3.2.3. L’ aikidô perçu en tant que facteur d’équilibre personnel

11 individus ont retenu cet item, 6 l’ont inscrit dans leurs trois premières sélections. Il se trouve ainsi placé en troisième position, avis de tous grades confondus. Plusieurs dyades étaient proposées, étaient-elles pertinentes par rapport à la notion d’équilibre à trouver au regard de ceux qui s’étaient prononcés en faveur de cet item et que leur évoquaient-elles ? 6 personnes se sont senties concernées par la première présentée : l’équilibre entre le yin et le yang, éléments constituants du Tao : « Chaque technique est un équilibre entre yin et yang », « Mieux faire la part entre ce qui est réceptif (féminin) et ce qui est actif (masculin), ce qui était confus en moi. Renforcer le Yang dont je pense avoir été en « déficit » et mieux me percevoir en tant qu’homme », « Opposition et combat de l’héritage des deux parents en moi : vision et valeur du monde », « L’équilibre entre deux tendances de notre personnalité : pragmatisme et rêves, activité et contemplation, réflexion et action, etc. C’est la reconnaissance et l’évaluation de celles-ci chez l’autre qui permet de considérer nos propres tendances et leur évolution ». Au-delà de l’identité sexuelle, c’est la complexité du psychisme humain, de la complémentarité des attitudes développées ontologiquement par l’un ou l’autre sexe, leur bien-fondé ou leur remise en question éventuelle qui sont ici abordées. L’équilibre entre l’individu et le groupe retient l’attention de 7 pratiquants : « La pratique de l’aikidô n’est pas une pratique solitaire … elle favorise donc un équilibre entre l’individu et le groupe », « Meilleure capacité à s’intégrer dans un groupe », « Le besoin de plaire et d’harmonie m’oblige souvent à m’effacer vis-à-vis du groupe. Cela se traduisait par un excès d’exubérance (c’est un paradoxe). Je pense avoir trouvé plus de tranquillité, ce qui me permet de mieux gérer la relation avec les autres », « Reconnaître le groupe et ses contours, c’est aussi, en se plaçant à l’intérieur une façon de se reconnaître différent des autres membres du groupe et donc de préciser les contours et limites de nous-mêmes ». La pratique de l’aikidô est indubitablement un acte social, le groupe et l’individu se définissent l’un l’autre par la différenciation de leurs espaces d’intervention et de leurs besoins spécifiques pourvu que ceux-ci soient reconnus en tant que tels et s’harmonisent. L’équilibre entre Moi et altérité est retenu également par 7 personnes : « La pratique nécessite d’intégrer l’autre, sans destruction de soi, elle permet donc de définir ces deus entités et de créer un équilibre entre les deux sans lequel la technique n’est pas faisable », « La pratique m’a aidé à être moins dans la projection (au sens psychologique du terme) et mieux faire la part de ce qui m’est propre et ce qui ne m’appartient pas dans la relation », « Acceptation de la différence », « On parle du Moi et du Ça ou du Moi et de l’Autre ? Dans les deux cas, être et paraître s’équilibrent et se déséquilibrent sans cesse, la conscience de soi étant difficile à maîtriser ». Là également, la notion clef semble être celle de la reconnaissance des limites, des frontières qui doivent être clairement définies pour permettre le « voyage » vers l’autre sans peur de se perdre. Enfin, c’est toujours le même nombre de 7 individus qui adhère à la dernière dyade proposée, l’équilibre entre la pensée et le corps : « La pratique de l’aikidô permet de réintégrer le corps dans la dyade corps-esprit qui, dans notre société, tend uniquement vers l’esprit », « Avoir une approche moins strictement « mentale » (analytique) des faits et des situations que je vis. Sentir une meilleures « mobilité » de perception et appréhension des choses », « Arrêter de « vivre dans le phantasme ». Habiter son corps. Agir en accord avec ses idées », « Je coche aussi à un niveau plus large (c’est pour moi un travail qui s’effectue pour l’instant de manière relativement inconsciente et dont je mesure à de rares moments les évolutions) », « Au début, je travaillais beaucoup mon corps ; je n’étais pas bête mais je n’y pensais pas. Ensuite mon esprit s’est mis à vagabonder. Conscientiser mes réflexions dans ma gestuelle, c’est ce que j’essaie de faire à chaque cours », « En pratiquant notre corps au travers des techniques, nous faisons le lien entre notre forme et notre fond, entre notre structure physique et notre mental, notre pensée se reconnaît comme à la croisée de tout cela et notre intellect peut alors la formuler précisément ». Cette réintégration du corps dans une unité corps / esprit prend l’allure d’une quête d’un paradis perdu dont l’évolution sociétale qui est la nôtre nous aurait chassés. Elle paraît d’autant plus indispensable qu’elle se trouve tout à la fois difficile à reconquérir en nécessitant un travail en profondeur et qu’elle se situe suffisamment proche pour susciter des ressentis qui encouragent à livrer cet important effort. Dans le même esprit, quelques autres dyades sont proposées par les questionnés : homme et femme, force et douceur, parole et écoute, recevoir et donner et plus explicitement amour et agressivité : « La pratique permet de dissocier l’agressivité de la culpabilité et l’amour de la fusion ».

A la question de savoir si les équilibres mis en place dans le cadre de la pratique et évoqués précédemment se traduisaient par des attitudes et des comportements particuliers sur le tatami, dans la vie sociale et familiale ou encore dans le contexte professionnel, les réponses en termes binaires sont similaires pour les deux premiers registres mais varient pour le troisième. Dans le dojo et au sein de la cellule familiale ou sociétale, 1 personne a répondu dans le sens où la chose demeure possible mais sans qu’il en ait conscience, 2 en sont certaines sans pour cela être en mesure de décrire ces attitudes et comportements et 6 en sont convaincues, descriptions à l’appui. Sur le tatami, elles ont repéré : « La posture, le positionnement au sein du groupe, le fait de subir la technique », « Globalement être plus attentif à l’autre. Etre plus conscient de ce « jeu d’alternance » entre être centré sur soi et centré sur l’autre », « La tentative d’équilibration se solde pour l’instant par une meilleure prise de conscience de mes difficultés relationnelles avec certains et me donne la possibilité de choisir ou de ne pas choisir d’améliorer la situation », « Stabilité, patience, respect et prise en compte des autres », « Relation enseignant / élèves », « Une réponse adaptée à chaque partenaire et ceci en fonction de la technique pratiquée ». Les attitudes et comportements sur le tatami ainsi révélés portent essentiellement sur le rapport à l’autre. Qu’en est-il dans la vie sociale et familiale ? « La compassion, mais sans s’y perdre », « Je me sens pouvoir aller plus facilement vers les personnes différentes de moi et y trouver un enrichissement alors que j’avais tendance à n’être qu’avec des gens qui me ressemblaient, voire même rechercher des relations fusionnelles », « Moins agressif en famille et plus aimant », « Stabilité, patience, respect et prise en compte des autres, écoute », « Une meilleure appréhension des situations et des relations permet là aussi de préciser les actions, les décisions et de gérer leurs conséquences ». Il est également question d’ouverture à l’autre avec une idée sous-jacente de gestion consciente de la relation. Sur le plan professionnel, 8 personnes ont répondu et toutes dans le même sens : l’équilibre trouvé dans la pratique induit des attitudes et des comportements spécifiques dans le cadre de l’activité professionnelle et ceux-ci peuvent être décrits. Ce sont des postures ne tolérant pas d’ambiguïtés mais bienveillantes envers autrui (ergonome), une certaine culture de l’assertivité (coach), une liberté d’intervention au niveau personnel (analyste programmeur), une autre manière d’appréhender la relation duelle (médecin anesthésiste) : « Le positionnement clair dans la pratique professionnelle. La prise en compte aux mieux des tenants et aboutissants pour chacun des collègues avec qui je travaille », « Plus solide et plus agressif, plus tenace au travail, mais avec un sens positif de l’agressivité. Je pense assertivité et confiance en soi quand je dis cela », « La tentative d’équilibration se solde pour l’instant par une meilleure prise de conscience de mes difficultés relationnelles avec certains et me donne la possibilité de choisir ou de ne pas choisir d’améliorer la situation », « Attitude différente dans la relation médecin / patient », mais cela se traduit surtout par des actions rendues possibles par une compréhension accrue du fonctionnement groupal, particulièrement au niveau de la gestion des conflits (éducateur spécialisé, professionnel de l’aikidô, cadre technique, directeur technique) : « Avoir une meilleure perception des enjeux des diverses situations, des phénomènes de groupe, mieux cerner ce qui influe directement sur ces situations ou ce qui les engendre », « Plus de facilité dans le travail en groupe, dans la direction de groupe », « Dans mon travail, je suis amené à diriger des groupes importants de tout milieu. La connaissance de moi-même et des autres me permet de mieux gérer les phénomènes et les conflits », « Meilleure gestion des conflits puisqu’une démarche là aussi adaptée aux situations, groupes ou individus ».

En conclusion de cette partie consacrée à la notion de recherche d’un équilibre personnel à travers la pratique de l’aikidô, 6 personnes ont essayé de traduire en mots la spécificité que recèle leur art en la matière et qu’ils ne trouveraient pas dans une autre discipline. Sont évoqués : la dimension symbolique, l’interpénétration des sphères du physique, de l’affect, de l’intellect permettant une approche globale de la relation et un accroissement de la prise de conscience de ce qui nous entoure, un certain rapport entre complexité et simplicité, un moyen de nourrir sa corporalité et son rapport aux autres sans opposition ni violence, en gérant mieux en toute connaissance de cause les conflits qui nous habitent : « Une mise en scène symbolique qui englobe et prend en compte toute la diversité des expressions (physique, mentale, émotionnelle, sensorielle) de chacun », « La recherche de l’efficacité par l’harmonie de la technique, l’approche globale de la relation, de l’individu », «  Je crois que je n’aurais jamais pu me sentir concernée par une discipline quelconque si sa connaissance n’était pas accompagnée d’un « rencontre affective » importante. Ensuite, cela étant, il ne me semble pas impossible de trouver une discipline où l’on trouve des perspectives dans autant de domaines tels que développement physique, psychique, émotions, intuition,…, mais cela me parait difficile. En tout cas, je n’ai pas envie de chercher autre chose », « Je pense que j’aurais pu pratiquer n’importe quelle autre discipline qui vise à la croissance de la conscience et à la pratique altruiste. J’avais besoin de faire bouger mon corps d’une façon intelligente ; j’ai trouvé cela dans l’Aikidô. Quand j’ai commencé, c’était juste pour cela. J’avais 15 ans mais au fond de moi je devais savoir que ça m’apporterait bien d’autres choses. La complexité de sa gestuelle traduit la complexité des relations ; l’envol physique de la chute symbolise l’envol de notre esprit, notre âme, notre pensée ; la simplicité de la mise en œuvre traduit la simplicité de mettre tout cela en pratique. Ce qui fait la difficulté dans la pratique, dans les relations, dans les chutes et l’évolution de notre conscience, se sont toutes les réticences que notre inconscient met en place pour nous maintenir esclave de nos émotions et d’un système de fonctionnement »,« Travail corporel et relationnel sans opposition ni violence en restant une discipline martiale (situations de combat) », « Gestion des conflits par adaptation et gestion de l’énergie, même violente. Conscience de soi et des autres, ce qui nous appartient et ce qui ne nous appartient pas ». Quant à se prononcer sur la possibilité qu’un même résultat en terme d’équilibre personnel soit atteint par l’intermédiaire d’une autre discipline, seuls 4 pratiquants expriment leur avis. Les 3 premiers en allant dans le sens de l’existence de cette possibilité : « Je ne pense pas que la pratique soit le seul moyen d’équilibre personnel. Elle me semble complémentaire avec d’autres pratiques. Nous avons travaillé avec le Dr Sun au plan énergétique, avec le Dr Vasquez au plan psychologique. Dans certains domaines, ils ont des résultats plus rapides et efficaces que la pratique de l’Aïkido », « Le Tai Chi Chuan », « Toute discipline qui impose un travail intensif sur soi, son corps et la relation aux autres en général », le 4ème la niant. La référence faite au Tai Chi Chuan va précisément introduire la quatrième proposition d’entrée choisie par les 16 pratiquants ayant bien voulu se prêter au jeu du questionnaire, L’aikidô en tant que technique de combat.