a. Averoys miracula non fecit (sermon 39)

Le sermon 39 est consacré à la fête de la Conception de la Vierge (8 décembre). Il est construit sur le verset de l’évangile de Luc 21, 25 : erunt signa in sole et luna. Le sermon commence par une longue introduction où Guillaume met en parallèle le Christ et la Vierge et compare leur naissance, puisque, semble-t-il, il y a ce jour-là coïncidence entre la fête de la Conception de la Vierge et l’Avent 318 (hoc autem duo adventus Christi et conceptio Marie concurrunt simul hodie). Puis, de manière simple et très claire, le prédicateur opère une division en deux parties : la conception du Christ et celle de la Vierge furent l’une et l’autre miraculeuses. Donc 1) une chose douteuse est confirmée par de multiples miracles (confirmatur res dubia miraculo multiplici) et 2) la joie de la fête est double. Cette division lui offre deux sujets très différents l’un de l’autre : l’influence averroïste et la fête de la Conception de la Vierge, sur lesquels il va prendre position sans ambiguïté.

L’argumentation de la première partie commence de manière assez abrupte par une anayse des lettres secrètes et des lettres testimoniales, et plus précisément des sceaux qui y sont apposés. Sa première comparaison l’amène à conclure que Marie est semblable à une lettre secrète, scellée du sceau de la sainteté et de la virginité. Quant aux lettres testimoniales, objet du deuxième paragraphe, elles doivent être scellées d’un sceau authentique, sans quoi aucune confiance ne peut leur être portée. Ces lettres, ce sont l’Ancien et le Nouveau Testament, scellés, confirmés par de nombreux miracles (et merito debet eis fides adhiberi quod signate sunt multis sigillis autenticis, confirmate miraculis infinitis). De même qu’à la cour du prévôt, seules les lettres scellées de manière authentique sont dignes de confiance, de même dans l’Eglise l’Ecriture sainte est digne de foi puisqu’elle est « certifiée » par de nombreux miracles. C’est à cet endroit précis que Guillaume ajoute son attaque contre Averroès : il constate en effet que dans l’Eglise, on porte plus de crédit aux lettres de Justinien qu’au canon, aux dires d’Averroès qu’aux autorités, bien que ni les lettres de Justinien ni Averroès n’aient donné lieu à signa ou miracles. Averroès est qualifié d’homme damné (hominis dampnati) et de pire des hérétiques (heretici pessimi). La charge est à vrai dire double, puisque elle concerne tout autant le droit que la philosophie proprement dite. Plus précidément, et au-delà de la critique contre Averroès, Guillaume de Sauqueville semble faire allusion à ceux qui diffusent les thèses du Commentateur, et pour lui la véritable cible est certainement là : il déplore l’accueil fait aux partisans d’Averroès, qui semblent jouir d’un crédit inapproprié selon lui (vere tota scola sibilare deberet super capita eorum qui talia faciunt). La scola fidei, qu’il a déjà mentionnée, ne rejette pas ceux qui professent des thèses averroïstes, alors qu’elle le devrait. Cette fois l’attaque est floue : même si l’on comprend qu’il s’agit des défenseurs d’Averroès, aucun nom n’est donné. Guillaume de Sauqueville ne parle que de ceux qui agissent ainsi (talia faciunt). Il englobe probablement aussi dans cette critique ceux qui pratiquent et enseignent le droit romain. L’attitude de Guillaume de Sauqueville est donc double : d’une part elle témoigne de son rejet individuel de l’apport intellectuel d’Averroès et de son œuvre, Averroès étant qualifié d’hérétique ; d’autre part elle montre le malaise de l’auteur par rapport à la situation dans laquelle il se trouve : dans les faits, les textes d’Averroès sont lus et enseignés. L’attaque contre Averroès peut paraître naïve, voire simpliste, de la part d’un prédicateur qui ne se frotte pas, dans ses sermons, aux débats proprement philosophiques. Mais elle traduit de manière directe l’opinion de Guillaume sur le fond et montre surtout son inquiétude sur la situation actuelle. Il est important aussi de noter que Guillaume de Sauqueville s’oppose aux thèses d’Averroès, le Commentateur, mais ne remet pas en cause l’apport d’Aristote.

Poursuivant son idée, Guillaume de Sauqueville va au-delà de la simple critique, il cherche en effet une explication et conclut par un constat assez désabusé sur l’état de l’Eglise. Il observe en effet que les thèses qu’il réprouve gagnent du terrain : malgré les efforts des prédicateurs et de tous ceux qui propagent le message de la Bible (legentibus litteras testimonii, allegantibus et predicantibus Scripturas Sacras), l’amélioration ne vient pas (cotidie fiunt sermones, nullus vel modicus fructus sequitur). Il voit à cette situation une explication : les hommes d’Eglise (illi qui litteras sacras legunt et docent) délivrent bien le message de l’Ecriture mais ne font pas la preuve de son authenticité. Ils ne font pas preuve, ou tout du moins pas assez, de leur sainteté (pauca vel nulla signa sanctitatis ostendunt). Guillaume de Sauqueville ne va pas plus loin dans la critique, il confirme simplement son opinion en terminant par le verset Sap. 5, 13 et conclut sur la classique opposition entre les conseils que l’on donne et leur impossible mise en pratique. On note qu’il emploie la première personne du pluriel, et qu’il s’inclut donc dans ce triste constat (quod docemus verbo, non ostendimus exemplo).

On voit derrière l’explication donnée par Guillaume une critique contre la vie des hommes d’Eglise, avides d’honneurs et de bénéfices ecclésiastiques. Il a fait au début du paragraphe une allusion à cette question des bénéfices dans l’Eglise (presens ecclesia in qua beneficiis est annexa cura et maioribus beneficiis, pluribus bonis temporalibus maior est cura). Il est extrêmement critique contre l’utilisation des bénéfices ecclésiastiques, c’est l’un de ses sujets de prédilection. L’attribution des prébendes et bénéfices vacants est l’objet de diatribes répétées, de même que la mauvaise utilisation des bénéfices et la mauvaise vie des viri religiosi. L’état de l’Eglise est la préoccupation principale de Guillaume de Sauqueville. Dans le sermon 39, il montre que l’attitude des hommes d’Eglise n’est pas sans conséquence sur la pénétration et la diffusion d’idées hérétiques à ses yeux : les prédicateurs, du fait des critiques auxquelles ils s’exposent, ne font plus office de rempart. Il se sent menacé dans les fondements de son rôle de prédicateur : il constate l’inefficacité de sa parole. C’est une explication assez terre-à-terre et bien loin des débats philosophiques.

Notes
318.

Cet indice, permettant de dater le sermon, sera repris en conclusion, à la lumière des analyses textuelles qui auront été faites.