3.2.2. L’ aikidô assimilé à une pratique de santé

En effet, 12 personnes ont fait le lien entre leur pratique de l’aikidô et une pratique de santé, 8 d’entre eux ont placé ce choix parmi les trois premiers qu’ils ont effectués. Il est néanmoins intéressant de noter que si l’on compare les orientations prises par les 2ème à 4ème dan d’une part et les 5ème et 6ème dan d’autre part, cet excellent score est dû en majeure partie aux premiers puisque l’item n’arrivait qu’en cinquième position chez les seconds. Quoi qu’il en soit, il s’agissait tout d’abord pour ceux qui avaient retenu la proposition, de donner leur propre définition de l’état de « bonne santé ». Dans leur ensemble, chaque réponse apportée couvre à la fois la dimension physique et la dimension psychologique, l’une et l’autre semblant intrinsèquement liées : « Bien-être dans sa corporalité et ses relations sociales et affectives », « Par l’absence de maladie bien sûr mais surtout par la vitalité quotidienne, l’équilibre psychocorporel ainsi qu’une responsabilisation dans les pathologies qui peuvent survenir (dans le sens de se prendre en charge) », «Etre en bonne santé, c’est avoir de l’enthousiasme et si je ne me sens pas bien c’est avoir les moyens de me « rétablir ». Etre en bonne santé, c’est être capable de se remettre en équilibre lorsqu’on vient de le perdre ». La définition peut se construire en opposition avec un mal-être : « Ne pas avoir de douleurs, être en équilibre avec le monde, se sentir bien », « Ne pas se sentir mal le matin en se levant », ou au contraire par la quête d’un sentiment de bien-être : « Etre bien dans son corps, se sentir vivre ». Un autre lien peut être relevé entre le bon fonctionnement potentiel du corps et l’action consciente qui lui donne sens : « Essentiellement une disponibilité énergétique qui permet de se sentir en forme pour faire ce qu’on doit faire, et suffisamment en forme pour avoir encore envie de faire d’autres choses », « La souplesse, la force, être moins sujet aux maladies, la disponibilité aux autres. L’élévation du niveau de conscience », « Etre en possession de tous ses moyens et les utiliser », « Bonne harmonie entre ce que l’on veut faire et ce que l’ont peut faire », « Avoir une bonne perception de son corps et pouvoir agir avec joie », « Avoir un corps qui fonctionne et qui soit un support adapté à nos activités. Un esprit libre ».

Pour les 12 pratiquants qui ont choisi l’item, les gains qu’ils estiment retirer de leur pratique en matière de santé sont indiscutablement avérés. Ce peut être une forme d’ « entretien » particulièrement efficace : « Conserver la vitalité. Mieux connaître mon corps et être plus attentif à ses réactions. Tendre à utiliser mon corps dans le sens de la détente (relâcher) plutôt que de la tension », « Peu de fatigue persistante ; envie de bouger, plaisir d’une bonne coordination », « Pratique corporelle régulière et non « sportive », non-violente, entretenant une forme », « Un corps qui soit un outil utile et non contraignant de communication. Un bon mental en adéquation avec ma vie »,accompagné parfois d’une notion d’amélioration d’un état antérieur : « Le sentiment d’avoir à faire plus de choses qu’auparavant. L’aiki me permet de me sentir en bonne santé, et même comparativement avec mes contemporains du même âge … », « Moins fatiguée, déblocage de zones qui semblent verrouillées et qui me consomme une énergie importante », « La résistance à l’effort, à la fatigue, la souplesse, le fait d’être moins ou plus du tout sujet à certains problèmes physiques ou psychiques chroniques », « Réduction, voire suppression des problèmes de dos. Bien-être pendant et après la pratique ». Un aspect prévention peut être ressenti : « Une bonne forme physique et mentale. Je pense que si je n’avais pas pratiqué l’aikidô, j’aurai des problèmes de dos et des problèmes hépatiques ». Enfin, les bénéfices décrits peuvent l’être d’une façon plus générale sous forme d’apports de qualités : « Le dynamisme général, la vélocité, la puissance physique, l’endurance » ou de modalité de fonctionnement : « L’action directe sur le corps qui draine les énergies ». A noter encore que, devant la difficulté du travail demandé par la pratique notamment au niveau physique, particulièrement exigeant, il peut quelquefois voir poindre quelques doutes chez le plus motivé : « …D’autre part, je me demande parfois comment je serai dans quelques années, passées à me faire triturer les poignets dans bien des sens, à chuter avec la grâce et la légèreté qui me caractérisent et à subir bien d’autres plaisirs. Je ne suis pas non plus certain qu’être « en bonne santé » soit une finalité, même s’il ne faut pas rechercher la maladie ». L’humour dédramatise le propos mais l’interrogation demeure. D’autres techniques œuvrent-elles dans le même sens ? 8 personnes pensent que oui, 4 estiment que rien n’est comparable à ce que leur pratique peut leur amener. Dans les possibilités de travail similaire, le Tai Shi Chuan, puis le Qi Qong, la médecine chinoise, le Kung Fu, le Yoga côtoient l’escalade, la marche et toute activité physique respectant les limites de chacun. L’important semble plus résider dans la manière dont la discipline est transmise. On reste cependant dans la conjoncture en absence d’expérience réelle. 4 personnes seulement peuvent témoigner d’un parallélisme éprouvé parce que vécu : Tai Shi Chuan, Qi Qong,médecine chinoise, sont à nouveau convoquésmais également la marche en montagne, le golf et à nouveau, de manière plus explicite, l’escalade : « J’ai beaucoup pratiqué l’escalade qui présentait certains aspects que j’ai retrouvés plus tard dans l’aikidô : concentration, vigilance, recherche de nouveaux équilibres, absence de compétition ».

Face à ces alternatives possibles, l’aikidô a-t-il une spécificité bien précise ? 6 pratiquants s’essaient à répondre. Chacun explore une facette particulière de cette spécificité : la co-évolution : « La pratique à deux, peut-être », la dimension interculturelle : « L’aikidô n’est pas seulement une technique corporelle, c’est une voie liée à un enseignement traditionnel – étranger puisque japonais. Une recherche personnelle lui est inhérente à mon sens », le non-déterminisme : « On arrive à remettre en question l’apparente irréversibilité de certaines pathologies ou de certains blocages de tout ordre : physiques, psychologiques, modes de fonctionnement particuliers … », l’unité psychocorporelle : « Peut-être de travailler sur différents niveaux : corporel, psychique et énergétique. Les différentes pratiques que j’ai pu approcher jusqu’à maintenant me semblent aborder qu’un seul de ces points, deux au maximum », une dynamisation particulière peu reconnue de la science occidentale actuelle mais appartenant à une tradition orientale en cours de redécouverte : « Action bénéfique des techniques subies (malgré leur caractère martial) sur le corps et le statut énergétique individuel », et, en prolongement direct de cette démarche, la reconnaissance accordée au corps d’être à même de jouer un rôle de tout premier plan dans l’expression de la vie consciente : « Donner les moyens au corps de guider sa propre recherche d’équilibre, et lui reconnaître cette capacité ». Cette notion d’équilibre ainsi décrite introduit de manière parfaite la troisième proposition retenue par les répondants au questionnaire et formulée comme étant ce qui tend au maintien d’un équilibre entre des contraires interdépendants.