Avant tout, nous partirons de l’hypothèse que, d’une manière générale, sans que des phénomènes de congestion soient présents, une autoroute située en rase campagne comparée à un itinéraire routier concurrent, possède les caractéristiques suivantes.
Une autoroute est plus courte, plus rapide et plus sûre. Ce sont les principales caractéristiques qui déterminent, compte tenu des valeurs du temps et de la vie humaine, la collectivité à mettre en service une nouvelle infrastructure autoroutière.
En tenant compte de ces caractéristiques, quel effet une baisse des vitesses sur autoroute aurait-elle ? A priori, une baisse de la vitesse devrait s’accompagner, à nombre et type de déplacements donnés (Cohen et al. 1998) :
Compte tenu de l’importance des valeurs du temps dans la détermination du bénéfice, une baisse des vitesses serait-elle justifiée au regard du calcul économique ? Les gains additionnels de sécurité routière et celles liés à la baisse des émissions de polluants contrebalanceraient-ils la perte des gains de temps ?
Observons les effets sur le bénéfice et les avantages des effets non marchands d’une baisse de 10 % des vitesses sur les deux réseaux. Nous raisonnons à partir de notre cadre de référence dans lequel la longueur de l'autoroute est inférieure à celle de la route. Le scénario de référence est S3 78 dans lequel le trafic journalier annuel moyen existant à l’année d’étude est de 17 000 véh/j.
Variations absolues | Variations relatives | |
Bénéfice socio-économique | +427 061 021 € | +17,6 % |
Gains de temps | +292 174 089 € | +16,6 % |
Gains Sécurité routière | +14 016 441 € | +2,8 % |
Coûts Effet de serre | -14 680 005 € | -39,9 % |
Gains Pollution | -258 290 € | -46,1 % |
Source : SIMECO – Annexe (23)
En abaissant les vitesses la collectivité améliore son bilan socio-économique. Elle privilégie non seulement les gains de sécurité routière et les économies de carburants mais également, ce qui est paradoxal, les gains de temps. Seul le bilan de la pollution atmosphérique est détérioré.
Même si l’augmentation du bénéfice n’est pas uniquement due aux variations des effets non marchands 79 , ces résultats sont paradoxaux puisque, à l’inverse de ce nous pourrions penser, le fait d’abaisser les vitesses ne pénalise pas le bilan de la collectivité, bien au contraire. La rentabilité socio-économique du projet augmente. Comment pouvons-nous expliquer ces résultats ?
En abaissant les vitesses de 10 % sur les deux réseaux, les conditions de la route se dégradent plus que celles de l’autoroute. Ces nouvelles conditions entraînent un report de trafic de la route vers l’autoroute plus important et une induction de trafic plus importante.
Les coûts de circulation sur la route se dégradent, notamment en termes de temps de parcours, tandis que les coûts de circulation sur autoroute restent relativement stables ; la baisse de la vitesse réduit les gains de temps, mais cette perte est compensée par la diminution des frais de fonctionnement, notamment ceux de carburant. Au final, le trafic total autoroutier est plus important. Ce surcroît de trafic est à l’origine, compte tenu des caractéristiques de l’autoroute, de la hausse du bénéfice pour la collectivité.
Trafics | Variations absolues | Variations relatives |
Trafic route | -20 886 | -27,9 % |
Trafic Autoroute | 49 180 | +7,0 % |
Dont détourné | 28 294 | +3,5 % |
Dont Induit | 20 886 | +27,3 % |
Source : SIMECO / Trafics cumulés en véh/j sur la durée de concession
Ce report de trafic plus important vers l’autoroute et l’augmentation du trafic induit expliquent pourquoi en comparaison avec le scénario de référence :
Au final, la collectivité se retrouve gagnante à abaisser les vitesses du point de vue de son bilan et du point de vue des gains de sécurité routière et ceux de l’effet de serre.
Cette relation, théorique et mécanique, entre la baisse des vitesses et l’augmentation des trafics présents sur l’autoroute (et donc du bénéfice) peut être observée dans les faits à partir des données statistiques de trafics établies chaque année par le Ministère des Transports. Entre 2000 et 2005, les autoroutes concédées ont vu leurs trafics augmenter, même si la croissance s’est estompée en fin de période. En comparaison, la croissance des trafics sur les routes nationales, déjà inférieure à celle des trafics sur autoroutes, s’est arrêtée en 2005. La hausse des prix de carburants qui s’est produite ces dernières années a sans aucun doute ralenti la croissance des trafics tous réseaux confondus, mais malgré cette hausse et malgré la baisse des vitesses, les autoroutes concédées ont continué à profiter de l’augmentation des trafics sur leurs réseaux.
2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | |
Autoroutes concédées | 66 - |
69 5,3 % |
72 4,7 % |
74 2,5 % |
76 2,5 % |
77 1,1 % |
Routes nationales | 91 - |
92 1,8 % |
94 1,7 % |
95 1,2 % |
96 1,1 % |
96 0,0 % |
Total (tous réseaux confondus) |
526 - |
545 3,7 % |
553 1,3 % |
557 0,8 % |
560 0,5 % |
556 -0,7 % |
Source : (Compte des transports, 2005)
Cette relation entre la baisse des vitesses et l’augmentation du bénéfice appelle deux commentaires :
Pour arriver à ces résultats, nous prenons comme base le bénéfice issu du scénario de référence et nous recherchons les valeurs du temps qui entraînent le même impact sur le bénéfice qu’une baisse des vitesses.
Vitesses sur réseaux | Une baisse des vitesses de : | Vitesses en km/h | est équivalente à une hausse des VDT de : | ||||||
Vitesses limites : Autoroute Concédée VP : 130 km/h PL : 90 km/h Route Nationale VP : 90 km/h PL : 80 km/h |
|
Source : SIMECO – Annexe (24) / AC : Autoroute concédée ; RN : Route Nationale
Lecture du tableau : une baisse de -10 % des vitesses sur les deux réseaux et pour les usagers VP et PL équivaut à une augmentation de 26,0 % des valeurs du temps voyageurs et marchandises.
Cette relation entre vitesses et valeurs du temps est contre intuitive puisqu’en baissant les vitesses nous devrions trouver des valeurs du temps moins élevées. En rallongeant les temps de parcours, les gains de temps se réduisent ce qui équivaut à considérer des valeurs du temps plus faibles. Cette relation est vraie lorsque nous raisonnons sur un itinéraire type, à trafic donné. Mais lorsque nous raisonnons dans le cadre d’une évaluation de projet d’autoroute qui viendrait concurrencer la route et à partir de la loi d’affectation des trafic qui répartit les trafics selon les coûts de circulation des itinéraires, une baisse des vitesses profite à l’itinéraire le plus rapide (jusqu’à un certain point critique de saturation).
Dans notre cas de figure, si nous faisons varier les vitesses du même ordre de grandeur que les baisses observées sur les réseaux entre 2000 et 2005, le trafic total sur autoroute augmente de 8,2 % par rapport à notre scénario de référence avec un trafic induit en hausse de 30,9 % et un trafic détourné en augmentation de 4,3 %. Ainsi, en suivant une politique de réduction générale des vitesses, la collectivité augmente les gains de temps. Aurait-elle une préférence implicite pour des valeurs du temps plus élevées ? Qu’en est-il des autres valeurs tutélaires ?
Cf. Les courbes de consommation en fonction de la vitesse que nous avons présentées dans le chapitre III
Dans le cas où la voirie est congestionnée, une baisse des vitesses peut permettre une meilleure fluidité de la circulation et donc baisser les temps de parcours. C’est essentiellement le cas en milieu urbain. Voir sur ce sujet : "Évaluation socio-économique des systèmes d’exploitation de la route en milieu urbain", Conseil Général des Ponts et Chaussées, août 2004. Rapport disponible sous : http://www.securiteroutiere.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_chapulut.pdf
Nous avons changé de scénario de référence pour que dans la suite de la démarche nous ayons des projets dont les indicateurs de rentabilité socio-économique soient positifs.
D’autres éléments expliquent l’augmentation du bénéfice comme la hausse des recettes de péage, des avantages de confort pour les VP et des frais de fonctionnement VP et PL. Cf. le bilan détaillé en annexe (23).