a. Eloge de la faculté des arts

On ne sait à quel étape de son cursus universitaire Guillaume de Sauqueville se trouve lorsqu’il prêche les sermons que nous connaissons de lui. Peut-être est-il déjà maître à la faculté de théologie. Ce que l’on peut supposer de manière plus assurée, c’est qu’il n’est pas passé par la faculté des arts : les Dominicains assuraient en effet dans leurs propres écoles l’enseignement en arts à leurs étudiants 284 . Guillaume montre une très bonne connaissance du milieu universitaire, mais il parle peu de la faculté des arts dans ses sermons. C’est dans le premier sermon de la collection qu’il se donne l’occasion des plus longs développements sur ce sujet. Pour lui, du point de vue de la dénomination, faculté des arts et faculté de philosophie sont clairement identiques. Il dit ainsi dans ce premier sermon (f. 5rb) : facultas utique artium seu philosophie differunt, sous-entendu : diffèrent des autres facultés. C’est malheureusement la seule occurrence de cette expression dans la collection, le prédicateur préférant en effet l’expression de faculté des arts à celle de faculté de philosophie. Nous ne pourrons donc pousser très loin l’analyse de ce passage, trop bref pour être déterminant, mais il est assez singulier pour que l’on s’y arrête 285 . L’appellation de facultas philosophie est rare, et elle peut étonner de la part d’un prédicateur qui ne fait pas partie de cette communauté. Elle est peut-être justement le fait d’un théologien, qui cherche à singulariser la place de la faculté des arts en soulignant que son principal centre d’intérêt est désormais la philosophie, et qui, on le verra, considère avec une certaine réserve l’étude de cette discipline. Dans le sermon 1 286 , le thème qui guide le discours du dominicain est celui du rôle du recteur de l’université. Cela permet à Guillaume de mettre en valeur la faculté des arts par des comparaisons assez appuyées. Ce sermon, donné pour le premier dimanche de l’Avent, repose sur le verset d’Isaïe 33, 22 : Dominus rex noster ipse ueniet et saluabit nos. Guillaume établit d’emblée une comparaison entre le recteur de l’Université et le Christ : comme ce dernier, le recteur viendra sauver l’étudiant emprisonné par le prévôt du roi. Or le recteur est toujours choisi parmi les maîtres de la faculté des arts, il n’est pas élu par les étudiants mais par les professeurs 287 . On lit en effet dès l’introduction :

‘Set redeundo ad primum introitum, dicamus quod cum tota uniuersitas Parisiensis distinguatur per quatuor facultates, facultas artium sola, que reputatur infima, habet istum honorem quod de ipsa sola uniuersitas sumit sibi rectorem. Unde si in aliis hec facultas sit infima, in honore tamen rectorie non est infima set precipua et supprema.’

Le prédicateur s’interroge ensuite sur les raisons de ce privilège. Il souligne donc que ce sont les vertus de pauvreté et d’humilité qui conduisent à choisir le recteur parmi les artiens. Le lien logique se fait par le vocabulaire, comme souvent chez Guillaume de Sauqueville. Ici c’est le terme facultas qui lui permet d’enchaîner avec les valeurs chrétiennes de pauvreté et d’humilité. Le mot a en effet le sens de faculté universitaire, mais aussi de patrimoine 288 . C’est sur ce double sens que s’appuie la comparaison de Guillaume et le conduit à une exaltation de la pauvreté. Humilité et pauvreté sont des valeurs auxquelles il est particulièrement attaché : il condamne systématiquement dans ses sermons l’appétit de richesses, surtout chez les hommes d’Eglise.

‘Modus, inquam, ibi ueniendi non est per maiores facultates, id est per diuitias et honores et possessiones maiores, set per infimam facultatem, id est per infimam facultatem scilicet humilitatem et uoluntariam paupertatem.’

C’est par une conduite vertueuse et profondément chrétienne que l’on peut accéder à l’honneur suprême de devenir recteur. Le raisonnement du prédicateur s’appuie sur une mise en valeur constante du recteur de l’université, à l’aide d’un parallèle transparent avec le rôle du Christ. Guillaume expose également tout le pouvoir dont jouit le recteur et met en exergue son autorité, notamment son pouvoir de faire sortir de prison un étudiant arrêté par le prévôt, ce qui constituait l’introduction du sermon. Tout son discours est donc orienté vers une exaltation du rôle du recteur, et, partant, de la faculté des arts : elle entretient une relation étroite avec le recteur, choisi parmi les artiens. Si le dominicain rend un hommage appuyé à la faculté des arts, ce n’est probablement pas uniquement parce que la comparaison entre le Christ et le recteur est commode pour bâtir son sermon. Il aurait aussi bien pu exalter le rôle du chancelier, dépendant de l’évêque, et jouissant lui aussi de pouvoirs très étendus à l’université, notamment celui de conférer les grades. Peut-on trouver une raison à cette insistance ? Le sermon offre trop peu d’éléments concrets qui permettraient de cerner le contexte. Prêchait-il devant un public composé essentiellement d’artiens ? Il est vrai que la faculté des arts pèse d’un poids particulier à l’université : elle était de loin la plus nombreuse et la mieux organisée de quatre composantes de l’université de Paris, mais elle ne constituait que la première étape du cursus universitaire, et les relations avec les facultés dites supérieures (décret, médecine, théologie) n’ont pas toujours été calmes, en particulier avec la faculté de théologie. Aucun événement précis ne semble servir d’arrière-plan au discours de Guillaume de Sauqueville.

Notes
284.

Voir Jacques Verger dans : « La faculté des arts : le cadre institutionnel », dans L’enseignement des disciplines à la Faculté des arts (Paris et Oxford, XIIIè-XVè siècles). Actes du colloque international, ed. O. Weijers et L. Holtz, Turnhout : Brepols, 1997, p. 24 : « quant aux étudiants réguliers en théologie, en particulier les Mendiants, on sait bien que, au grand dam de l’université, ils recevaient leur formation initiale en arts dans les studia de leurs ordres et non à la faculté. »

285.

A partir de données plus étoffées, A. de Libera s’interroge précisément sur cette question dans : « Faculté des arts ou faculté de théologie ? Sur l’idée de philosophie et l’idéal philosophique au XIIIè siècle », dans L’enseignement des disciplines à la Faculté des arts (Paris et Oxford, XIIIè-XVè siècles). Actes du colloque international, ed. O. Weijers et L. Holtz, Turnhout : Brepols, 1997, p. 429-444.

286.

f. 5ra-8vb : Dominus rex noster ipse ueniet et saluabit nos, Is. 33 (22). Uniuersitas Parisiensis gaudet hoc priuilegio speciali…

287.

Jacques Verger confirme ce fait dans : « La faculté des arts : le cadre institutionnel », p. 37. Sur l’histoire du mot rector, voir O. Weijers, Terminologie des universités au XIIIè siècle, Roma : Ateneo, 1987, p. 187-194. Le mandat du rector est très court, quelques mois seulement, comme le monte le cartulaire de l’université de Paris, qui signale plusieurs fois par an la succession des titulaires de cette charge.

288.

J. F. Niermeyer, C. Van De Kieft, Mediae Latinitatis lexicon minus, Leiden : Brill, 2002, p. 530 : i. patrimoine, fortune héritée par opposition aux biens acquis. ii. genre d’études, groupe de disciplines. iii. faculté universitaire.