1.2. Le prix de la vie humaine en France

Il y a actuellement une tendance à ce que les méthodes de valorisation de la vie humaine se tournent de plus en plus vers les méthodes du consentement à payer fondées sur les préférences déclarées. Cela tient à plusieurs raisons que nous avons déjà évoquées. Nous pouvons toutefois rappeler les principales :

Les recherches en cours portent principalement sur la façon d’améliorer cette méthode, en corrigeant tous les biais qui lui sont inhérents (biais de la méthode, biais des réponses, biais dans le traitement des réponses, etc.).

Les coûts liés à l’insécurité routière ont été les premiers à être intégrés dans l’évaluation socio-économique des infrastructures de transport. La nécessité de perfectionner les méthodes de calcul de l’utilité économique des investissements routiers fut, à la fin des années cinquante, à l’origine des premières recherches sur le prix de la vie humaine et le coût moyen d’un blessé sur la route.

Ces premières études conduites par Abraham et Thédié étaient fondées sur la notion de perte de production. En 1953, ces deux auteurs introduisent en France le concept de « coût de la vie humaine ». La notion est présentée aussi bien dans les revues scientifiques (Abraham et Thédié, 1960) que dans les groupes de travail administratifs. Elle est pour la première fois introduite dans la circulaire du ministère de l’Équipement du 20 janvier 1970 relative aux méthodes d’évaluation des investissements routiers (Ministère des Transport, 1970).

À la fin des années soixante-dix, cette approche par la méthode des pertes de production fut renouvelée. En effet, les premiers travaux s’inscrivaient dans le contexte socio-économique d’une époque de plein emploi. Or, au fil du temps, la situation économique et le schéma social ont changé : chômage, réduction de la durée de travail, etc. Ainsi, la France est passée par différentes méthodes de valorisation de la vie humaine. De l’utilisation de la méthode du capital humain à celle du capital humain compensé, elle se tourne désormais vers les méthodes basées sur les préférences déclarées. Les valeurs officielles, celles utilisées pour le calcul économique ont suivi l’évolution des méthodes et des valeurs.

Tableau 10. Du capital humain au consentement à payer : résultats des principaux travaux de recherche en France sur la valorisation de la vie humaine
Année
Auteurs
1960 Abraham Thédié 1979
ONSER
1993
INRETS
1994
M. Le Net
1994 Boiteux I 1995
B. Desaigues
2001
Boiteux II
Méthode Capital humain Années de vie perdues Années de vie sauvegardées Capital humain
compensé
Capital humain compensé Consentement à payer Consentement à payer
Tué 22 867 € (1960) 243 918 € (1985) 609 796 €
(1993)
548 816 €
(1993)
548 816 €
(1993)
838 469 € (1995)
scénario 1000 vies
1 000 000 €
(2000)
Blessé grave - -
Blessé léger - -
14 075 €
(1996)
56 406 € 56 406 €
-
150 000 €
12 043 € 12 043 €
-
22 000 €

Source : (Chevasson et Crozet, 2003)

Les premiers en France à avoir proposé une méthode et une valeur à la vie humaine sont Abraham C. et Thédié J. en 1960. Ces derniers ont estimé que les pertes résultant de la mort d’une victime "moyenne" de la route se chiffraient à 22 867 € (1960). Cette valeur était le résultat de la perte nette de l'individu, de la perte "auto-consommée" (sa consommation) et de la perte affective.

En 1979, l'ONSER développe une méthode fondée sur les années de vie perdues qui deviendra ensuite celle des années de vie sauvegardées. Cette méthode repose sur l'exploitation de budgets-temps associés aux activités humaines. Avec cette méthode, l'ONSER arrive à une valeur du tué de 243 918 € (1985).

À la même époque, fin des années quatre-vingts, Le Net développe une méthode qui reprend le principe de celle élaborée par Abraham et Thédié. Dans cette méthode, le résultat dépend des pertes directes, des pertes brutes et des pertes affectives. En 1990 et 1994, Le Net reprend sa méthode pour actualiser les valeurs (Le Net, 1994a). Pour l'année 1990, il arrive cette fois-ci à une valeur du tué de 548 816 € (1993).

Parallèlement, l'INRETS, au début des années quatre-vingt-dix, reprend sa méthode développée en 1979 en la complétant et en la complexifiant. En 1992 et 1993, l’institut effectue une actualisation et arrive à une valeur du tué de 613 428 € (1993) (Duval et al, 1993) et à une valeur du blessé de 14 075 € (1996) (Duval et al, 1996).

L’augmentation des valeurs est le résultat d'une plus grande complexité des méthodes de valorisation, mais c’est également l’expression d'une aspiration de la société à une meilleure sécurité sur les routes. Pourtant, bien que les valeurs de la vie humaine augmentent, les valeurs françaises restent en bas de la fourchette des valeurs européennes. C'est une des raisons pour lesquelles, au début des années quatre-vingt-dix, les techniques de valorisation de la vie humaine se tournent vers une autre méthode, celle fondée sur les préférences déclarées individuelles.

En 1993, plusieurs organismes décident de financer une évaluation contingente de la valeur de la vie humaine pour des accidents de la route. C'est la première étude utilisant cette méthodologie en France. Le principe de cette méthode a été vu dans précédemment. Les valeurs sont associées à des scénarios de "sauvetage" de victimes de la route. Avec cette méthode, Michel Le Net arrive à une valeur du tué, pour un scénario ‘sauver 1000 vies’ de 2 688 895 € (Le Net, 1994b).

En reprenant les résultats de cette étude et une fois recalculée, avec des méthodes économétriques qui permettent de corriger les biais associés à cette méthode, la valeur du tué est ramenée à 838 469 € (1995) (Desaigues, 1995).

Toutefois, même si cette méthode donne des valeurs plus élevées que celles obtenues avec les autres méthodes, en 1994, le Commissariat Général du Plan ne disposant pas des résultats des études engagées, a décidé de privilégier la méthode du capital humain compensé en s’appuyant sur les résultats concordants des études de M. Le Net et celles de H. Duval. La valeur d’un tué est alors fixée à 564 061 € (1994), celle d’un blessé grave à 56 406 € et celle d’un blessé léger à 12 043 € (CGP, 1994).

Ce n’est qu’en 2001, pour être en cohérence avec les résultats issus des enquêtes fondées sur les préférences déclarées, que le Commissariat Général du Plan, dans son dernier rapport, a rehaussé la valeur de la vie humaine. Ainsi la valeur du tué a été fixée à 1 000 000 € (2000), la valeur d’un blessé grave à 150 000 € et celle d’un blessé léger à 22 000 € (CGP, 2001).

Parallèlement à ces évolutions méthodologiques, les documents administratifs, qui fixent officiellement les valeurs à prendre en compte dans les évaluations de projets, ont été actualisés pour tenir compte des avancées des recherches sur le prix de la vie humaine.

Tableau 11. Les valeurs officielles de la vie humaine en France
Valeurs officielles Instruction Janvier 1970 Instruction Novembre 1974 Instruction Mars 1980 Instruction Mars 1986 Instruction Octobre 1995 Instruction Octobre 1998 Instruction Mars 2004/2005
Tué 35 063 €
(1969)
57 931 €
(1974)
152 449 €
(1980)
243 918 €
(1985)
564 061 €
(1994)
564 061 €
(1994)
1 000 000 € (2000)
Blessé grave
Blessé léger
1 524 € 2 592 € 4 573 €
22 105 € 58 083 € 58 083 € 150 000 €
1 448 € 12 348 € 12 348 € 22 000 €

Source : Instructions (1970, 1980, 1986, 1995, 1998, 2004).

La première instruction de 1970 s’est appuyée sur les résultats des premiers travaux effectués sur la valorisation de la vie humaine, notamment sur ceux d’Abraham et Thédié. En 1974, il est proposé une simple actualisation des ces valeurs. En 1980, l’instruction a fixé des valeurs issues des résultats de la méthode développée en 1979 par l’ONSER. De même, en 1986, les valeurs fournies par l’instruction sont issues de l’actualisation des valeurs proposées par cette même méthode. En 1995, l’instruction s’est appuyée sur les travaux de la valorisation de la vie humaine par la méthode du capital humain compensé. Celle de 1998 reprend les mêmes valeurs. En 2005, l’instruction a suivi les recommandations du rapport du Commissariat Général du Plan, qui s’est appuyé sur les résultats des méthodes fondées sur les préférences déclarées pour fixer de nouvelles valeurs, beaucoup plus élevées.