1.1.3.1. Caractéristiques techniques :

Maître Kobayashi fût élève de Maître Ueshiba mais étudia également la médecine énergétique, le kappo seppo 22 , traditionnellement associée aux arts martiaux, auprès de Maître Sumida, thérapeute faisant autorité auprès des sumotori 23 et des joueurs de base-ball. De par cette double approche, le geste d’aikidô sera perçu par le Maître et ses continuateurs tout à la fois sous l’angle martial et sous celui d’une technique de santé. Il en résulte une double obligation pour Kobayashi Hirokazu : d’une part, se conformer avec l’esprit du budô et la nécessité martiale sur lequel celui-ci repose – recherche d’un geste réaliste face à une situation de combat – et, d’autre part, s’inscrire dans des lois d’énergie interne afin d’amener le pratiquant à induire chez lui-même et ses partenaires des réactions positives quant à leur fonctionnement mental et physique. Les techniques élaborées par Maître Kobayashi seront par conséquent systématiquement orientées vers ce double but. Le meguri, spirale d’énergie initiée par shite 24 se manifestant par un mouvement circulaire complexe dont la finalité est depermettre la communication entre les corps en dehors de toute opposition, principe fondateur de l’aikidô, prend sa racine à l’intérieur même du corps du pratiquant et non dans l’espace qui l’environne. A ce propos, ce principe de non-opposition particulièrement affirmé et cultivé dans l’Ecole dont il constitue métaphoriquement une sorte de credo laïc, fait que ce style se démarque fondamentalement sur ce point précis des activités de combats telles que les définit Stéphane Dervaux en tant que « l’ensemble des disciplines physiques et/ou mentales d’opposition duelle et duale, à orientation sportive et/ou méditative, dont la finalité réside, outre dans l’affrontement technico-tactique codifié qu’elles autorisent dans un cadre spatio-temporel délimité, dans le processus d’éducation et d’autoformation des sujets, sous-tendu par un travail sur le lien (social) et la relation à autrui, n’excluant pas une certaine forme d’expression de la violence. » (2000, p. 72-73). L’aikidô pose la problématique de la violence de manière quelque peu différente des autres disciplines martiales, occupant ainsi, nous l’avons dit, une place à part parmi ces dernières. En conséquence les conclusions que nous serons à même de tirer de notre étude ne pourront être systématiquement transposables à l’ensemble des arts martiaux sans vérification de la validité de cette transposition. Néanmoins l’aikidô partage avec les différentes disciplines issues du budô la totalité des autres points évoqués dans la définition de Dervaux, voulue « globalisante » par son auteur. Si le chemin diffère sensiblement, la finalité à visée éducative et sociale est la même. Mais revenons aux caractéristiques du K.A.K.K.H.H. L’amplitude des déplacements des pieds est moins accentuée que dans d’autres styles. Les bassins ne sont pas abaissés, fixés, comme il est de tradition dans les arts martiaux en général mais, au contraire, les corps gardent une posture droite, naturelle, stabilisés autour de leurs centres en mouvement. Aucune extériorisation de force ne devient alors nécessaire. Les poignets ne sont pas tendus en position défensive. Les yeux ne participent pas à l’action et portent au loin, au-delà de l’espace conflictuel de la rencontre, afin de ne pas piéger le pratiquant dans l’éternel réflexe de défense de l’espace immédiat. Il n’y a pas lutte mais création permanente commune placée sous le signe du don et qui ne peut fonctionner qu’avec les apports de chacun. Que ce soit à mains nues, avec le sabre en bois (boken) ou le bâton (jo), à un ou plusieurs partenaires, les attitudes défensives – les gardes – ne sont pas de mise. Cette vocation communicationnelle est très bien exprimée par Jacques Bonnet 25  : « Au-delà de la partition sur laquelle sont inscrits les codes et les règles de cet art, les échanges favorisent le « bricolage humain » (Levi-Strauss, 1987). Ses acteurs sont donc également auteurs au sens où ils se sentent « autorisés à », et notamment, à « interpréter la partition » en apportant à celle-ci les formes et les couleurs construites dans l’interaction (Eco, 1988). » (2001, p. 205). Là encore, ces caractéristiques, comme les suivantes relevant de l’axiologie, feront l’objet d’une nouvelle explicitation dans notre deuxième chapitre en termes de fonctionnalités du rituel.

Notes
22.

Littéralement :« Les points qui soignent sont les points qui tuent » (note d’André Cognard)

23.

Pratiquants de sumo

24.

Celui qui « fait » la technique par opposition à uke, celui qui la « subit ».

25.

Professeur en sciences de la communication au département des Sciences de la formation et de la communication de l’Etablissement national d’enseignement supérieur agronomique de Dijon.