II - Les instruments de travail de Guillaume de Sauqueville

Peut-on arriver à déterminer quels sont les livres qui ont servi d’instruments de travail à Guillaume de Sauqueville ? En ce qui concerne le matériau illustratif du sermon (bestiaire, exempla), des influences et des origines probables ont déjà été repérées, comme la Legenda aurea par exemple. Mais nous avons vu que ces emprunts reflètent plus la culture personnelle du prédicateur qu’un véritable travail à partir d’un document particulier. Il en va différemment avec les citations non scripturaires rencontrées dans les sermons, puisque la plupart proviennent du Manipulus florum de Thomas d’Irlande 215 .

Il est souvent extrêmement difficile de déterminer les livres qu’un auteur a réellement consultés pour élaborer son œuvre, particulièrement quand il s’agit des sources d’auctoritates non scripturaires 216 . Les gloses de l’Ecriture, le Décret de Gratien, les Sentences de Pierre Lombard sont des mines de citations, ils sont couramment utilisés par tous les prédicateurs. Mais la nouveauté du XIIIe siècle réside dans la production massive d’instruments de travail destinés à être consultés plus que lus. Cette évolution est en lien avec l’effort d’organisation et de mise à disposition du savoir caractéristique du XIIIe siècle 217 . Parmi ces outils, il faut faire une place spéciale à ceux qui, tel le Manipulus florum, réunissent une masse considérable d’extraits, d’autant plus facilement accessibles qu’ils ont fait l’objet d’une mise en ordre systématique. L’exemple de Guillaume de Sauqueville fait en effet partie des cas, finalement assez peu répandus, où l’on peut mettre en relation directe le recueil de sermons de l’auteur avec le florilège dont il s’est servi dans son travail, c’est-à-dire le Manipulus florum. C’est la piste que nous allons maintenant suivre ; elle a été esquissée voici quelques années par Vincent Serverat 218 dans un article consacré aux rapports entre l’un des sermons de Guillaume de Sauqueville et le lullisme. Nous allons voir que Guillaume s’est servi du florilège peu d’années après sa rédaction par Thomas d’Irlande : cette coïncidence offre un intérêt supplémentaire à la comparaison du Manipulus et des sermons de Guillaume 219 .

Notes
215.

Sur le cas du Manipulus florum utilisé par Guillaume de Sauqueville, voir C. Boyer, « Un témoin précoce de la réception du Manipulus florum au début du XIVè siècle : le recueil de sermons du dominicain Guillaume de Sauqueville », dans Bibliothèque de l’Ecole des chartes, 2006, à paraître. L’article reprend l’essentiel des arguments exposés ici.

216.

C’est ce sens que nous conserverons maintenant au terme d’auctoritas.

217.

Sur le sujet des méthodes du travail intellectuel au XIIIe siècle, voir notamment Richard et Mary A. Rouse, « L’évolution des attitudes envers l’autorité écrite : le développement des instruments de travail au XIIIe siècle », dans Culture et travail intellectuel dans l’Occident médiéval, Paris, 1981, p. 115-144. Voir aussi, dans le même volume, l’article du Père L.-J. Bataillon, « Les instruments de travail des prédicateurs au XIIIè siècle », p. 197-209, repris dans La prédication au XIIIè siècle en France et en Italie : études et documents, Aldershot, 1993, chap. IV. Enfin, voir l’article plus récent de Laura Gaffuri, « Nell’ officina del predicatore : gli strumenti per la composizione dei sermoni latini », dans La predicazione dei frati dalla metà del ‘200 alla fine del ‘300. Atti del XXII convegno int. (Assisi, ott. 1994), Spoleto : Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 1995, p. 81-111.

218.

V. Serverat, « Trouver chaussure à son pied. Un passage « anti-lullien » dans un sermon de Guillaume de Sequavilla », dans Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, t. 62, 1995, p. 443-469, spec. p. 447. Je cite sa remarque p. 447 : « Les citations y sont très nombreuses, en particulier celles de saint Augustin, et il y a tout lieu de présumer que notre prédicateur les a cueillies dans un florilège, peut-être même dans le Manipulus florum, commencé par Jean de Galles et terminé par Thomas d’Irlande. En effet, pour la seule entrée Charité, nous relevons sept citations communes au recueil et au sermon, avec une coïncidence totale dans les termes, y compris pour ce qui est de la source signalée. »

219.

Les publications sont rares sur la postérité des florilèges et leur utilisation pratique. On pourra trouver un point de comparaison avec la situation anglaise à la même époque dans : Christina von Nolcken, « Some alphabetical compendia and how preachers used them in fourteenth-century England », dans Viator, t. 12, 1981, p. 271-288. L’auteur centre son étude davantage sur les compilations de distinctiones. Thomas Falmagne, dans son étude sur les sermons de tempore de Jean de Villers, évoque l’hypothèse selon laquelle le cistercien aurait utilisé le Manipulus florum. Voir T. Falmagne, « Les instruments de travail d’un prédicateur cistercien. A propos de Jean de Villers (mort en 1336 ou 1346) », dans De l’homélie au sermon. Histoire de la prédication médiévale, ed. J. Hamesse et X. Hermand, Louvain la Neuve, 1993, p. 183-237.