La figure de Jean de Jandun apparaît immédiatement. Nous nous situons en effet dans le milieu universitaire parisien après 1306. Originaire des Ardennes, Jean de Jandun a commencé son enseignement à l’université de Paris 330 et devient maître ès arts en 1310. On le trouve en 1315 maître des artiens au Collège de Navarre 331 . Nommé chanoine à Senlis par Jean XXII, cette nouvelle charge ne l’empêchera pas de poursuivre son activité d’enseignement jusqu’en 1326, date à laquelle il quitte Paris en compagnie de Marsile de Padoue : la publication du Defensor pacis, en juin 1324, fait scandale. Après une carrière brillamment entamée à Paris, c’est finalement l’exil auprès de Louis de Bavière, puis l’excommunication en 1328 au motif d’hérésie. Il meurt à l’automne 1328 en Italie.
« Aristote eut son Commentateur : Averroès ; l’averroïsme eut son prince : Jean, né à Jandun, dans le diocèse de Reims. Les deux noms étaient devenus si inséparables qu’il fallait, dit-on, avoir été jandunien pour être dit averroïste 332 . » Le début de carrière de Jean de Jandun à l’université de Paris est brillant. Son enseignement est consacré aux œuvres d’Aristote acceptées par l’université, qu’il commente et dont il publie les commentaires. On répertorie aujourd’hui plus de trente œuvres dont il est l’auteur, et qui prennent essentiellement la forme de Quaestiones. Ainsi, dès 1309, alors qu’il n’est pas encore maître, il publie les Quaestiones in parva naturalia. Jean de Jandun a travaillé sur presque toute l’œuvre d’Aristote : la Physique (1315), la Rhétorique (1319), la Métaphysique (entre 1318 et 1325). Avant même d’être un lecteur et un commentateur d’Aristote, Jean de Jandun est un averroïste, dans le sens où son œuvre est essentiellement constituée et étayée par des textes d’Averroès, dont il propose de très larges extraits. Jean de Jandun n’a pas une pratique textuelle d’auctoritas, comme peut le faire un Guillaume de Sauqueville citant Aristote par exemple ; Jean livre le texte qu’il analyse et commente à son tour, il donne à ses auditeurs et ses lecteurs un contact textuel exceptionnel avec sa source, sans se réduire à un travail de copie servile ni d’imitation stérile. Il offre ainsi une « référence massive à Averroès et qualitativement remarquable 333 ». Nous ne nous pencherons pas sur la question de la connaissance réelle que Jean de Jandun eut d’Averroès ni de la façon dont il s’est approprié ses œuvres, puisque Guillaume de Sauqueville n’argumente pas son attaque sur des éléments de contenu, mais reste sur une critique directe contre Averroès.
Jean de Jandun est le plus brillant commentateur d’Averroès du premier quart du XIVè siècle, mais il n’est pas seul, à partir des années 1310, à s’intéresser de près au philosophe arabe 334 . A Paris, d’autres intellectuels partagent avec lui les thèses averroïstes, et ont dans certains cas commencé à les professer avant lui. Citons, parmi les personnalités les plus marquantes : Barthélémy de Bruges, Jean de Göttingen, Antoine de Parme, maître ès arts et enseignant de 1310 à 1323, auteur notamment d’une Quaestio de intellectu possibili et agente. Thomas Wilton, maître en théologie d’origine anglaise, est présent à Paris entre 1311 et 1316, puis après 1320 ; on lui doit plusieurs quodlibets et une Quaestio de anima intellectiva. Gautier Burley, son élève, est en 1324 docteur en théologie. Hugo d’Utrecht est l’auteur d’un commentaire sur le De anima. Aucun cependant n’a autant écrit ni ne montre une connaissance aussi vaste d’Aristote et d’Averroès que Jean de Jandun.
Etant donnés les éléments chronologiques dont nous disposons sur le recueil de sermons de Guillaume de Sauqueville, nous pouvons penser que la critique formulée par Guillaume s’adresse à Jean de Jandun, dont l’enseignement à Paris jouissait d’un grand succès, et à son entourage. En effet, il est après 1310 l’intellectuel averroïste le plus en vue à Paris, et probablement le seul qui représente un danger qu’un prédicateur se doive de combattre. Comment le dominicain le combat-il ? Il ne va pas s’agir pour lui de riposter sur un terrain philosophique, mais bien sur le terrain de la prédication. Guillaume règle le compte d’Averroès en le qualifiant d’hérétique et de damné (dicta hominis dampnati et heretici), ce qui suffit à son procès et lui évite d’approfondir ses griefs. Au sujet des averroïstes, il constate que la parole est inefficace : ceux qui diffusent l’Ecriture, ceux qui prêchent, n’arrivent pas à faire progresser leur influence, parce que leur attitude est inappropriée : le prédicateur doit en effet prêcher par l’exemple. Guillaume de Sauqueville réagit avant tout en tant que prédicateur et en tant que clerc. Son raisonnement aboutit donc à un constat de décadence du clergé.
La bibliographie sur Jean de Jandun est abondante. Pour une mise au point récente sur sa biographie, on consultera l’introduction de : Jean-Baptiste Brenet, Transferts du sujet. La noétique d’Averroès selon Jean de Jandun, Paris : Vrin, 2003. Pour un panorama bibliographique complet des œuvres du maître, voir Olga Weijers, Le travail intellectuel à la Faculté des arts de Paris : textes et maîtres (ca. 1200-1500). V, répertoire des noms commençant par J, Turnhout : Brepols, 2003, p. 87-104. Voir aussi la notice de P. Glorieux dans : La Faculté des arts et ses maîtres au XIIIè siècle, Paris : Vrin, 1971, n° 242, p. 217-220.
Nathalie Gorochov, Le Collège de Navarre de sa fondation (1305) au début du XVè siècle (1418), Paris : Champion, 1997, p. 192-195.
J.-B. Brenet, Transfert…, p. 11.
J.-B. Brenet, Transfert…, p. 15.
H. Riedlinger, dans l’introduction à l’édition des œuvres de Lulle, présente un panorama complet de l’environnement intellectuel des années 1310, et notamment dresse le portrait des maîtres présents à l’université de Paris à ce moment-là. Voir Raimundi Lulli opera latina, 154-155. Opera parisiensia anno MCCCIX composita, ed. H. Riedlinger, Palma de Majorque, 1967.