B. Jacques de Lausanne

Le nom de Jacques de Lausanne a été cité à plusieurs reprises, et il est maintenant nécessaire de s’intéresser à ce personnage. Il existe une très grande proximité entre Guillaume de Sauqueville et Jacques de Lausanne : les deux dominicains sont contemporains, auteurs de sermons sont le style est très voisin, et dans les manuscrits leurs œuvres sont régulièrement mélangées.

La vie de Jacques de Lausanne 133 est bien mieux connue que celle de Guillaume. Il est né à Gruyères (Suisse actuelle), dans le canton de Fribourg, et entre au couvent de Lausanne. On le retrouve à Paris en 1303, où il signe le fameux appel au concile 134 lancé par le roi Philippe le Bel : le 26 juin, 133 religieux du couvent signent en faveur de la réunion d’un concile destiné à examiner le cas du pape Boniface VIII, alors en plein conflit avec la royauté française. Jacques de Lausanne figure parmi les signataires du couvent Saint-Jacques. Ses études le conduisent à devenir bachelier biblique de 1311 à 1314, puis lecteur des Sentences en 1314 135 . Puis en 1317 il obtient la licence en théologie 136 . Il occupe aussi des responsabilités importantes au sein de l’ordre dominicain puisque de 1318 à 1321 il devient prieur de la province de France, à la suite de Hervé Noël. Il meurt en 1321. Jacques de Lausanne fut donc actif à Paris sous le règne de Philippe le Bel essentiellement, sa présence à Paris est donc légèrement antérieure à celle de Guillaume de Sauqueville.

Jacques de Lausanne a laissé un commentaire des Sentences de Pierre Lombard, des postilles sur la Bible, un Compendium moralitatum présent encore aujourd’hui dans plus de 80 manuscrits, et une collection de sermons 137 . Ceux-ci se répartissent en sermones de tempore et en sermones de sanctis. Le corpus est énorme : J.-B. Schneyer décompte 415 sermons de tempore, 306 sermons de sanctis, 55 sermons de communi sanctorum, et plusieurs séries « annexes » signalées dans sept autres manuscrits. Outre le nombre des sermons répertoriés, le problème de la prédication de Jacques de Lausanne réside dans l’absence d’édition moderne de ces textes 138 . Cet état de fait devient un réel handicap quand on sait que l’attribution de nombre de sermons à Jacques de Lausanne est en réalité douteuse. J.-B. Schneyer met en garde dès l’introduction du chapitre consacré au dominicain : pour quelques sermons, on ne sait si Jacques de Lausanne en est l’auteur ou bien un autre dominicain, Michael de Furno. Il aurait tout aussi bien pu mentionner le nom de Guillaume de Sauqueville car quatre sermons sont attribués à chacun des deux auteurs dans le Repertorium 139  :

Erunt signa (Luc. 21, 25). Ortus sol et exordium lune nove habent illud commune...

BnF lat. 16495 n°39 (ff. 101va-104va) ; pour Jacques de Lausanne, signalé dans le manuscrit Bordeaux, Bibliothèque municipale, 295. Voir Schneyer, p. 141, n° 1091. Aucune mention de fête.

Benedixi ei (Gen. 27, 33). In Deut. scribitur et videtur verbum indifferenter dirigi...

BnF lat. 16495 n°49 (ff. 117va-120va) ; pour Jacques de Lausanne, signalé dans BnF lat. 13374 (f. 215ra) ; BnF lat. 14962 (f. 25) ; BnF lat. 14963 (partie 2) ; BnF lat. 18181 (f. 219rb) ; Münich, Statsbibl., Clm 13585 ; Toulouse, Bibl. mun. 337 ; Vatican, Bibl. apost., Vat. lat. 1250 (partie 2). Voir Schneyer p. 95, n° 495. Considéré comme un sermon pour saint Benoît.

Hec dies boni nuntii est. Viator volens venire hospicium paratum premittere solet...

BnF lat. 16495 n° 50 (f. 120va) ; pour Jacques de Lausanne, signalé dans Escorial, d. III. 17 (f. 70rb). Voir Schneyer, p. 96, n° 502. Considéré comme un sermon pour l’Annonciation.

Refloruit caro mea (Ps. 27, 7). Pauper qui indiget divitis eleemosyna, tunc est audacior...

BnF lat. 16495 n° 20 (f. 54ra) ; pour Jacques de Lausanne, signalé dans Escorial, d. III. 17 (f. 38va). Voir Schneyer, p. 72, n° 222. Considéré comme un sermon pour le jour de Pâques.

On repère ces quatre interférences quand on utilise l’index du Repertorium pour retrouver les sermons ; J.-B. Schneyer lui-même ne les signale pas explicitement. L’attribution des sermons à Jacques de Lausanne n’est pas assurée. Pour attribuer ces sermons à Jacques de Lausanne, J.-B. Schneyer s’est fié aux mentions d’auteur qu’il a lues dans les manuscrits, sans autre moyen de vérification puisqu’il n’existe pas d’édition fiable. Nous ne tiendrons donc pas pour sûre la liste des sermons de Jacques de Lausanne telle que le Repertorium de Schneyer la livre. Depuis la publication du Repertorium en 1969, l’étude des textes de Jacques de Lausanne n’a fait aucun progrès.

Prêchant à la même époque, Jacques de Lausanne et Guillaume de Sauqueville rédigent des textes également très proches dans leur style et dans les thèmes qu’ils abordent. « A une époque où la prédication commence à être faite en langue vulgaire, Jacques de Lausanne, avec simplicité et jovialité, cite nombre de proverbes et de dictons français. Sa verve s’exerce non seulement contre les évêques et les chapitres de leurs cathédrales, mais aussi contre marchands et fonctionnaires. [...] Précieux pour l’historien à cause des détails pittoresques qu’il donne sur la vie de son temps, Jacques de Lausanne, par son interprétation de l’Écriture agrémentée de légendes et de gloses inattendues, par sa théologie traditionnelle mise à la portée de tous, fournit un bon exemple de la prédication au début du XIVe siècle. » Cette description générale de la prédication de Jacques de Lausanne, que donne Guy-Thomas Bédouelle 140 , pourrait très bien convenir à celle de Guillaume. Les deux dominicains appliquent en effet les mêmes techniques lorsqu’ils composent leurs sermons : un plan de type universitaire, une division du verset biblique en plusieurs parties (de deux à quatre) qui donne l’enchaînement logique du raisonnement, un usage régulier des proverbes et autres sentences en français, enfin une nette propension à insérer des anecdotes tirées de la vie courante. On peut cependant discerner deux différences, mais elles sont minces : Jacques de Lausanne s’exprime en français sans trace de dialecte normand, il utilise beaucoup plus d’exempla que Guillaume de Sauqueville. Mais les quatre sermons douteux ne comportent aucune phrase en français. Quant au sermon 39, il offre bien le seul exemplum de la collection, mais cela ne peut être très révélateur. Les deux auteurs sont indissociablement mêlés, on le constate facilement dans les manuscrits comme dans la bibliographie. Ainsi les manuscrits Toulouse 338 et Vatican Borghese 247 mélangent les deux auteurs, sans que l’on ait le moyen de les discerner de manière sûre.

Notes
133.

J. Quétif, J. Echard, Scriptores Ordinis Predicatorum, I, p. 547-549. Histoire littéraire de la France, Paris, 1906, t. 33, p. 459-479. T. Kaeppeli, E. Panella, Scriptores ordinis Predicatorum Medii Aevi, Rome, 1970-1993, t. 2, p. 323-329.

134.

Antoine Dondaine, « Documents pour servir à l’histoire de la province de France. L’appel au concile (1303) », dans Archivum Fratrum Predicatorum, 22, 1952, p. 381-440. Il s’agit d’une étude spécifique à la province dominicaine de France. Les documents dont se sert A. Dondaine avaient déjà été édités, notamment dans : G. Picot, Documents relatifs aux états généraux et assemblées réunies sous Philippe le Bel, Paris, 1901. La liste de noms est tout de même sujette à caution : on y dénombre très peu d’étrangers. On notera au passage que l’on n’y trouve pas le nom de Guillaume de Sauqueville.

135.

Chartularium Universitatis Parisiensis, ed. H. Denifle, E. Châtelain, Paris : Delalain, 1891, t. 2, n° 714, p. 172 : assignamus ad legendum Sententias Parisius isto anno fratrem Jacobum de Lausana.

136.

Ibid., p. 206-207 n° 748 : Johannes XXII Thomae de Balliaco, cancellario Parisiens., injungit ut Jacobo de Lausanna Ord. Pred. licentiam in theologia tribuat (3 juillet 1317, Avignon).

137.

T. Kaeppeli, E. Panella, Scriptores ordinis Predicatorum Medii Aevi, n° 2084 à 2090, p. 323-329. Pour les postilles, voir F. Stegmüller, Repertorium biblicum, Madrid, 1951, t. 3, n° 3889 à 3969. Pour les sermons, voir J.-B. Schneyer, Repertorium der lateinischen Sermones des Mittelalters für die Zeit von 1150-1350, Münster, 1969, t. 3, p. 54-157. Id., « Eine Sermonesliste des Jacobus von Lausanne op », dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, 27, 1960, p. 67-132.

138.

Les sermones de tempore ont fait l’objet d’une édition partielle au XVIe siècle : Jacques de Lausanne, Sermones dominicales et festivales per totum anni circulum, Paris : Ambroise Girault, 1530. Quelques sermons ont été publiés aux XIXe et XXe siècles dans des revues. Voir par exemple Albert Durand, « Un sermon de Jacques de Lausanne sur la Conception de la Vierge », dans Bulletin du comité de l’art chrétien (diocèse de Nîmes), tome VII, n° 50, 1905, p. 601-615.

139.

Ces sermons figurent aussi dans J.-B. Schneyer, « Eine Sermonesliste… », p. 88 et 110.

140.

G.-T. Bédouelle, « Jacques de Lausanne », dans Dictionnaire de spiritualité, Paris, 1974, vol. 8, col. 45.