une écriture plus moderne, sermones dominicales Guillelmi de Saccovilla dans la marge inférieure. L’écriture est de petit module, très régulière et plus soignée que celle du manuscrit parisien, et donc d’une grande lisibilité. C’est une libraria qui fait plutôt penser à une écriture du XIVè siècle. La mise en page est la même, sur deux colonnes par folio, avec une ornementation encore plus sommaire puisqu’il n’y a même pas de majuscule ornée en tête de sermon : elles n’ont finalement pas été réalisées, il ne reste que la lettre de rappel dans la marge. Les citations bibliques sont soulignées, comme dans le manuscrit de la BnF, mais avec beaucoup plus de soin et d’exactitude. De même, la qualité du latin est légèrement supérieure. C’est un manuscrit soigneusement copié, les variantes sont minimes (omissions de quelques mots, inversions) et peu nombreuses (une quinzaine de leçons différentes, au maximum, par sermon). Il n’y a pas de modification importante dans les sermons ; le scribe a eu plutôt tendance à améliorer discrètement le latin du manuscrit de Paris, notamment dans la conjugaison des verbes, je l’ai suivi à plusieurs reprises. Le manuscrit de Bruges a été collationné, il est signalé par la lettre B dans l’apparat critique de l’édition latine. Hormis les trois très courts sermons supplémentaires, on ne note aucun différence notable entre les deux textes. Le manuscrit ne mentionne aucun nom de possesseur ni ne porte la moindre marque d’utilisation. Il n’est pas doté de table des matières.

Notes
99.

A. De Poorter, Catalogue des manuscrits de la bibliothèque publique de la ville de Bruges, Gembloux-Paris, 1934. Le manuscrit est aussi signalé dans un catalogue plus spécialisé que rédigea A. De Poorter. Voir A. de Poorter, « Catalogue des manuscrits de prédication médiévale de la bibliothèque de Bruges », dans Revue d’histoire ecclésiastique, 24, 1928, p. 62-124.

100.

Charles de Visch, né en 1596 près de Furnes, entre en 1618 dans la communauté des Dunes et y joue le rôle de bibliothécaire. En 1628, après la réunification des deux bibliothèques, c’est lui qui rédige un nouveau catalogue thématique des manuscrits. L’édition de ce catalogue a été faite par Marie-Thérèse Isaac, Les livres manuscrits de l’abbaye des Dunes d’après le catalogue du XVIIe siècle, Aubel (Belgique) : P. M. Gason, 1984. Dans l’introduction (p. ci-cxii), l’auteur donne l’historique des fonds des deux bibliothèques et indique comment les distinguer l’un de l’autre.

101.

6.56 Wilhelmus de Sacco-Villa. Sermones dominicales, sic incipientes : « Videns civitatem, flevit etc. » (M.-T. Isaac, op. cit., p. 268).

102.

Voir en annexe le tableau synoptique des sermons, qui permet de connaître le contenu de chaque manuscrit, et donc les sermons communs.

103.

Aucun de ces sermons ne figure dans le répertoire de J.-B. Schneyer.