3.1. L’art de faire du calcul économique à l’envers

3.1.1. La démarche de travail

En nous intéressant aux décisions passées, présentes ou à venir de la puissance publique en matière d’application et/ou de limitation des vitesses sur le réseau routier national, nous tenterons de tester la cohérence des valeurs tutélaires avec les actions politiques. Car si le niveau des valeurs tutélaires des effets non marchands représente le niveau de degré de considération que la collectivité accorde à ces effets, il devrait être en cohérence avec les actions politiques menées.

Nous prendrons comme base de travail la baisse des vitesses observées sur les réseaux routiers depuis l’année 2000 ainsi que les propositions avancées d’abaisser la vitesse maximale autorisée sur autoroute pour les voitures particulières. Nous nous intéresserons aux relations existant entre les valeurs tutélaires et les vitesses. Nous développerons deux idées :

  • La première idée est que la collectivité accorde implicitement à la tonne de carbone une valeur supérieure à ce qu’elle est actuellement (100 €). Face au réchauffement climatique, en proposant d’abaisser la vitesse maximale autorisée sur autoroute pour les voitures particulières, certains semblent indiquer des préférences pour une valeur de la tonne de carbone plus grande et pour des valeurs du temps moins élevées. Ceci paraît paradoxal compte tenu des poids relatifs de ces valeurs dans les résultats de rentabilité.
  • La deuxième idée est que, contrairement à ce que nous pourrions penser, il est économiquement justifié d’abaisser les vitesses sur l’ensemble des réseaux puisque cela augmente le bénéfice socio-économique pour la collectivité. Les questions qui se posent alors sont les suivantes :
    • Que révèle cette impulsion de la politique en faveur de la sécurité routière en termes de modifications du système des prix relatifs des effets non marchands ? Y a-t-il une préférence implicite de la collectivité pour des valeurs tutélaires différentes ?
    • Cette baisse ne révèle-t-elle pas également qu’au-delà des prix fixés aux effets non marchands, la collectivité affiche sa préférence pour un changement dans les volumes relatifs des avantages et des nuisances sans exprimer clairement ce que pourraient être les prix fictifs ?

Pour mener à bien ces réflexions, nous pratiquerons ‘un calcul économique à l’envers’ en raisonnant par équivalence monétaire. En prenant comme référence le bénéfice issu de scénarios de référence nous rechercherons le(s) montant(s) d’une ou des valeurs tutélaires qui entraînent la même variation du bénéfice que celle engendrée par une variation des vitesses. Avec cette démarche, nous pratiquerons un calcul qui consiste, à partir d’un résultat, à raisonner à rebours en recherchant les valeurs qui conduisent à ce résultat. Dans la pratique nous utilisons, sous Excel, l’outil de la valeur cible qui recherche un résultat spécifique pour une cellule en ajustant la valeur d'une ou plusieurs cellules.

La démarche consiste donc, à partir de faits observés ou qui pourraient se produire dans un futur proche, à révéler des valeurs qui sont, toutes choses égales par ailleurs, à prendre comme des équivalences monétaires. Le raisonnement s’inscrit dans le cadre de l’outil SIMECO, c’est-à-dire à travers les mécanismes de calcul produits par les méthodes et valeurs que nous avons utilisées, mais aussi avec les hypothèses de départ concernant les scénarios de référence. Par ailleurs, nous rappelons que les simulations effectuées avec l’outil concernent les projets situés en rase campagne et que, par conséquent, certaines problématiques peuvent être absentes par rapport à celles existant sur des infrastructures situées en zones urbaines et périurbaines. Nous faisons référence ici au problème de congestion qui caractérise l’entrée des agglomérations. Dans toutes nos analyses, nous faisons l’hypothèse qu’aucun phénomène de ce type, qui annule les gains de temps capitalisés en empruntant des infrastructures plus rapides, n’est présent.

Par ailleurs, le calcul des temps de parcours se fonde sur la vitesse réglementaire. Les fonctions débit – temps de parcours ne prennent pas en compte la possibilité pour les usagers de rouler au-dessus ou en dessous de cette vitesse. Les vitesses de chaque catégorie de véhicules (VP, PL) sont donc homogènes. Elles dépendent du taux de saturation de l’itinéraire concerné.

Les bilans des évaluations de rentabilité trouvent leur origine dans la capacité de la nouvelle infrastructure à attirer des usagers. La situation pour les usagers se résume simplement à un choix entre deux itinéraires qui n’entraînent pas les mêmes coûts de circulation. Ces coûts sont au cœur des évaluations puisque la répartition du trafic dépend d’eux. Ainsi, toute variation de ces coûts se répercute à la hausse ou à la baisse sur le niveau de trafic de l’autoroute, et par conséquent sur le niveau du bénéfice pour la collectivité.

Une variation des vitesses absolues, en jouant sur les vitesses sur chaque itinéraire, va modifier l’avantage relatif de l’itinéraire le plus rapide. Les vitesses sont donc des variables majeures. En jouant sur les temps de parcours, elles déterminent, en grande partie, par le biais des coûts de circulation, la répartition des trafics sur les itinéraires. Par conséquent elles ont un impact important sur le niveau du bénéfice pour la collectivité et sur les nuisances engendrées par la mise en service de l’autoroute.