1.2.2. Les critiques adressées au calcul économique sur sa légitimité et sa capacité à prendre en compte les effets non marchands

Un des objectifs du calcul économique est de considérer des éléments qui n’ont pas de contrepartie monétaire. Ces éléments qui sont des effets externes positifs ou négatifs sont aussi appelés effets non marchands puisqu’ils n’ont pas de prix de marché. Pour contourner cette difficulté et pour intégrer ces effets dans les calculs de rentabilité, des méthodes d’évaluation ont été et sont mises en pratique pour évaluer l’impact en termes monétaires des conséquences de ces effets. Il résulte de ces évaluations des valeurs différentes, convergentes ou non, parmi lesquels la puissance publique va décider de normaliser les résultats, les plus consensuels, en valeurs tutélaires et qui seront prises comme valeurs de référence dans les calculs de rentabilité. Ainsi la puissance publique normalise les valeurs du temps, les valeurs de la pollution atmosphérique, la valeur du bruit, les valeurs de la vie humaine et la valeur de la tonne de carbone. Les principales critiques faites sur ce point au calcul économique sont les suivantes :

Par exemple, quels sont les effets réels de la pollution atmosphérique sur la mortalité ? Quelles sont les conséquences économiques des décès ? Quelle relation existe-t-il entre le CO2 et le changement climatique et quels sont les effets socio-économiques de ce réchauffement ? Si la recherche et les connaissances scientifiques sur ces sujets avancent, il n’en reste pas moins que ces questions tendent à discréditer le calcul économique, tant les relations de causes à effets sont difficiles à mesurer exactement. Cette critique appelle la suivante.

Faute d’avoir des valeurs précises et unanimement reconnues, la puissance publique fixe les valeurs à considérer. Ces choix ne font pas toujours l’unanimité au sein des chercheurs, des ministères, des associations de défenses de l’environnement, etc. Pourtant la puissance publique, comme ce fut le cas pour le choix des valeurs du rapport Boiteux II (CGP, 2001), se doit à une certaine dose d’arbitraire 11 justement parce que les valeurs sont subjectives ou du moins parce que les personnes qui avancent certaines valeurs sont partiales.

Il est reproché au calcul économique de ne pas prendre en compte l’ensemble des effets qu’engendre une infrastructure. Parmi eux il y notamment les effets de coupure (surtout en milieu urbain), les effets sur le paysage, les effets sur le développement économique local ou régional, les effets des transports sur le développement urbain (Héran, 2000). Certains de ces effets font l’objet d’études, mais leur valorisation marchande est difficile à cerner en raison de la complexité des phénomènes rencontrés. Ils sont le plus souvent pris en compte par le biais d’une analyse multicritères 12 , qui n’est d’ailleurs pas non plus à l’abri des critiques déjà avancées pour l’analyse coûts-avantages (subjectivité, pression de certain acteurs, etc.).

Nous reviendrons sur ce point plus longuement dans le chapitre quatre. Toutefois, le fait que les gains de temps dans un projet puissent représenter, par exemple, jusqu’à 98 % des avantages (MELTT, 1997 13 ) pose la question de la place des autres effets et de leur valeur. N’ont-elles qu’un rôle de figuration ? Sont-elles réellement représentatives des considérations que la collectivité accorde à ces effets ? N’est-ce pas là un paradoxe rédhibitoire qui discrédite le calcul économique puisque d’un côté la collectivité attribue certaines valeurs aux nuisances environnementales, ce qui montre l’intérêt qu’elle porte sur ces sujets, et d’un autre côté ces valeurs ont un poids relatif presque insignifiant dans les résultats finals, ce qui pose la question de leur rôle dans les calculs.

Le calcul économique n’est pas à l’abri de critiques. Face à elles, il doit s’adapter et s’enrichir. La valorisation des effets non marchands et leur prise en compte dans les calculs de rentabilité est l’une des critiques les virulentes qui lui sont adressées. Avant de voir comment la puissance publique et le calcul économique prennent en compte ces effets non marchands et notamment le réchauffement climatique et la sécurité routière, faisons un état des lieux sur ces deux problématiques.

Notes
11.

Par exemple, lorsque le groupe de travail a dû arrêter un montant pour la valeur de la tonne de carbone, celle-ci a été mise aux enchères, en quelque sorte, à la hausse comme à la baisse et le choix de la valeur a été arrêté par le président du groupe de travail, Marcel Boiteux. Cette valeur (100€/tCb) étant la plus consensuelle entre les partisans d’une valeur élevée et les partisans d’une valeur faible.

12.

L’analyse multicritères permet de considérer certains aspects d’un projet (effet sur le paysage, développement local, etc…) sous la forme d’une notation +/-.

13.

Cf. Bilan économique et environnemental pour l’A86 sud pour l’année 1992.