B. La course aux bénéfices ecclésiastiques : lieux communs et critiques réelles

Les bénéfices ecclésiastiques sont le sujet de prédilection de Guillaume de Sauqueville 431 . Les sermons offrent de nombreux passages consacrés aux deux éléments centraux, le beneficium et la prebenda. Rappelons la définition du Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques : le bénéfice ecclésiastique est un droit de jouissance que détient un fonctionnaire ecclésiastique sur les revenus de la dotation d’une fonction qu’il remplit en vertu de l’autorité ecclésiastique, à titre viager et inamovible 432 . Du point de vue du lexique, le dominicain n’entre pas plus avant dans le détail des bénéfices : les deux termes sont utilisés indifféremment. Le terme de prebenda n’est pas employé dans le sens de revenu destiné à un chanoine, mais comme un simple synonyme de beneficium. Guillaume ne donne pas non plus d’exemple précis de bénéfice attribué ni ne cite de cas concret. Il se concentre précisément sur la question de l’attribution des bénéfices ecclésiastiques et l’on constate qu’à ses yeux, le système qu’il voit fonctionner est mauvais dans son ensemble. Jean Gaudemet 433 , dans son introduction au livre de Michèle Bégou-Davia, indique les éléments fondamentaux de la question des bénéfices ecclésiastiques au début du XIVè siècle : « Constitué le plus souvent d’une dotation foncière, le bénéfice devait, par les fruits et revenus de celle-ci, assurer les besoins matériels du clerc qui en était doté. Le bénéfice était en principe lié à l’office en vue duquel le clerc avait été ordonné ou institué. […] La dissociation entre office et bénéfice, qui, peu à peu, et pour de multiples raisons, devint fréquente, fit des bénéfices l’enjeu de compétitions ; de leur attribution un moyen de gouvernement, parfois de pouvoir, trop souvent de récompense des services et des fidélités. Le désordre bénéficial ne fut pas la moindre cause de la crise qui secoua l’Eglise des XIVè et XVè s en Occident. »

Le système bénéficial évolue profondément au cours du Moyen Âge : fondé sur le principe d’une « affectation permanente des revenus d’un bien temporel à l’entretien d’une fonction spirituelle 434  », il évolue peu à peu vers une fusion entre le bénéfice proprement dit et la fonction à laquelle il est attaché. Dans le domaine religieux, on parle donc de bénéfices majeurs pour désigner épiscopat et abbatiat, normalement soumis à l’élection, et de bénéfices mineurs au sujet des cures, canonicats et priorats, en principe désignés. Mais la papauté, dès le XIIè siècle, multiplie les interventions pour reprendre en main la collation des bénéfices au détriment des collateurs habituels, dont le roi de France : en vertu de leur primauté, les papes définissent des conditions de plus en plus nombreuses qui les autorisent à nommer eux-mêmes le titulaire, comme le droit de réserve, le droit de dévolution 435 . Ce sont les papes d’Avignon qui porteront cette politique à son point culminant. Les conséquences sont alors multiples et visibles particulièrement au XIVè siècle : les conflits avec les collateurs se multiplient et, surtout, la Curie voit affluer des demandes sans cesse plus nombreuses de la part d’ecclésiastiques en quête de bénéfice. La papauté accorde aussi des grâces expectatives, qui permettent d’attribuer un bénéfice non vacant, et tolère le cumul des bénéfices, malgré quelques tentatives de limitation des abus. Se met donc en place un système administratif lourd pour gérer ce prolifique système de collation. Les sermons de Guillaume de Sauqueville permettent de se placer non pas à l’intérieur du système, pour en connaître les rouages, mais plutôt du côté de l’opinion publique : la collation des bénéfices est devenue une question de société, révélant les tensions dans l’université et dans le monde ecclésiastique 436 .

Guillaume de Sauqueville connaît très bien le circuit d’obtention d’un bénéfice ecclésiastique en cour de Rome. Plusieurs sermons témoignent du fonctionnement de la cour du pape, notamment des audiences et des étapes que suivent les candidats. Ainsi dans le sermon 24 (f. 66rb-va puis 66vb) :

‘Illi qui uadunt ad curiam ut impetrent gratias a summo pontifice uocantur romipeta. Romipete sunt qui romanam curiam uel romanum pontificem petunt.’ ‘Romipeta, nisi uelit de curia uacuus redire, debet facere ista tria, primo petitiones apud se formare et in scriptis redigere, secundo cedulam scriptam diligenter inspicere et eam corrigere, ne aliud sit in ea quod debeat summo pontifici displicere, tertio petitiones scriptas et diligenter correctas referendario summi pontificis presentare.’

Le sermon 24 comporte de nombreux passages consacrés au protocole à suivre pour rédiger une demande en bonne et due forme, puis pour la présenter au pape 437 . Guillaume s’attache spécialement au rôle du référendaire, qui se charge de transmettre la demande au pape, puisque le prétendant ne peut rencontrer le pape directement. Il ne parle pas de la collation des bénéfices par le roi de France : le seul pouvoir d’attribution qu’il mentionne est celui du pape. D’un point de vue théorique, l’usage d’un bénéfice paraît clair, tel qu’il le dit dans le sermon 99 (f. 219rb) :

‘Circa secundum nota quod ad hoc sunt data ecclesiastica beneficia ut beneficiati supportent peccata populi apud Deum per orationum suffragia.’

Le clerc en possession d’un bénéfice doit en quelque sorte restituer la valeur de son bénéfice au profit des pécheurs, Guillaume insinue que le clerc ne possède donc pas en propre son bénéfice. Il souligne cette idée par une citation de saint Bernard : « Les biens des églises sont le patrimoine des pauvres. » Cette définition évacue même l’idée simple selon laquelle le bénéfice doit assurer la subsistance de son titulaire. Le dominicain lie la notion de bénéfice à la mission conférée à l’ecclésiastique de guider les fidèles vers leur salut. Guillaume affectionne cette vision des bénéfices volontairement éloignée de la réalité et des contingences matérielles. Ainsi dans le sermon 11 (f. 25vb), il explique quel devrait être selon lui le meilleur critère d’attribution des bénéfices :

‘Hoc certe deberet habere locum uulgare prouerbium : « Iuxta talem formam, tale calciamentum », quia beneficia ecclesiastica deberent distribui secundum mensuram ualoris personarum, ut semper melior persona haberet melius et maius beneficium. Propter hoc fuit primitus inuenta illa distributio formarum romana de forma pauperum et aliis formis, [ut] fieret iuxta formam calciamentum, ut beneficia distribuerentur secundum merita personarum. Videamus si sit bene iuxta formam calciamentum quando uni uiro litterato, prouecto, morigenato, uix confertur unum miserum beneficium et tamen hoc est ualde iniustum. Non est facere « iuxta talem formam, tale calciamentum ».’

Guillaume propose pour les clercs bénéficiés une sorte de rétribution au mérite 438 . Les riches et les puissants ne seraient donc avantagés par rapport aux pauvres clercs sans renommée, on tiendrait compte de la valeur de la personne. Malgré ces opinions très abstraites sur la notion de bénéfice ecclésiastique, on voit bien qu’en réalité, le dominicain est au contraire entièrement immergé dans les implications matérielles du système bénéficial. Il sait très bien ce qu’engendre la collation telle qu’elle est pratiquée à l’époque ; pour illustrer cela, il emploie même une comparaison abrupte : les bénéfices sont comme des os jetés aux chiens 439 . Et de même que les chiens se battent pour un os, de même on assiste à de violentes disputes entre ceux qui briguent des bénéfices. Guillaume de Sauqueville est donc très lucide sur le système en place, il voit la cupidité des candidats 440 , mais aussi la pauvreté de certains clercs, auxquels le bénéfice doit fournir les moyens de vivre. C’est l’occasion pour lui de fournir une définition du bénéfice beaucoup plus ancrée dans la réalité et nettement moins théorique que la précédente 441 (sermon 99, f. 219rb) :

‘Ecce quod beneficia sunt data pro officio et ideo in detrimentum anime sue recipit beneficium qui non exercet officium.’

Le cumul des bénéfices est un problème soulevé à plusieurs reprises 442 et avec précision, comme dans le sermon 95 (f. 212va) :

‘Secundum ecclesie inferioris statuta, nullus potest simul possidere plura beneficia cum cura set uel plura sine cura uel saltem unum cum cura et aliud sine cura.’

Le droit canonique interdit usuellement à un prêtre de tenir plusieurs églises. Cette règle est respectée jusqu’au milieu du XIIè siècle, puis, en 1179, le pape Alexandre III introduit la notion de dispense, qu’il applique pour sa part aux règles de mutation. Enfin, en 1215, le canon De multa, promulgué par Innocent III, autorise la dispense à la règle de l’interdiction de cumul. Le cumul des bénéfices va désormais se répandre, notamment dans le royaume de France, malgré quelques tentatives pour limiter cette évolution. Ainsi la constitution Execrabilis, promulguée en 1317, interdit de cumuler un bénéfice ayant charge d’âme avec plus d’un autre bénéfice non grevé du soin des âmes ; c’est à elle que faisait peut-être allusion l’extrait du sermon 95 cité ci-dessus. Guillaume aborde aussi le problème des grâces expectatives, qui permettent au pape de désigner le futur titulaire d’un bénéfice non vacant. On lit dans le sermon 29 (f. 81rb) :

‘De primo nota quod sede apostolica multum diu uacante in ecclesiis cathedralibus sunt nulli uel paucissimi exspectantes, set summo pontifice nouiter creato et eo faciente gratias generales, tunc in ecclesiis cathedralibus preter iam prebendatos sunt plurimi exspectantes, et hec est differentia inter exspectantes et iam prebendatos quia iam prebendati, ex quo possessionem habent et fructus prebende percipiunt, in tuto sunt si reuocentur gratie papales ; propter hoc nichil perdunt. Set exspectantes, nondum possessionem habentes nec fructus prebende percipientes, in periculo sunt si papa idem uel alius reuocet gratias concessas : ipsi totum amittunt nec de cetero habent ius in aliqua prebenda uacante nisi de nouo concedantur alie gratie.’

Les grâces expectatives ont été définies comme favorisant avant tout les pauperes clerici, qui sont peu à peu définis au XIVè siècle comme les clercs qui ne possédaient ni expectative ni bénéfice ou qui ne tiraient de ses bénéfices qu’un revenu inférieur à 15 livres tournois 443 . Ils pouvaient alors prétendre à une grâce expectative in forma pauperum valable pour les bénéfices d’une valeur limitée 444 . C’est sous cet angle que Guillaume considère le système d’attribution des grâces : elles peuvent aider les clercs dans leur vie quotidienne, même si elles sont difficiles à obtenir. Il ne fait aucune allusion aux enjeux de pouvoir que cela dissimule : en effet le pape, par ce système, se substitue aux collateurs habituels, et surtout il engrange des revenus substantiels liés aux taxes bénéficiales 445 . Ces deux points sont laissés de côté par le dominicain. Guillaume de Sauqueville ne s’élève pas contre le système de collation peu à peu mis en place par la papauté 446  : à ses yeux, bien que perfectible, il n’est pas mauvais. Le problème se situe en bas de la hiérarchie ecclésiastique : ce sont les clercs qui peuvent poser problème parce qu’ils se disputent les bénéfices, pratiquent le cumul et n’assument plus correctement la cura animarum. Guillaume porte ce même regard indulgent sur la pratique de la résignation des bénéfices. Bien qu’interdite à l’origine, la résignation des bénéfices est peu à peu entrée en pratique : le titulaire pouvait alors librement renoncer à son bénéfice au profit d’un tiers ou pour l’échanger contre un autre. La constitution Execrabilis, interdisant le cumul, multiplia les cas de résignation. Malgré quelques tentatives, la papauté ne parvint à enrayer ni le cumul, ni la résignation. Pour Guillaume, la résignation n’est pas un problème en soi, elle permet en effet d’appliquer la règle du non cumul des bénéfices. Mais l’idée d’abandonner un bénéfice pour en obtenir un autre « meilleur » ne le gêne pas non plus. C’est même sur ce thème qu’il commence le sermon 63 447 (f. 137vb) :

‘Qui habet modicum beneficium et officium in ecclesia parochiali, nisi sit fatuus, libenter resignat tale beneficium ut habeat prebendam cum dignitate in matrice ecclesia, in ecclesia cathedrali. Fatuus et infelix reputetur ille qui nollet hanc permutationem facere : resignare modico beneficio cum cura in ecclesia parochiali ut haberet pinguam prebendam etiam cum dignitate in ecclesia cathedrali.’

Il ne s’agit ni d’ambition ni de convoitise : Guillaume établit toujours un lien avec la cura animarum que le titulaire doit assurer. Mais il reconnaît tout de même l’idée qu’un titulaire de bénéfice puisse légitimement se considérer comme mal doté, et à ce titre essaie d’obtenir un autre bénéfice. Enfin, le dernier problème que Guillaume signale au sujet des bénéfices ecclésiastiques est brièvement évoqué mais en même temps très révélateur de l’opinion publique, il s’agit des bénéfices ecclésiastiques occupés par des titulaires étrangers. L’allusion est claire dans le sermon 106 (f. 236rb) :

‘Set notandum quod uapores et exalationes que in una regione uirtute solis eleuantur aliquando, uirtute uenti deportantur ad alias regiones et ibi terram irrigant et infundunt et terra remanet arida et sterilis, de qua uapores predicti fuerunt eleuati. Sic propter uentum affectionis carnalis qui sufflat in cordibus multorum prelatorum, bona unius dyocesis ad alias regiones remotas transportantur, de quibus maneria ibi construuntur et redditus emuntur. Ecclesia a qua ista habita fuerunt et que inde seruiri et sustentari in paupertate et inopia remanentes.’

En ce qui concerne les bénéfices majeurs, objets d’une convoitise particulière du fait des revenus qu’ils rapportaient tant au pape, grâce à la collation, qu’ensuite au titulaire, et au prestige dont ils étaient entourés, la politique bénéficiale des papes, dès Boniface VIII, aboutit à réduire au maximum le principe électif au profit de nominations faites directement par le pape, et à attribuer à des étrangers des bénéfices ecclésiastiques situés dans le royaume de France, sous l’effet de luttes d’intérêts ou de complaisance. Guillaume de Sauqueville vise aussi, plus précisément que la collation de bénéfices à des étrangers, l’entourage de ces prélats, souvent originaires du même pays : Pascal Montaubin 448 , dans une étude sur le diocèse de Cambrai, parle même de « colonisation bénéficiale ». Il ne note pourtant pas de réaction xénophobe dans la ville de Cambrai et estime que « d’une manière générale, dans le royaume, les critiques contre les clercs bénéficiés en France restent sporadiques ». Chez Guillaume de Sauqueville, nous avons bien une réaction contre ce type de collation et les conséquences qu’elle entraîne pour le diocèse, c’est-à-dire une nette perte de revenus au profit d’étrangers. Dans la réalité, l’occupation de bénéfices français par des ressortissants de royaumes étrangers est restée extrêmement limitée en ce qui concerne les bénéfices majeurs. P. Montaubin recense seulement cinq évêques italiens entre 1200 et 1350. Il en va autrement pour les bénéfices mineurs. « Certaines églises furent néanmoins véritablement colonisées au bout de décennies de collations romaines », note P. Montaubin, qui donne l’exemple du chapitre de Chartres : vers 1303, il comptait 16 chanoines italiens, soit 20% de l’effectif capitulaire 449 . Sans disculper l’évêque, qui peut être aussi coupable d’enrichissement, Guillaume de Sauqueville ajoute une critique contre l’entourage cupide de l’évêque :

‘Facta fuit fecunda Rachel, que interpretatur ouis uel uidens Deum, sorore eius sterili permanante, et significat quod carnales amici prelatorum uiles et ydiote ditantur de bonis ecclesie ubi sancti uiri et litterati permanent pauperes et egeni…’

L’attaque est vive et provient d’une interprétation du nom de Rachel plutôt inhabituelle ; le dominicain emploie des adjectifs particulièrement péjoratifs (uiles, ydiote), ce qui donne le sentiment qu’il vise une personne ou un cas particulier, mais, comme à son habitude, il ne cite aucun nom.

L’usage abusif des bénéfices ecclésiastiques (cumul, résignation) est une question débattue par les intellectuels depuis le XIIIè siècle. La tendance générale est alors plutôt à la condamnation de la pratique du cumul, même si certains, comme Pierre le Chantre, le pratiquent eux-mêmes, ou si d’autres distinguent des cas où elle peut être tolérée, en raison notamment de la rareté des clercs et de l’exiguïté de certains bénéfices 450 . Qu’en est-il plusieurs décennies plus tard ? La question bénéficiale continue à susciter l’intérêt des intellectuels, puisqu’elle fait partie d’une réflexion plus large sur le lien entre temporalia et spiritualia. Les questions disputées à l’université de Paris témoignent de cet intérêt continu jusque dans les années 1320. Tous les éléments soulignés par Guillaume de Sauqueville dans ses sermons se retrouvent dans les questions disputées du début du XIVè siècle, qui se font l’écho des réflexions des théologiens autour de la collation des bénéfices et des abus qu’elle peut entraîner. Au tournant du XIIIè et du XIVè siècle, quelques grands théologiens, maîtres à l’université de Paris, ont en effet débattu à de nombreuses reprises de ce type de sujets : l’étude d’Elsa Marmursztejn 451 signale et analyse les questions disputées de Thomas d’Aquin, Gérard d’Abbeville, Henri de Gand et Godefroi de Fontaines sur le thème des temporalia. Les prébendes, le cumul des bénéfices sont des thèmes récurrents dans les quodlibets et questions disputées de ces auteurs 452 . Les similitudes thématiques sont donc nettes ; elles le sont aussi sur la forme adoptée puisque E. Marmursztejn 453 relève « l’absence de référence explicite au pape » : « le recours aux termes assez vagues de prelatus ou episcopus témoignent sans doute de la prudence requise dans la formulation des questions, mais aussi de la prise en compte des réalités pratiques : népotisme et pluralisme n’étaient vraisemblablement pas liés au seul interventionnisme pontifical. » Sur le fond, les points communs peuvent être relevés précisément, comme l’idée de la compétence du titulaire du bénéfice. De même que Guillaume propose l’attribution d’un bénéfice en fonction du mérite de l’impétrant, de même on retrouve dans les quodlibets cet argument de la compétence, qui vient dissocier les notions de bénéfice et d’office, pourtant liées par le droit canonique. Les théologiens s’appuient sur ce raisonnement pour justifier le cumul des bénéfices ; Guillaume de Sauqueville, quant à lui, reste plus nettement défavorable à cette pratique. Plus près de lui, dans les années 1310-1320, les traces sont plus rares de débats portant sur les bénéfices ecclésiastiques 454 . Le carme Gui Terré, qui devint évêque de Majorque puis d’Elne entre 1321 et 1342, obtint la maîtrise en théologie probablement en 1313, il fut l’étudiant de Godefroi de Fontaines. Ses quodlibets ont été soutenus entre 1313 et 1318. Aucun des six quodlibets dépouillés par l’abbé Glorieux ne comporte de question sur les bénéfices ecclésiastiques. Jean de Pouilly, théologien très actif durant cette période, connu pour ses prises de position radicales à l’encontre des Mendiants, n’a pas non plus laissé de question sur les bénéfices dans les cinq quodlibets datant de 1307-1312. On trouve tout de même quelques questions intéressantes dans le manuscrit lat. 15850 de la Bibliothèque nationale de France : Mgr Glorieux le décrit comme une compilation rédigée par Nicolas de Bar-le-Duc, évêque de Mâcon de 1286 à 1310, à partir de questions empruntées à divers maîtres parisiens dont il donne les noms. Nous trouvons là des traces de l’intérêt constant que suscitent les bénéfices ecclésiastiques chez les universitaires, comme par exemple Eustache de Grandcourt 455 qui discute la question : utrum clericus intrans servitium alicujus magni domini ut citius sit beneficiatus, si obtineat, utrum peccet et teneatur resignare beneficium, ou comme André du Mont-Saint-Eloi 456 sur cette question : utrum adeptus beneficium per simulationem teneatur resignare, ou enfin Pierre de Saint-Omer 457 qui discute la question : utrum habens sufficiens bénéficium et cum hoc habet bona patrimonialia, possit illa distribuere pauperibus, fundum et totum. Thomas de Bailly 458 , personnage important de l’université de Paris, a répondu à plusieurs reprises à des questions sur les bénéfices, mais ses œuvres sont légèrement antérieures à la période qui nous intéresse maintenant. Ainsi la question 18 de son quodlibet III porte sur la possession des bénéfices : utrum doctores juris canonici et divini habentes plures prebendas vel beneficia in casu non licito, debeant puniri gravius quam simplices clerici hoc tenentes. Il s’interroge aussi sur la pratique de la simonie, dans la question 11 du quodlibet V : utrum vendere beneficium ecclesiasticum sit simoniacum ex natura ipsius contractus, aut sit simoniacum tantum necessario quia prohibitum. Sans préjuger d’une enquête plus approfondie sur la période 1310-1320, il semble, par ce premier tour d’horizon, que la question des bénéfices ecclésiastiques ait peut-être perdu de son acuité chez les maîtres de l’université de l’époque, sans pour autant disparaître.

Quand Guillaume de Sauqueville aborde la question des bénéfices ecclésiastiques, ce n’est pas pour s’arrêter à des critiques sur les mauvaises pratiques qu’il peut constater. Il revient toujours à un discours théologique offrant une conclusion morale sur le salut : les bénéfices ecclésiastiques font partie de l’Ecclesia militans, l’Eglise ici-bas, la situation sera différente dans l’Ecclesia triumphans, et il faut donc se préparer tôt à ce changement.

Notes
431.

Le thème des bénéfices ecclésiastiques est abordé dans plusieurs sermons : l’attribution des prébendes, des revenus et bénéfices vacants dans les sermons 11, 13, 14, 16, 19, 57, 63, 85, 95, 99 et 106 ; la mauvaise utilisation des bénéfices ecclésiastiques dans les sermons 77, 99 et 106. De même, Guillaume connaît aussi le système d’attribution en cour papale : l’audience, les grâces dans les sermons 15, 24, 29 et 103, les légats du pape dans le sermon 74, et l’attribution des bénéfices dans le sermon 63.

432.

La bibliographie concernant les bénéfices ecclésiastiques est énorme. Nous ne citerons que les titres directement utiles à la compréhension de la question chez Guillaume de Sauqueville. Pour faire le point sur la définition du beneficium, voir « Bénéfices ecclésiastiques », dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Paris : Letouzey, t. 7, col. 1237 sqq. Guillaume Mollat, La collation des bénéfices ecclésiastiques sous les papes d’Avignon (1305-1378), Paris : De Boccard, 1921. Louis Caillet, La papauté d’Avignon et l’Eglise de France. La politique bénéficiale du pape Jean XXII en France (1316-1334), Paris : PUF, 1975. Jean Gaudemet, La collation par le roi de France des bénéfices vacants en régale des origines à la fin du XIVè siècle, Paris : Leroux, 1935. Gabriel Le Bras, Institutions ecclésiastiques de la Chrétienté médiévale, Paris : Bloud et Gay, t. 2, p. 282-295. Michèle Bégou-Davia, L’interventionisme bénéficial de la papauté au XIIIè siècle. Les aspects juridiques, Paris : De Boccard, 1997. Pascal Montaubin, Le gouvernement de la grâce. La politique bénéficiale des papes au XIIIè siècle dans la moitié nord du royaume de France, thèse de doctorat, dir. Pierre Toubert, université Paris I, 1998. Sur l’administration de la papauté d’un point de vue plus général, voir : Aux origines de l’état moderne. Le fonctionnement administratif de la papauté d’Avignon. Actes de la table ronde org. par l’Ecole française de Rome (Avignon, jan. 1988), Rome : Ecole française de Rome, 1990. Enfin, pour un point de vue précis sur le clergé paroissial, voir Leonard E. Boyle, « The constitution Cum ex eo of Boniface VIII », dans Mediaeval studies, 24, 1962, p. 263-302.

433.

Michèle Bégou-Davia, L’interventionisme bénéficial…, p. 8.

434.

Gabriel Le Bras, Institutions ecclésiastiques…, p. 14.

435.

Bernard Guillemain, La politique bénéficiale du pape Benoît XII (1334-1342), Paris : Honoré Champion, 1952, p. 21 : « A la mort de Jean XXII, les cas dans lesquels le pape conférait les bénéfices étaient si nombreux que les droits des électeurs aux bénéfices majeurs (évêque, abbé) et ceux des collateurs ordinaires aux bénéfices mineurs étaient atteints d’une irrémédiable décadence. Les réserves, les mandats de provision, les grâces expectatives et les commendes concouraient à ce résultat. » Dès les premiers temps de son pontificat, Jean XXII a notamment promulgué, le 15 septembre 1316, la constitution Ex debito, qui donne la longue liste des cas qui autorisent le pape à nommer les bénéficiaires.

436.

Charles de Miramon, « La place d’Hugues de Saint-Cher dans les débats sur la pluralité des bénéfices (1230-1240) », dans Hugues de Saint-Cher († 1263) bibliste et théologien, ed. L.-J. Bataillon, G. Dahan et P.-M. Gy, Turnhout : Brepols, 2004, p. 341-386.

437.

Andreas Meyer, « Les littere in forma pauperum. Aspects socio-historiques des provisions pontificales », dans Aux origines de l’état moderne. Le fonctionnement administratif de la papauté d’Avignon. Actes de la table ronde organisée par l’Ecole française de Rome (Avignon, 23-24 jan. 1988), Rome : Ecole française de Rome, 1990, p. 315-327. L’étude d’A. Meyer porte sur l’année 1407.

438.

Cette façon d’envisager l’attribution des bénéfices est à mettre en relation avec la taxation des clercs en débat à l’époque. Voir, sur le sujet de la taxation des clercs en fonction du statut des personnes et des biens, le livre de Lydwine Scordia, « Le roi doit vivre du sien ». La théorie de l’impôt en France (XIIIè-XVè siècles), Paris : Etudes augustiniennes, 2005, p. 16sqq.

439.

Sermon 14, f. 35vb : nota quod beneficia ecclesiastica optime dicuntur esse ossa.

440.

Sermon 19, f. 53ra : hodie uerificatum est decretum : qui episcopatum desiderat, bonum opus desiderat ut non possit set ut prosit. Puto quod hodie deberet sic corrigi : qui episcopatum desiderat, bonum opus desiderat, non ut prosit set ut presit.

441.

Cette définition se retrouve aussi, sous une autre forme, dans le sermon 16 (f. 41ra) : per alimentum coniunctum, intelligo beneficium ecclesiasticum officio clericali annexum ; ad litteram, in beneficio ecclesiastico non habent clerici nisi uictum suum : habentes alimenta et quibus tegamur (I Tim. 6, 8) ; hiis contenti sumus.

442.

Le cumul des bénéfices entraîne aussi la non résidence du titulaire. On lit ainsi dans le sermon 13 (f. 29vb) : causa est : unus et idem non potest deseruire duabus ecclesiis multum distantibus. Ideo ubi beneficia utriusque ecclesie, debentur habere residentia et seruicium personale. Qui uult beneficium in una tenere oportet beneficio alterius resignare.

443.

Magnus Ditsche, « Scholares pauperes. Prospettive e condizioni di studio degli studenti poveri nelle Università del Medioevo », dans Annali dell’Istituto storico italo-germanico in Trento, 5, 1979, p. 43-54.

444.

Camille Tihon, « Les expectatives in forma pauperum particulièrement au XIVè siècle », dans Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, 5, 1925, p. 51-188, spéc. chap. 2 p. 66sqq. Michel Mollat, La collation des bénéfices ecclésiastiques…, p. 32.

445.

On estime que Jean XXII accorda 625 grâces expectatives en l’espace d’une seule année, la deuxième de son pontificat (voir Michel Mollat, La collation…, p. 71). Louis Caillet signale aussi que « sous Jean XXII, les taxes bénéficiales en provenance de tous les pays chrétiens représentent environ la moitié des 228 000 florins d’or encaissés annuellement par la chambre apostolique », dans La papauté d’Avignon et l’Eglise de France…, p. 25.

446.

Jacques Guy Bougerol repère cette même façon d’analyser la situation chez les prédicateurs du XIIIè siècle, qui, dans quelques cas, peuvent paraître tout de même plus critiques à l’égard du pape. Voir J. G. Bougerol, « La papauté dans les sermons médiévaux français et italiens », dans The religious role of the papacy : ideals and reality, 1150-1300, ed. Christopher Tyan, Toronto : Pontifical institute of medieval studies, 1989, p. 247-275 (Papers in medieval studies, 8), p. 249 : « La seule requête présentée par les prédicateurs qui répondent ainsi à l’attente des fidèles, concerne la manière dont les prelati remplissent leur ministère ».

447.

On lit aussi dans le sermon 99 (f. 221rb) : felicem reputat se curatus ecclesie parochialis habens modicum beneficium cum magna cura, si possit optinere beneficium et cum hoc dignitatem uel officium in ecclesia cathedrali.

448.

Guido Collemezzo est évêque de Cambrai de 1296 à 1306. Originaire d’Italie, sa famille est une habituée de la curie et plusieurs de ses membres ont pu mener une carrière internationale par l’obtention de grâces papales. Le diocèse de Cambrai n’était certes pas le plus riche du royaume et était bien éloigné de l’Italie, mais il offrait à son titulaire des revenus très intéressants. De plus, « Guido n’était pas le seul Italien à Cambrai : de nombreux compatriotes occupent des places dans les chapitres séculiers de la ville et du diocèse. Le chapitre cathédral présente le cas le plus spectaculaire de cette colonisation bénéficiale ». L’attribution par l’évêque de prébendes du chapitre cathédral lui permit de développer un véritable réseau de clientélisme. Voir Pascal Montaubin, « Avec de l’Italie qui descendrait l’Escault. Guido da Collemezzo, évêque de Cambrai (1296-1306) », dans Liber largitorius. Etudes d’histoire médiévale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, ed. D. Barthélémy et J.-M. Martin, Genève : Droz, 2003, p. 477-502.

449.

P. Montaubin, « Etrangers en Chrétienté : clercs italiens en France et en Angleterre (fin XIIè-mi XVIè s) », dans L’étranger au Moyen Âge. Actes du XXXè colloque de la SHMESP (Göttingen, 1999), Paris, 2000, p. 233-244, ici p. 236-237. Voir aussi J. Coste, A. Paravicini Bagliani, « Ecclesiastici italiani canonici in Francia al tempo di Bonifacio VIII », dans Echanges religieux entre la France et l’Italie du Moyen Âge à l’époque moderne, ed. M. Maccarrone et A. Vauchez, Genève, 1987, p. 45-62. Le cas de la famille Colonna a été étudié en détail : Andreas Rehberg, Kirche und Macht im römischen Trecento. Die Colonna und ihre Klientel auf dem kurialen Pfründenmarkt (1278-1378), Tübingen : Max Niemeyer, 1999.

450.

Charles de Miramon, art. cit., p. 353-357.

451.

Marmursztejn Elsa, Un « troisième pouvoir » ? Pouvoir intellectuel et construction des normes à l’U de Paris à la fin du XIIIè siècle d’après les sources quodlibétiques (Thomas d’Aquin, Gérard d’Abbeville, Henri de Gand, Godefroid de Fontaines), thèse sous la dir. Alain Boureau, EHESS, 1999, t. 2, p. 363 sqq.

452.

Parmi les nombreuses questions disputées relevées par E. Marmursztejn, citons le quodlibet IX, 6 de Gérard d’Abbeville (utrum licitum sit habere plures prebendas absque dispensatione, dans BnF lat. 16405, f. 78vb), le quodlibet IX, 15 de Thomas d’Aquin (utrum habere plures prebendas sine cura animarum absque dispensatione sit peccatum mortale, ed. R. A. Gautier, vol. 1, p. 117-118), le quodlibet XI, 14 de Godefroid de Fontaine (utrum licitum sit alicui tenere plura beneficia, preter quam in duobus casibus, videlicet propter tenuitatem beneficiorum vel propter raritatem clericorum, ed. J. Hoffmans, Les philosophes belges, t. 5, p. 68) et le quodlibet IX, 23 d’Henri de Gand (utrum sacerdos habens competens beneficium possit aliud deservire pro lucro temporali, ed. R. Macken, Opera omnia, t. 13, 1983, p. 302-303).

453.

Marmursztejn Elsa, op. cit., p. 397.

454.

L’enquête a été faite à partir du dépouillement de l’abbé Glorieux : La littérature quodlibétique dans 1260 à 1320, Le Saulchoir Kain, 1925.

455.

Maître en théologie en 1291, signalé en 1314 comme ambassadeur de Robert d’Anjou auprès de Philippe le Bel, il est mentionné dans plusieurs quodlibets. Le quodlibet est cité dans P. Glorieux, La littérature quodlibétique…, p. 237, n° 105.

456.

Chanoine régulier, il prêche déjà en 1285 et en 1304 est donné comme taxateur des livres de l’Université. Voir son quodlibet dans P. Glorieux, op. cit., p. 242, n° 167.

457.

Maître en théologie en 1289, chancelier de Paris de 1296 à 1302 environ, Pierre de Saint-Omer fut ensuite consulté en 1308 sur l’affaire des Templiers. Voir son quodlibet dans P. Glorieux, op. cit., p. 238, n° 111.

458.

Licencié en théologie vers 1300, il devient chanoine et maître régent à Paris ; l’enseignement l’occupa longtemps : il est en 1314 proviseur du collège des Bons Enfants et pénitencier de Paris. Il fut chancelier de l’Université de 1316 à 1328. Il a laissé six quodlibets édités par P. Glorieux : Thomas de Bailly, Quodlibets, texte critique avec intro., notes et tables publiés par P. Glorieux, Paris : Vrin, 1960. Ces quodlibets, les seules écrits qu’il ait laissés, sont datés entre 1301 et 1307.