1.2.4. De l’imitation consciente au développement individuel : aspects didactiques

Etrangement, les sources bibliographiques sur lesquelles nous nous étions appuyé, particulièrement disertes sur les différentes fonctions du rituel que nous avions distinguées jusqu’alors, laissent dans l’ombre cette dernière approche. A plusieurs reprises, Arnold Van Gennep mentionne bien l’existence d’apprentissages pendant les périodes liminaires ou préliminaires de tel ou tel rite, mais sans véritablement s’intéresser à leurs contenus précis ou à leurs modalités de construction qui paraissent aller de soi. Ainsi, la transmission des rites semble en premier lieu relever de l’enculturation, incidemment de l’acculturation. Par ailleurs, nous pouvons considérer comme recevable que plus le rituel à transmettre sera complexe, plus la problématique de sa transmission par la culture sera prégnante. Or, l’assimilation de traits culturels factuels qui constitue par conséquent le passage obligé de cette transmission, que ce soit dans la prime enfance lorsqu’il s’agit de la culture maternelle ou à tout stade de la vie dans le cadre d’une rencontre avec une autre culture, de par son caractère autant informel que formel, nous paraît prendre principalement pour vecteur processuel la faculté d’imitation à partir de modèles de comportement. « Les premiers rituels, les premières traditions, les danses, les peintures corporelles sont les témoins du rôle initial et sans doute princeps que les premiers comportements imitatifs ont dû jouer dans l’organisation des civilisations humaines primitives. » (Baudonnière, 1997, p. 103-104). Cette relation est d’ailleurs corroborée dans le contexte qui nous intéresse par la description de la procédure d’enseignement privilégiée par les arts martiaux traditionnels japonais que nous avons été amené à transcrire dans notre premier chapitre de partie. Ceci nous semble particulièrement important dans la mesure où l’on ne peut prétendre explorer les multiples fonctions du rituel sans nous intéresser à celle, essentielle, qui régit sa perpétuation dans le temps et dans l’espace, sa survie et sa croissance pourrait-on traduire métaphoriquement.

Mais dire que les rituels se transmettent par imitation ne clôt pas le sujet et ne fait plutôt que l’introduire. Il convient déjà que nous rompions avec un a priori négatif qui, le plus souvent, entache bien à tort la pratique imitative dans les représentations qu’ont de celle-ci nombre de nos contemporains occidentaux, n’y voyant qu’une « copie » sans intérêt où toute imagination, réflexion et expression de l’individualité est absente. Cette vision est totalement erronée car, bien au contraire : « Il n'y a pas imitation, en effet, tant qu'il n'y a pas perception, c'est-à-dire subordination des éléments sensoriels à un ensemble. C'est à la reconstitution de l'ensemble qu'elle s'attaque. Ce qui pourrait donner le change, c'est qu'elle a parmi ses procédés celui de la copie littérale. Mais la reproduction de chaque trait successivement suppose une intuition latente du modèle global. C'est-à-dire son aperception et sa compréhension préalables, faute de quoi elle ne donne que des résultats incohérents. Si mécanique soit-elle dans l'application, elle répond à un niveau déjà complexe de l'imitation. Elle suppose le pouvoir de suivre une consigne, une technique et la capacité toujours en éveil de comparer, c'est-à-dire de se dédoubler dans l'action, opérations que seule une étape déjà avancée de l'évolution psychique peut rendre possibles. » (Wallon, 1983, p.112). Lorsque l’objet à imiter est une gestuelle extrêmement complexe, comme c’est le cas en aikidô, la faculté imitative mise à contribution impose par conséquent au pratiquant une mobilisation psychique conséquente. Fayda Winnykamen renchérit : « Dans sa fonction instrumentale, l'imitation met en œuvre l'activité cognitive du sujet. Elle ne saurait être considérée comme une imprégnation passive, mais bien comme un processus actif de prise, de sélection et de traitement de l'information. » (1988, p. 57-58). Dans notre introduction, nous avions évoqué la notion de « tâtonnement expérimental » emprunté à Célestin Freinet et développé en didactique des mathématiques notamment par Jean-Claude Régnier pour essayer de décrire le modus operandi qui guidel’apprentissage de l’aikidoka. Or, « La loi de l’imitation est exactement la même que celle du tâtonnement expérimental avec laquelle elle se confond. » (Freinet, 1994, p. 375).Pour Régnier, « En présence d’une circonstance nouvelle ou d’un problème nouveau, (l’)individu va se mettre à tâtonner, c’est-à-dire, partant de ses acquis actuels inadéquats pour apporter automatiquement une solution satisfaisante, il va essayer selon divers chemins de produire une réponse. » (1988, p. 258). En nous appuyant sur la citation précédente de Freinet, nous dirons que si ces divers chemins restent personnels à l’apprenant, appartenant indubitablement à son expérience d’individu, leur frayage se trouve orienté par l’imitation d’un mentor, laquelle imitation s’efforce de suivre les jalons laissés par « la trace sur la neige blanche » pour reprendre les termes de Freinet.Mais, avant de poursuivre, il nous faut différencier l’imitation dont nous parlons ici d’autres activités proches mais non semblables dans leurs principes, leurs enjeux et leurs implications : le mimétisme et l’apprentissage par observation.