C. Une question d’actualité : l’averroïsme

Le sermon 39 314 , composé pour la fête de la Conception de la Vierge, offre une allusion étonnante à Averroès. On lit en effet (f. 103rb) :

‘Iterum in curia prepositi, in scola fidei, libentius leguntur et curiosius allegantur littere philosophorum gentilium, dicta hominis dampnati et heretici pessimi Commentatoris quam auctoritates canonis, cum tamen ille non sunt signate sigillis autenticis. Aueroys miracula non fecit.’

Guillaume de Sauqueville pratique rarement les attaques ad hominem dans ses sermons. On ne trouve aucun nom de contemporain dans le recueil : le rex Francorum reste anonyme, de même que le pape. Dans le cas d’Averroès, qui n’est certes pas un contemporain mais dont la connaissance à l’université est d’actualité en ce début de XIVè siècle, on est d’abord frappé par l’opinion définitivement mauvaise qu’il livre et on devine en outre facilement l’attaque contre les tenants des thèses averroïstes. Peut-on savoir, au-delà de cette attaque, quelle est sa position par rapport à l’averroïsme du début du XIVè siècle ?

Le terme d’averroïsme mérite tout d’abord d’être précisé. Comme le souligne malicieusement Ruedi Imbach en préambule de son étude sur Lulle et l’averroïsme parisien 315 , « il semble donc qu’il convienne à ce sujet d’être prudent comme chat sur braises. » On sait le long débat historiographique dont il a fait l’objet, prenant sa source dans le livre fondateur d’Ernest Renan intitulé Averroès et l’averroïsme publié en 1852 316 . Cette étude ne nous conduira pas jusqu’au début de l’averroïsme au XIIIè siècle, avec ce que l’on a appelé l’« averroïsme latin », considéré aujourd’hui comme un mythe. Nous allons rester dans le premier quart du XIVè siècle. Etant entendu qu’aucun auteur du XIVè siècle ne s’est réclamé de l’averroïsme ni ne s’est considéré comme averroïste 317 , nous emploierons le terme d’averroïste pour désigner les tenants des thèses développées par Averroès (unité de l’intellect, double vérité) au début du XIVè siècle, et averroïsme la doctrine constituée par cet ensemble de propositions.

Notes
314.

f. 101va-104va : erunt signa in sole et luna in Luca. (21, 25). Ortus solis et exordium noue lune habent illud commune…

315.

Ruedi Imbach, « Lulle face aux averroïstes parisiens », dans Raymond Lulle et le pays d’Oc, Toulouse : Privat, 1987, p. 261-282, ici p. 261 (Cahiers de Fanjeaux, 22).

316.

Il s’agissait alors de sa thèse. Elle a été rééditée en 1997 chez Maisonneuve et Larose, avec une préface d’Alain de Libera.

317.

Sur la fortune du terme « averroïste », employé par Thomas d’Aquin puis Raimond Lulle, entre autres, voir Z. Kuksewicz, « Der lateinische Averroismus im Mittelalter und in der Früh-Renaissance », dans Philosophy and learning. Universities in the Middle Ages, ed. M. J. Hoenen, J. schneider, G. Wieland, Leiden : Brill, 1995, p. 371-386.