3.2.7. L’ aikidô pensé comme philosophie

Ce choix n’a été effectué que par 4 pratiquants mais 3 d’entre eux l’ont fait dès leurs trois premières sélections. Les différentes questions que contient cette entrée n’ont reçu de réponses que de trois personnes, parfois même deux. Elles nous livrent pour commencer en quelques lignes les grands principes sur lesquels s’établirait cette philosophie. Sublimation positive des conflits par la voie de la non-violence, recherche d’harmonie avec son environnement, expérimentation dans son corps, influence extrême-orientale et systémique en constituent les principaux soubassements : « Le conflit est créateur, donc il ne faut pas l’éviter, mais l’intégrer et le transformer. L’aikidô est un art martial non-violent. Il se pratique en harmonie avec l’autre et l’environnement. C’est avant tout une technique corporelle qui permet d’envisager les choses de manière globale », « Philosophie de vie de l’Extrême-Orient, c’est-à-dire expérimentation », « Une compréhension du monde que je confronte à une réalité concrète. Mise en perspective des principes orientaux. Energie, spiritualité non religieuse ». En toute logique, les courants et pensées auxquels les « scripteurs » à cette question la rattachent sont la systémique, un syncrétisme de Tao, bouddhisme, shintoïsme et confucianisme et le courant zen. Les spécificités de l’aikidô tiennent toujours à la perspective corporelle, à une personnalisation du travail à effectuer, à la non-violence, au travail sur le relationnel, à un principe de Liberté mis en avant : « La spécificité de l’Aïkido par rapport à la systémique est que l’approche du monde est faite par le corps et non par la pensée », « Un travail personnel », « Travail sur le vide, la non-opposition, la recherche de la relation individu / universel. Ethique non violente et non contraignante. Liberté ».

Certaines attitudes et comportements traduisent ce système de pensée. Sur le tatami, une vigilance sensible de tous les instants au maintien des règles est requise, particulièrement dans la relation à l’autre : « La pratique doit être harmonieuse et nécessite une vigilance par rapport à ce qui se passe autour de soi. Le ressenti est primordial dans la pratique », « Posture, attitude, étiquette, Ethique, lien uke / seme, Hiérarchie ». Dans la vie sociale et familiale, cette dimension sensible colore particulièrement la relation aux autres : « Je laisse une grande part au ressenti des choses et non seulement à leur appréhension par la pensée. Je fonctionne beaucoup au feeling avec les gens. Cela favorise également la tolérance : j’essaie toujours de comprendre les raisons pour lesquelles les gens ont tel ou tel comportement ». Cela peut s’accompagner également d’une certaine indépendance dans ses choix : « Ouverture, pouvoir de décision, amour des proches et acceptation des autres ». Dans le contexte professionnel, ce fonctionnement perdure, constate l’ergonome : « Je fonctionne également beaucoup au feeling pour animer des groupes de travail ou pour présenter des éléments d’analyse. Je crois que la pratique de l’Aïkido me permet d’appréhender les organisations complexes plus facilement. Mes présentations de résultats ou d’analyse de situation de travail sont très visuelles, peut-être plus basées sur le fait de faire ressentir aux autres une perception d’ensemble que de leur faire aborder chacun des points un par un, de manière cartésienne ». En ce qui concerne le médecin anesthésiste, c’est davantage l’aspect de liberté et d’aptitude à trancher entre différentes options qui est relevé : « Autonomie décisionnelle, décisions possibles ».

Concernant les éventuels bénéfices qui viennent accompagner ces attitudes et comportements, dans le cadre du dojo, ils sont également d’ordre sensitif et relationnel ou, de manière globale, concernent la manière estimée plus satisfaisante de comprendre et de vivre la pratique : « Une relation à l’autre agréable et la découverte de perceptions toujours différentes », « Meilleure appréhension de la pratique ». Dans le contexte social ou familial, encore une fois l’aspect relationnel plus serein, plus compréhensif, et la faculté de libre choix s’imposent : « Des rapports peut-être moins conflictuels car j’essaie de comprendre les besoins de chacun », « Pouvoir de décision et capacités relationnelles ». En rapport avec l’activité professionnelle, le premier aspect fait apparaître un certain clivage dans le retour fait sur cette sensitivité de la relation entre les gens qui se satisfont de ce type d’approche et ceux qui le rejettent, dixit l’ergonome : « Les rapports avec les gens qui demandent les études sont très bons et généralement ils se reconnaissent dans les analyses réalisées. Les rapports avec les spécialistes de sciences dures sont plus difficiles car cette façon d’aborder les choses ne leur convient pas ». Le médecin anesthésiste, quant à lui revient à son idée précédente : « Autonomie décisionnelle et pouvoir de décision ».

La question de savoir si la pensée philosophique issue de la pratique pouvait aujourd’hui se détacher de cette dernière pour perdurer en toute autonomie ne fait, elle aussi, l’objet que de deux réponses. Celles-ci vont unanimement dans le sens d’une impossibilité de séparer l’une de l’autre, de couper la dimension de l’esprit de celle du corps. « Cette pensée se façonne avec la pratique, je pense que l’une et l’autre s’auto-alimentent. Elle est avant tout basée sur le corps, donc elle nécessite la pratique », « Pratique corporelle et spirituelle en même temps. Philosophie de pratique ». Pourrait-elle alors s’appuyer sur une autre discipline ? Non, répond l’un en envisageant néanmoins le recours au yoga ou au Tai Chi Chuan. Oui, admet le second en pensant aux arts, martiaux ou non, tout en précisant les caractéristiques qui doivent impérativement demeurer pour que cela fonctionne : « Autre pratique martiale ou artistique mais nécessité de trouver l’Ecole ou le Maître. Voie initiatique, discipline et filiation (reconnaissance de la discipline et de la voie à suivre). Intérêt des rencontres ». Cette référence à l’art constitue précisément la dernière entrée choisie par les pratiquants ayant répondu au questionnaire.