c. Le maniement des concepts philosophiques

Le discours de Guillaume de Sauqueville reste sur un mode moral, argumenté par des auctoritates issues de textes divers, y compris philosophiques. On n’y trouve pas de raisonnement de type philosophique, comme ce qui se pratiquait à l’université. Ainsi, dans l’extrait du sermon 19 cité précédemment, Guillaume souligne la contradiction entre ce que dit Aristote de l’âme humaine (elle est comme une tablette vide sur laquelle rien n’est incrit) et ce que dit la Genèse (Dieu a fait l’âme humaine à sa ressemblance). C’est ce qu’il annonce dès l’introduction du sermon. Comment résoud-il ce problème ? Très brièvement, en une phrase appuyée par un verset de la Bible : le péché originel a très rapidement annihilé cette ressemblance, donc Aristote n’a pas tort, sa parole est conforme à l’enseignement de la Bible (f. 50va) :

‘uerumptamen quia per peccatum originale ymago ista cito fuit abolita, non solum in pereunte primo set in tota posteritate sua, unde in Gen. (6, 7) dicit Deus : delebo hominem quem creaui a facie terre ab homine usque ad animantia. Idcirco adhuc stat infirmitate sua et ueritate illud dictum Philosophi quod anima est sicut tabula etc.’

C’est la seule occasion où, dans le recueil, Guillaume souligne une contradiction entre la Bible et l’auctoritas qu’il a choisie. Située dans les premières lignes du sermon, elle lui offre une introduction originale ; du reste il poursuit sur le thème de la peinture et propose une division du verset qui inclut le thème de la tabula rasa. On cherchera en vain dans les sermons des éléments plus proprement philosophiques : aucune allusion à des notions comme l’intellect, l’intellection. Guillaume utilise presque uniquement le terme intellectus, et ce sans plus de distinction (agent, possible…). Il effleure les rapports entre intellect et volonté. On ne lit rien sur l’éternité du monde.

On ne peut pas conclure que Guillaume de Sauqueville est inculte en matière de philosophie : il fait tout simplement son travail de prédicateur, et il procède avec Aristote comme avec les autres auteurs médiévaux qu’il cite. La conclusion du P. Bataillon 313 sur le XIIIè siècle est aussi très juste dans le cas de Guillaume : « Cela n’empêchait nullement les théologiens les plus traditionnels de se servir de bien des notions nouvelles quand elles leur paraissaient utilisables sans danger. Il en va ainsi, non seulement de la logique, mais aussi de beaucoup d’éléments d’éthique, de philosophie de la nature et même de métaphysique : les distinctions matière-forme, puissance-acte, bien que comprises de façons souvent très différentes, sont du domaine commun car elles ne semblaient faire courir de péril à la foi. » Guillaume reste dans le registre philosophique commun : il se préoccupe de rester conforme à l’enseignement de la Bible, il traite de notions simples et s’appuie sur des extraits courts, souvent très connus et déjà commentés.

Notes
313.

L.-J. Bataillon, « Problèmes philosophiques dans les œuvres théologiques », dans L’enseignement des disciplines à la Faculté des arts (Paris et Oxford, XIIIè-XVè siècles). Actes du colloque international, ed. O. Weijers et L. Holtz, Turnhout : Brepols, 1997, p. 445-453, ici p. 452-453.