Conclusion

Ce chapitre avait un double objectif. D’une part de montrer la sensibilité des résultats aux différentes variables de calculs et de comparer le poids relatif des ces variables dans la détermination du bénéfice pour la collectivité. D’autre part de montrer que le calcul économique, au-delà de ses limites, peut nous aider à révéler les préférences de la collectivité, implicites ou affichées, lorsqu’elle poursuit sa politique de réduction des vitesses.

À partir des élasticités apparentes issus des tests de sensibilité que nous avons effectués, nous pouvons faire ressortir quelques enjeux concernant les évaluations socio-économiques.

Un véritable enjeu pour les évaluations socio-économiques consiste à ce que l’écart entre les études a priori et a posteriori soit le plus faible possible. Cela passe par la fiabilité des hypothèses macro-économiques de croissance de l’économie, la précision des études de trafic et leur évolution et les prévisions de coûts d’investissement. Ces variables sont susceptibles de faire basculer la rentabilité socio-économique d’un projet. La précision de ces hypothèses constitue un enjeu important pour la crédibilité du calcul économique.

Un autre enjeu concerne ce que nous pouvons appeler les ‘variables de projets’. Elles dépendent pour la plupart des choix de la puissance publique et/ou des concessionnaires ou simplement de l’environnement et du contexte dans lesquels s’inscrit la nouvelle infrastructure. Ce sont celles qui touchent directement ou indirectement aux temps de parcours des véhicules et par conséquent au bénéfice qu’engendre la nouvelle infrastructure. Les vitesses autorisées font parties de ces variables, qui par ailleurs peuvent avoir d’autres effets bénéfiques, notamment sur les nuisances environnementales.

Il y a réellement parmi ces valeurs deux catégories. D’un côté, les valeurs du temps, surtout celles des voyageurs. De l’autre côté, toutes les autres. L’importance des gains de temps dans les avantages qu’apporte un nouvel itinéraire, soit parce qu’il est plus court et/ou parce que la vitesse autorisée y est plus élevée, relègue les autres valeurs tutélaires, notamment celles liées aux nuisances environnementales (effet de serre et pollution atmosphérique), à de simples considérations collectives des phénomènes. Seules les valeurs de la vie humaine se démarquent et ont un poids un peu plus important dans le niveau du bénéfice.

Ainsi, d’un côté, des efforts sont réalisés pour inclure dans le calcul économique les différents effets non marchands liés aux transports, mais d’un autre côté, certains d’entre eux sont sous représentés dans les résultats de rentabilité. Cette différence de traitement peut nous laisser penser que la collectivité a peu de considération pour ces effets.

C’est sur ce constat que nous avons débuté notre réflexion sur les préférences de la collectivité dans la valorisation des effets non marchands. En nous intéressant à la politique actuelle en faveur de la sécurité routière et aux propositions avancées face au réchauffement climatique, nous avons essayé de savoir si cette différence de considération était aussi nette qu’elle ne le préfigurait.

L’avantage qu’apportent les gains de temps dans la rentabilité socio-économique d’un projet n’est plus à démontrer. Pourtant les valeurs du temps en interurbain sont peut-être surévaluées par rapport à ce qu’estime la collectivité. En baissant la vitesse sur autoroute, elle réduit les gains de temps des usagers. C’est ce qui pourrait nous laisser penser que la collectivité ait une préférence pour des valeurs du temps plus faibles. Mais c’est sans compter sur le fait que la limitation de la vitesse a pour objectif la réduction des émissions de CO2. L’analyse que nous avons faite, en faisant du ‘calcul économique à l’envers’, a révélé que la puissance publique en abaissant la vitesse sur les autoroutes interurbaines affecterait à la valeur de la tonne de carbone un montant plus élevé qu’il ne l’est actuellement. Ce résultat obtenu par équivalence monétaire permet de révéler qu’en limitant la vitesse sur autoroute à 120 km/h pour les VP, la collectivité afficherait clairement sa volonté de réduire les émissions de CO2. Cette volonté se caractériserait par une valeur de la tonne de carbone plus élevée.

Par ailleurs, la politique actuelle en faveur de la sécurité routière, qui a pour effet d’abaisser les vitesses sur les routes, ne détériore pas le bilan socio-économique pour la collectivité. En détériorant les conditions de circulation de nos deux réseaux, la collectivité avantage l’itinéraire le plus rapide. Le report du trafic sur les voies plus rapides au détriment des voies plus lentes, engendre au final des gains de temps supérieurs (avec un plus grand nombre d’usager), une baisse de la gravité des accidents et une baisse des consommations de carburant et par conséquent des émissions de polluants engendrées. Sans rien nous dire sur les préférences de la collectivité pour un changement des prix des effets non marchands, le calcul économique à l’envers nous a permis de montrer que derrière la politique actuelle, il y a un objectif en termes de volumes des nuisances. Moins de morts et de blessés sur les routes et moins d’émissions de CO2, apparaissent bien comme des objectifs clairement affichés par la collectivité.

Ainsi l’amélioration de la situation des contraintes d’insécurité routière et de réchauffement climatique n’est pas figée au seul changement des prix fictifs même si le niveau des prix peut venir orienter les décisions prises dans le domaine des transports routiers. C’est ce qui s’est passé par exemple, suite à la réévaluation des valeurs de la vie humaine en 2001, avec toutes les mesures prises en faveur de la sécurité routière et qui ont été suivies d’une baisse importante du nombre de tués sur les routes. La revalorisation importante des valeurs a eu pour effet d’envoyer un signal fort à la société. Nous pouvons penser qu’une augmentation de la valeur de la tonne de carbone permettrait aussi d’envoyer un tel signal, signifiant que le réchauffement climatique est un problème qu’il faut régler.

Parallèlement à cet effet prix-signal, l’amélioration de la situation des contraintes peut aussi être obtenue en jouant sur les volumes des nuisances. La collectivité, en abaissant les vitesses, semble avoir fait ce choix pour l’instant.