Introduction

Toutes les évaluations des projets d’infrastructures de transport reposent sur des estimations et il est fréquent que les avantages et les coûts de la réalisation d’une opération gagnent en précision avec le temps. En outre, les valeurs retenues pour les paramètres d’évaluation d’un projet peuvent être entachées d’incertitudes alors que l’utilisation du bénéfice actualisé comme indicateur de choix nécessite d’évaluer les effets sur une longue période dans un environnement non figé. Par construction, le calcul économique n’est donc pas une science exacte. Les résultats qui en découlent sont des résultats théoriques ou approchés, au sens où ils sont établis sur la base d’hypothèses plus ou moins pertinentes établies au moment où est conduite l’évaluation.

Pour essayer de mieux prendre en compte ces incertitudes, les instructions 58 ministérielles qui se sont succédé à partir de celle de 1980 (Ministère des Transports, 1980) ont implicitement ou explicitement rappelé l’importance de pratiquer des tests de sensibilité afin d’avoir des résultats contrastés. La dernière instruction (Ministère des Transports, 2004/2005), précise quant à elle qu’il faut « borner certaines incertitudes de l’analyse économique par une étude de sensibilité aux paramètres les plus importants ».

Si, au début, le champ des variables était réduit aux seules hypothèses de croissance du trafic, depuis, le nombre de variables soumis à ces tests a augmenté. La dernière instruction indique les variables à tester : la croissance du PIB, les coûts d’investissement et d’exploitation, le trafic, le coût de l’énergie, y compris les taxes et l’évolution relative des prix du mode de transport concerné et des modes concurrents. Concernant les effets monétarisés, elle précise que les impacts sur les résultats des différents effets externes doivent être indiqués. Parmi ces effets, elle cite : le prix de la vie humaine et les nuisances (le bruit et la pollution).

L’analyse de sensibilité n’est donc pas un élément nouveau dans le domaine des études de rentabilité socio-économique. Elle a été élargie au fil des instructions, passant d’une simple analyse de sensibilité des hypothèses de trafic à l’ensemble des éléments que nous avons cités auparavant.

C’est dans cette démarche de prise en compte des incertitudes liées aux variables, qui déterminent la rentabilité socio-économique, que prend place la première partie de ce chapitre. L’objectif principal sera, à partir de simulations et de tests de sensibilité, de regarder l’influence relative des variables utilisées dans le calcul économique sur les résultats de rentabilité.

Cet exercice nous permettra de mettre en lumière, d’une part les variables à enjeux c’est-à-dire celles dont une faible variation engendre une modification importante du bénéfice actualisé pour la collectivité, et d’autre part les variables secondaires, c’est-à-dire celles dont l’impact est marginal sur les résultats. À travers cette démarche nous observerons en particulier la place réservée aux effets non marchands à travers leur poids relatif dans les résultats finaux.

Nous avons partagé notre analyse en deux parties :

  • la première s’intéressera à l’influence relative des variables situées en amont du calcul économique. Ce sont celles qui diffèrent d’un projet à un autre.
  • la deuxième s’intéressera à l’influence relative des variables situées au cœur du calcul économique. Ces variables correspondent aux valeurs tutélaires des effets non marchands.

À partir des conclusions auxquelles nous mènerons les résultats, le deuxième objectif de ce chapitre sera de mener une réflexion sur les montants des valeurs tutélaires. Le calcul économique nécessite que soient fixées des valeurs tutélaires pour que soient clairement explicités les prix que la collectivité attribue à des grandeurs aussi différentes que le temps, la pollution, le bruit ou les émissions de CO2. C’est dans cette perspective, avec les deux rapports Boiteux (1994 et 2001), que l’administration française a engagé des travaux pour préciser les méthodes utilisées dans les évaluations socio-économiques des investissements de transport. Un des enjeux principaux de ces travaux était de préciser les valeurs (prix fictifs) qui devaient permettre d’incorporer aux calculs économiques de rentabilité des investissements publics du secteur des transports, chaque fois que c’était possible, les coûts et les avantages non marchands associés au projet. L’élaboration de ces valeurs a nécessité une large concertation et des compromis de la part des principaux acteurs représentés dans le groupe de travail. Le consensus, lent à obtenir sur certains dossiers, les études mobilisées pouvant conduire à des appréciations nuancées voire contradictoires, constitue néanmoins aujourd’hui, malgré les grandes incertitudes qui demeurent sur bien des points, une base solide sur laquelle il est possible d’appuyer le calcul économique public.

Ne voulant pas nous substituer à ces institutions, nous n’avons pas cherché à proposer de nouvelles valeurs tutélaires. Par contre nous avons développé un procédé de calcul économique à l’envers, qui nous aidera à révéler peut-être des valeurs implicites, différentes de celles existantes. Sans être exhaustif, nous nous sommes penchés sur le cas du mode routier en rase campagne en nous posant une question relativement simple et d’actualité. Depuis que la réduction de l’insécurité routière a été considérée comme une grande cause nationale, de nombreuses mesures ont été prises pour réduire la vitesse sur les routes et autoroutes. À cette orientation marquée en faveur de la sécurité routière, se sont ajoutées des considérations environnementales et énergétiques. En abaissant partout les vitesses maximales sur autoroutes à 120km/h, les émissions de CO2, les consommations énergétiques et la pollution diminueraient pour le même niveau de trafic. Mais cela se ferait au prix de pertes de temps. Il est alors tentant de se demander si le jeu en vaut la chandelle. C’est là qu’apparaît une forme de calcul économique à l’envers. En regardant les relations qui lient la vitesse aux autres variables, nous montrerons que les montants des valeurs tutélaires ne sont pas toujours cohérents avec ce que les choix politiques révèlent et surtout nous pointerons du doigt la limite de raisonner dans une pure logique de calcul économique.

Notes
58.

Les premières instructions (1970, 1974) ne donnaient aucune indication sur d’éventuels tests de sensibilité à effectuer. Il est possible que cela ait été demandé, suite notamment au rapport de la commission Lherm (1978), qui avait montré l’impact des hypothèses de trafic sur le bénéfice actualisé.