b. la liturgie

Hormis l’influence que la liturgie peut avoir sur les extraits de la Bible, sa présence 169 est nette dans les sermons : Guillaume utilise régulièrement les citations liturgiques comme auctoritates. La liturgie fournit en effet au prédicateur 48 citations. Dans la très grande majorité des cas, les citations liturgiques sont annoncées comme telles et avec précision : cantamus, in antiphona dicitur, in collecta, cantamus in prosa. Ce sont des citations courtes, pas plus d’une phrase en général, qui viennent corroborer, et non illustrer, ce qui a été dit précédemment. Elles peuvent être choisies en lien avec la fête qui fait l’objet du sermon. Dans le sermon 37 170 par exemple, composé pour la fête de saint Nicolas, on lit au f. 97va :

‘Modo inter illos, qui iam uenerunt ad regnum inter sanctos iam inunctos et coronatos in celis, ille uel unus de illis qui habet manum uirtuosiorem in miracula faciendo et infirmos curando est beatus Nicholaus. Innumera sunt miracula eius. « Innumeris decorasti miraculis », dicitur in collecta. ’

Le dominicain établit un parallèle entre le roi de France qui, oint et couronné, a le pouvoir de réaliser des guérisons miraculeuses grâce à son pouvoir thaumaturge, et saint Nicolas qui, lui aussi, est à l’origine de miracles innombrables. A l’appui de cette affirmation, il introduit une autorité : un extrait d’une oraison pour saint Nicolas 171 . Comme nous le verrons avec les citations non scripturaires, le choix des citations liturgiques obéit à une obligation de cohérence avec le texte qui se traduit par un lien sémantique fort. C’est un choix lié au sens, à l’interprétation et au raisonnement que le prédicateur est en train de développer. Guillaume mentionne que ce sont des pièces chantées (cantamus), mais c’est finalement leur seule particularité : insérées dans le sermon, elles sont traitées comme des auctoritates classiques et viennent en appui de la démonstration. Reprenons l’exemple du sermon 22 cité ci-dessus. Guillaume fait référence à Eze. 47, 2, mais ce verset est formulé ainsi dans la Bible :

‘Et eduxit me per viam porte aquilonis et convertit me ad viam foras portam exteriorem viam que respiciebat ad orientem et ecce aque redundantes a latere dextro.’

Le prédicateur a en réalité choisi une citation liturgique (f. 62ra : uidi aquam egredientem de templo a latere dextro) qui a seulement trois mots en commun avec la citation biblique à laquelle il pense 172 . Or Guillaume, dans son développement, évoque le cœur de l’homme qui, comme le corps, a deux côtés : à droite, l’amour de Dieu ; à gauche, la crainte du mal. Il préfère mettre en valeur le côté droit parce que l’amour de Dieu a plus de vertus que la crainte du mal et permet notamment de pratiquer la pénitence. Mais le verset d’Ezechiel ne lui donne pas la possibilité de conclure de manière satisfaisante, même si l’on y trouve l’eau comme image de la contrition et la précision finale sur le côté droit. Pour boucler sa démonstration, la citation liturgique qu’il choisit est beaucoup plus appropriée car elle introduit un nouvel élement : le temple, qu’il interprète comme étant le cœur de l’homme. Guillaume puise dans les textes très connus, comme le Pater ou l’Ave Maria, mais aussi dans des hymnes dominicains spécialement en ce qui concerne la Vierge.

Quelques confusions dans les références bibliques indiquent aussi à quel point Bible et liturgie sont mêlées dans la tête du prédicateur. Le meilleur exemple se trouve dans le sermon 36, où Guillaume conseille à son lecteur de se reporter à un autre sermon pour terminer sa rédaction (f. 96va-b) :

‘Facias, si uis, prothemata in isto sermone Da sermonem rectum et bene sonantem in os meum, in Hest. ’

Or non seulement il n’y a pas dans la collection de sermon construit sur ce verset, mais en outre ce n’est pas un extrait du livre d’Hester, ni même de la Bible. Il s’agit en réalité d’un répons pour le quatrième dimanche de septembre. Guillaume le reprend en toute fin de sermon et le traduit en français. Il est difficile de dire d’où vient cette confusion.

Notes
169.

Pour une vision d’ensemble sur la question de la liturgie chez les Mendiants, voir Maura O’Carroll, « The friars and the liturgy in the thirteenth century », dans La predicazione dei frati dalla metà del ‘200 alla fine del ‘300. Atti del XXII Convegno internazionale (Assisi, ott. 1994), Spoleto : Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1995, p. 189-227.

170.

f. 96vb-98vb : Osanna filio Dauid, Mt. XXI (9). Quilibet heres Francie, ex quo inunctus et coronatus…

171.

Corpus orationum II D, Turnhout : Brepols, 1993 (SL 160A, oratio 1463, p. 263).

172.

Corpus antiphonalium officii, Roma : Herder, 1963-1979, t. 3, n° 5403 (Dominica Paschae, ad Proces. In die Paschae) : vidi aquam egredientem de templo a latere dextro, alleluia, et omnes ad quos pervenit aqua ista salvi facti sunt et dicent alleluia alleluia.