Le secteur des transports routiers engendre ce que les économistes appellent des effets externes négatifs. Parmi eux, il y en a deux notamment sur lesquels nous nous focaliserons : l’insécurité routière et les émissions de gaz à effet de serre. Ces deux effets sont devenus des sujets d’actualité depuis que la sécurité routière a été déclarée grande cause d’intérêt national 6 , suite notamment à la stagnation des bilans annuels du nombre de tués sur les routes françaises, et depuis que les conséquences 7 du réchauffement climatique se manifestent et viennent de plus en plus inquiéter la population. Ces deux effets externes apparaissent comme des contraintes pour la collectivité qui doit en corriger les impacts négatifs soit en les atténuant, soit en les évitant, pour se prémunir de leurs conséquences économiques, sociales et environnementales.
Ces contraintes liées aux transports et en particulier aux transports routiers obligent donc la puissance publique à les prendre en considération dans ses choix d’investissements et notamment dans les choix d’infrastructures routières. En effet, le choix de créer une nouvelle infrastructure de transport n’est pas neutre, compte tenu de son impact dans l’espace et dans le temps, vis-à-vis de ces effets et soulève de nombreuses questions sur la valorisation de ces effets négatifs. Pour effectuer ses choix, la collectivité fait appel au calcul économique, par le biais des analyses coûts-avantages. Ainsi dans les évaluations socio-économiques des projets routiers, l’insécurité routière et les émissions de carbone sont pris en compte par le biais d’une valorisation de leurs impacts. Pour ce faire, la puissance publique normalise des valeurs, dites tutélaires, qui correspondent à une appréciation de ce qui est raisonnable de dépenser pour éviter un tué sur les routes ou l’émission d’une tonne de carbone dans l’atmosphère.
Concernant les conséquences de l’insécurité routière, elles sont depuis la fin des années soixante, prises en compte dans les évaluations socio-économique des projets à travers l’instauration de valeurs de la vie humaine. Ces valeurs résultent d’une appréciation de ce qu’il est raisonnable de dépenser, compte tenu des préjudices matériels et moraux causés par les accidents à la collectivité, pour éviter un tué ou un blessé (Baumstark, 2004b). Quant aux conséquences liées aux émissions de gaz à effet de serre, elles ne sont valorisées dans les évaluations de projet que depuis quelques années. L’accélération des connaissances scientifiques et l’émergence d’un consensus sur les conséquences du réchauffement climatique 8 ont poussé progressivement la puissance publique à considérer cette contrainte dans les évaluations à travers la valorisation de la tonne de carbone. Cette valeur résulte d’une appréciation de ce qu’il est raisonnable de dépenser, compte tenu des obligations internationales et nationales ainsi que des conséquences que le réchauffement climatique pourrait entraîner, pour éviter l’émission d’une tonne de carbone dans l’atmosphère (CGP, 2001).
Récemment, le Commissariat Général du Plan présentait l’ensemble des avancées réalisées dans l’analyse des nuisances et de leurs conséquences et actualisait les valeurs tutélaires qui étaient alors en vigueur, suite à son précédent rapport (CGP, 1994). Pendant la rédaction de ce rapport, des discussions « animées » ont eu lieu entre l’ensemble des représentants institutionnels, scientifiques et experts, pour savoir quel montant associer à telle ou telle valeur. De l’ensemble de ces débats ont émergé les valeurs que nous connaissons aujourd’hui. Ainsi, et au-delà du fait que l’accroissement du niveau de vie et de la richesse du pays majore les différentes valeurs, l’actualisation de ces dernières a représenté pour certaines d’entre elles un véritable bond en avant dans la valorisation entérinée par la collectivité des avantages et nuisances liés au transport routier. C’est le cas pour les valeurs de la vie humaine notamment. Suite à ce rapport, le Ministère des Transports a émis une instruction-cadre (Ministère des Transports, 2004/2005) qui rend effectives les principales recommandations de ce rapport. Cette instruction, comme l’étaient les précédentes, doit être utilisée par les décideurs locaux, régionaux ou nationaux pour mesurer la rentabilité de chaque projet. Elle est représentative de ce qu’est, dans la pratique, le calcul économique aujourd’hui en France dans le secteur du transport routier.
En matière d’infrastructure routière, le choix de réaliser ou non un projet dépend en partie de la rentabilité socio-économique de ce projet. Si la démarche de calcul économique qui est suivie pour évaluer le projet repose sur des bases théoriques anciennes, la prise en compte des effets externes est relativement récente. Ainsi le calcul économique s’est progressivement enrichi de nouvelles composantes au fil du temps, notamment afin de prendre en compte les obligations créées par la nécessité de faire face aux conséquences socio-économiques des accidents de la route et du réchauffement climatique. Les valeurs tutélaires de ces contraintes font périodiquement fait l’objet de rehaussements et d’ajustements. Cette dynamique de valorisation de ces valeurs normalisées pour le calcul économique s’inscrit d’un processus de tâtonnement qui dépend en grande partie des connaissances scientifiques sur ces sujets, des avancées méthodologiques dans le domaine de la recherche et également de l’évolution des attentes des citoyens et des décideurs vis-à-vis de ces effets négatifs. Ce caractère expérimental du calcul économique l’expose à de nombreuses critiques, notamment sur la légitimité des évaluations monétaires au sein du processus de décisions d’une part et sur le montant et la place des valeurs tutélaires d’autre part. Les fondements et le rôle du calcul économique sont de fait remis en cause.
Dans ce chapitre introductif, nous dresserons un état des lieux du calcul économique et des contraintes qu’il doit prendre en compte.
Jacques Chirac a fait de la sécurité routière un des grands chantiers de son quinquennat.
Canicules, tempêtes et inondations ont été les principaux phénomènes observés en France et en Europe ces dernières années. Même s’il est difficile de dire avec certitudes que ces phénomènes sont directement liés au changement climatique, ils sont représentatifs, selon les scientifiques, des conséquences à craindre d’un réchauffement de la planète.
Voir à ce sujet le dernier rapport d’évaluation du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat sorti en février 2007. http://www.ipcc.ch/