1.2.1. Les critiques adressées au calcul économique en tant qu’instrument d’aide à la décision

Le calcul économique, par le biais des évaluations de projet, contribue à éclairer les décideurs sur l’utilité sociale d’un projet. Il permet également de savoir si l’argent dépensé ici ne trouverait pas une meilleure utilisation ailleurs. Le calcul économique apparaît alors comme un outil d’aide à la décision, il ne dicte pas les choix, mais les éclaire. Pourtant le calcul économique apparaît comme étant trop technocratique et trop éloigné des préoccupations des riverains et/ou des citoyens. Il apparaît comme un instrument dicté par la simple rationalité économique, qui s’appuie entre autres sur des concepts d’utilité et de surplus très réducteurs.

Par ailleurs, le calcul économique s’inscrit depuis quelques années dans un nouveau contexte dans lequel les exigences de concertation, qui sont nées des fréquentes oppositions des citoyens aux décisions publiques, ont amené la puissance publique à légiférer sur la mise en place d’un débat public entre les différentes parties concernées. Ainsi la loi d’orientation sur les transports intérieurs tout d’abord, puis la circulaire « Bianco 9  » et la loi « Barnier 10  » sur le renforcement de la protection de l’environnement ont prescrit et renforcé la tenue de débats publics dans le processus de décision d’un projet. Avec ce nouveau contexte, les critiques à l’encontre du calcul économique se sont faites plus fréquentes et plus virulentes. Parmi ces critiques, nous retrouvons, entre autres, les suivantes :

  • Le calcul économique est un outil trop technocratique, inaccessible aux non initiés.

Il est souvent reproché au calcul économique d’être une véritable boîte noire dans laquelle les méthodes de calcul, les techniques de pondération, d’actualisation et de monétarisation ne sont compréhensibles que par les techniciens chevronnés. Du coup il est reproché au calcul économique d’être manipulable et de faire pencher les indicateurs de rentabilité d’un projet vers des résultats plus favorables.

  • Les calculs sont coûteux et complexes, ce qui les rend discutables.

Les calculs demandent de disposer d’un certain nombre de données (sur les trafics et sur les coûts notamment), lesquelles ne sont pas toujours disponibles, ce qui peut entraîner des coûts importants pour effectuer les études nécessaires à ces calculs (étude de trafic, étude de comportements, etc.). De plus, il est difficile de généraliser l’outil auprès des décideurs locaux qui bien souvent ne disposent pas des moyens humain et financier nécessaires à la conduite d’étude. Le calcul économique est alors inaccessible pour un certain nombre de projets (petit et moyen projet) et de fait le discrédite puisqu’il est possible d’en faire l’économie.

  • Le calcul économique agrège des critères différents et les réduit à une seule dimension monétaire et à un seul critère de mesure.

La mesure de la rentabilité par le biais des indicateurs qui résume l’analyse et les calculs fait figure de dogme prétendant se substituer à la décision politique. De ce fait le processus de concertation semble être renvoyé au second plan. Du coup, l’outil apparaît en décalage avec la complexité du processus de la décision, puisque la référence de validité d’un projet peut se résumer à ses indicateurs de rentabilité.

  • Les résultats de rentabilité masquent les effets négatifs car ils ne présentent au final qu'un avantage global et ils ne tiennent pas compte des effets redistributifs.

C’est là une critique ancienne et qui est souvent évoquée. Pour faire simple et pour donner un cas de figure, lorsqu’un projet est mis en service, il y a généralement des gagnants (les utilisateurs de l’infrastructure) et des perdants (les riverains qui subissent les nuisances). La question qui se pose est la suivante : comment faire accepter le projet à des personnes qui ne profiteront pas ou peu des avantages du projet et qui en subiront les conséquences ? Cette question, qui n’est pas traitée dans le cadre théorique du calcul économique, même si des recherches dans ce sens ont été engagées, contribue encore une fois à discréditer le calcul économique.

  • Les résultats sont parfois très sensibles aux variables de calcul : aux prévisions de trafic, au coût d’investissement, au coût de l’énergie, à l’ouverture à la concurrence, etc.

Il est reproché également au calcul économique de s’appuyer sur des hypothèses peu pertinentes et/ou entachées de grandes incertitudes pour effectuer les calculs. Généralement les hypothèses sur lesquelles il y a les plus grandes incertitudes concernent l’estimation de la demande ainsi que son évolution et les coûts d’investissement. Une variation à la hausse ou à la baisse de ces hypothèses peut avoir un impact non négligeable sur les résultats et peut rendre certains projets non rentables. Nous reviendrons plus en détail sur ce point dans le chapitre quatre en regardant la variabilité du bénéfice aux différents paramètres entrant dans les calculs.

Notes
9.

Circulaire n° 92-71 du 15 décembre 1992 relative à la conduite des grands projets nationaux d'infrastructures, JO n° 48 du 26 février 1993. Cette circulaire a renforcé le débat avec les responsables politiques, sociaux, économiques et associatifs, et le maître d'ouvrage, sous la responsabilité d'un préfet coordonnateur. Elle a instauré une commission de suivi du débat et des expertises externes.

10.

Loi n 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, Publication au JORF du 3 février 1995. Cette loi a instauré la création d’une commission nationale du débat public (CNDP), avec une large représentativité : parlementaires, élus locaux, associations, membres du Conseil d'État et des juridictions de l'ordre administratif et judiciaire. Elle a instauré un débat pour les grandes opérations d'aménagement d'intérêt national (décret du 10 mai 1996) où sont discutés les enjeux socio-économiques et les impacts significatifs sur l'environnement du projet.